Dans la section «Perspective» du Fespaco, le premier long métrage fiction de Angèle Diabang est en compétition officielle. C’est ce mercredi à Pissy que la première projection du film a eu lieu.

Des générations d’écoliers ont lu l’ouvrage. Daraay kocc l’a figé au théâtre. Désormais, les spectateurs des salles obscures aussi le verront à l’écran. La longue lettre de Ramatoulaye à Aïssatou a été portée à l’écran par Angèle Diabang. En compétition dans la section «Perspective» de la 29e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), le film a été présenté ce mercredi à Pissy. Dans la salle, des larmes et de l’émotion. Surtout pour la réalisatrice et son actrice principale, Amélie Mbaye. Il faut dire que Angèle Diabang porte ce film depuis douze longues années.
Au moment de recevoir une standing ovation, c’est une réalisatrice en larmes qui se présentera devant son public. «J’ai envie de dire que je suis soulagée. Les autres jours, j’étais stressée, mais ce matin, je me suis réveillée en forme. Je me suis dit, quoi qu’il se passe, je l’ai fini, j’ai tenu. Et c’est ce qui est le plus important», confie Angèle Diabang. Une si longue lettre raconte l’amitié fusionnelle entre Ramatoulaye et Aïssatou. Mariée à Modou depuis 25 ans, Ramatoulaye tombe des nues quand elle découvre que son mari a épousé la meilleure amie de sa fille. Mais en choisissant de rester, elle prend une décision que son amie Aïssatou, elle, a refusé de prendre. Elle a choisi de mettre fin à son mariage quand son mari, meilleur ami de Modou, a décidé de prendre pour épouse l’homonyme de sa mère. «C’est un livre qui a été écrit en 1979 mais que je trouve encore très actuel. Tout ce qui se passe dans le livre, on a l’impression que ça se passe aujourd’hui», réagit la réalisatrice. Et les réactions de la salle le montrent à souhait. Entre rires, tristesse et jubilation, le film est servi par le jeu d’un casting de haute facture.

Amélie Mbaye, impériale, campe une Ramatoulaye résiliente et conquérante. «Ils pensaient pouvoir contrôler mon destin. Plus jamais !», dit-elle à sa fille Daba. Tout au long du film, elle distille des références à des figures féminines majeures comme Aline Sitoé Diatta, Safi Faye et Annette Mbaye d’Erneville, enseignées aux jeunes élèves. Mais surtout, le film présente ce modèle de sororité entre deux femmes qui se soutiennent. «Je voudrais rendre hommage à ma défunte collègue Reine Marie Faye qui a lu ce texte il y a 35 ans et que j’ai présenté à la Rts. J’espérais que le jour où il serait sur grand écran, je serais Ramatoulaye», confie la comédienne Amélie Mbaye.

Force et résilience des femmes
«Ce que je voudrais qu’on retienne, c’est la force des femmes. Quand les femmes sont ensemble, cette sororité permet de relever tous les défis du monde», souligne Angèle Diabang. Servie par une direction d’image de haute facture, la réalisatrice arrive à installer le spectateur dans l’intimité des personnages. Les émotions bien captées font de ce film une plongée en apnée dans la société sénégalaise, dans ses hypocrisies, dans ses règles et normes de vie. «Il y a des thématiques très fortes : la polygamie bien sûr, mais aussi l’amitié entre Ramatoulaye et Aïssatou. Je ne pense pas que ce film soit un procès contre la polygamie. Il y a aussi l’éducation des femmes, parce que la petite fille tombe enceinte et on lui permet de continuer ses études. Une si longue lettre dépeint les règles socioculturelles de la société sénégalaise. Il montre que la polygamie à des conséquences sur tout le monde», assure la réalisatrice.

Dans le premier rôle masculin, Serge Abessolo offre également un jeu plein de justesse. «La première chose que j’ai faite, c’est de racheter le livre pour bien comprendre l’histoire. Ensuite, j’ai étudié la psychologie des personnages. Et ça m’a permis de bien travailler ce rôle», témoigne l’acteur gabonais, également directeur de l’Institut gabonais de l’image et du son (Igis).

Après 12 ans de travail, le soulagement est visible pour la réalisatrice qui a porté ce projet à bout de bras. «Je suis déjà contente de finir ce film qui était une très longue marche de 12 ans. A chaque fois que c’était difficile, il fallait trouver le moyen d’avancer. J’ai pu finaliser grâce à un soutien de l’Etat du Sénégal et des partenaires», souligne la réalisatrice. Journaliste espagnole installée au Sénégal depuis des années, Laura Féal a «beaucoup aimé le film». «C’est un ouvrage qui a marqué beaucoup de générations au Sénégal et dont la lecture est obligatoire à l’école. C’est un acquis important sur la réflexion sur la situation de la femme au Sénégal. Et le fait de mettre à l’écran cette pièce de la littérature africaine et féminine, c’est le moyen d’arriver à toucher un public beaucoup plus large, d’autant que le sujet est toujours d’actualité», assure-t-elle à la sortie de la projection. Au bout, l’espoir de la réalisatrice est aussi de ramener les gens vers la lecture. «Aujourd’hui, on ne lit plus beaucoup, mais si un spectateur sort de la salle et se dit «je vais relire le livre», alors j’aurai gagné», souligne Angèle Diabang.