La 18ème Semaine nationale de la petite enfance et de la case des tout-petits est organisée cette année du 9 au 15 décembre, sous le thème : «Sétaal sunu réew and ci ak tuut tànk, ngir mu sax», Promouvoir la culture environnementale dès la petite enfance. Un thème en phase avec la vision d’un Sénégal durable, celle d’une souveraineté environnementale rappelée, d’ailleurs, dans La vision Sénégal 2050, un nouveau paradigme. En effet, «bien que les enjeux climatiques et écologiques nécessitent des réponses coordonnées au niveau international, notre pays prendra ses responsabilités pour une gestion durable de ses écosystèmes et de sa biodiversité dont la sauvegarde sera garantie pour les générations futures». On ne le dira jamais assez : la terre ne nous appartient pas, on nous l’a prêtée ; on doit la rendre en parfait état aux générations à venir. Ce que Saint-Exupéry résume bien en ces termes : «Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants.» Ainsi, une diversité d’initiatives et d’actions pouvant relever de la sensibilisation, de l’information, de l’éducation et de la participation doit être encouragée pour faire face aux défis environnementaux.

«Promouvoir la culture environnementale» grâce à l’éducation environnementale et au développement durable sont des urgences, surtout pour des pays africains où les enjeux environnementaux ont un impact sur le développement économique et social. Dans un rapport Onu-Environnement qui date de 2017 sur la qualité et l’accès à l’eau douce, on peut lire : les économies en expansion en Afrique entraînent une demande accrue en eau douce, mais la quantité et la qualité diminuent en raison de la surexploitation, du changement climatique et de la pollution, alors que dans le même temps la population croissante va entraîner une diminution des ressources en eau renouvelables.

L’éducation environnementale et au développement durable, il faut le rappeler, est au croisement de deux préoccupations, si on se réfère au cadre que constituent l’Agenda 2030 et ses Objectifs de développement durable (Odd) : préserver les conditions d’habitabilité sur la planète et prendre en considération l’ensemble des dimensions du développement durable. Et tout passe impérativement par un apprentissage transformateur dont l’objectif est bien de changer la personne (ses points de vue, ses croyances et ses comportements).

Par ailleurs, il est établi que les apprentissages et expériences reçus durant la petite enfance sont essentiels pour le développement harmonieux de l’individu. Et plusieurs recherches en psychologie du développement sont venues conforter la nécessité d’agir le plus tôt possible sur les enfants pour leur réussite, leur intégration future, surtout qu’on s’est engagés au Sénégal «à faire de la petite enfance une priorité nationale, un pilier central du développement durable et inclusif», selon les mots de la directrice de l’Agence nationale de la petite enfance et de la case des tout-petits (Anpectp). Si nous devons créer de nouvelles valeurs, des individus intègres capables de considérer la vie dans son ensemble, de servir et non de se servir, c’est sur les enfants que nous devons agir, et le plus tôt possible, si l’on sait que les apprentissages réalisés à cette période de la petite enfance sont fondamentaux, au sens où ils établissent les bases sur lesquelles s’installeront les apprentissages ultérieurs.

Il est aussi important de rappeler, pour reprendre Agnès Florin ( 2002), que durant les 3000 premiers jours de la vie, de 0 à 7 ans, «cette période riche qui détermine une grande partie de notre vie, et où la plasticité du cerveau est à son maximum et permet d’atteindre ce que l’on appelle l’âge de la raison», les tout-petits, à qui nous comptons «transmettre des valeurs de respect de l’environnement et les préparer à relever les défis écologiques du futur», ont besoin d’être bien accompagnés, de vivre dans un environnement sécurisant qui fera d’eux des adultes sereins. Il est important de fournir à l’enfant, durant cet âge critique, des occasions d’être actif, d’avoir des interactions positives, de résoudre des problèmes avec l’aide d’adultes responsables, conscients des enjeux du développement durable et des problèmes environnementaux pour pouvoir s’occuper de leur cadre de vie et donner ainsi de bons exemples aux tout-petits par leur comportement.

Malheureusement, il faut le constater pour le déplorer : notre cadre de vie est sans cesse agressé par des adultes au grand dam des jeunes enfants qui sont les plus exposés aux chocs environnementaux et climatiques (cyclones, canicules, inondations…). D’ailleurs, c’est ce qu’il y a lieu de comprendre dans un rapport de l’Unicef publié en 2021, intitulé La crise climatique est une crise des droits de l’enfant : Présentation de l’indice des risques climatiques pour les enfants. Henriette Flora, la directrice de l’Unicef, y précisait d’ailleurs : les chocs climatiques et environnementaux ont des répercussions sur l’ensemble des droits des enfants, de leur droit à un air pur, à de la nourriture et à de l’eau salubre, à l’éducation et au logement, à la protection contre l’exploitation, jusqu’à leur droit à la survie. Aucun enfant ou presque ne sera épargné.

On est au regret de constater, encore, que des hommes d’affaires et entrepreneurs, qui ne se soucient que de gagner de l’argent, sans aucun respect de la loi et des textes règlementaires, mènent des activités polluantes. D’ailleurs, le Président Diomaye avait constaté et déploré que notre citoyenneté est mise à mal parce que, entre autres exemples, l’espace public est occupé sans titre ni droit, au risque de poser de graves problèmes d’encombrement, d’insalubrité et de sécurité publique. Devant nos maisons, des arbres plantés, à l’occasion, ne poussent pas faute d’être arrosés ou entretenus. Sous nos cieux, on est arrivés à un niveau de banalisation de tous les risques. C’est ce que le psychologue américain Peter Kahn appelle «l’amnésie environnementale», c’est- à-dire le fait de s’acclimater, au fil des générations, à la dégradation de notre environnement et finir par trouver normales des choses qui ne le sont pas.

S’occuper de notre cadre de vie n’est pas ancré dans nos mentalités : nous avons tous constaté le relâchement, depuis le lancement de la première édition «Setal sunu Rew», opération ville propre, initiée par les nouvelles autorités pour inviter tous les Sénégalais à nettoyer leur ville le premier samedi de chaque mois. La 7ème édition tenue ce 7 décembre n’a pas vraiment mobilisé. Changer tout. Vite dit, mais pas vite fait… Ce slogan pourrait s’appliquer à beaucoup de projets au Sénégal. Il arrive que nous soyons tous d’accord sur ce qu’il faudrait changer sans que les choses n’évoluent pour autant. S’intéressant à la question, Pourquoi il est difficile de changer ?, Nicolas de Journet, journaliste de la revue française, Sciences humaines (Mensuel n°288 spécial-janvier 2017), analyse et identifie trois obstacles au changement dont «l’aversion à la perte», par exemple, pense le journaliste, les conséquences négatives d’un problème environnemental sont difficilement mesurables pour chacun de nous ; le «principe du pourquoi moi et pas lui, ou du pourquoi lui et pas moi», un autre obstacle au changement ; en plus de celui du principe de l’inertie ou le statu quo. En effet, par rapport à cet obstacle, il précise que «beaucoup de gens s’en tiennent à l’existant, même s’ils auraient avantage à changer».

Il est impératif, pour arriver à inculquer à nos enfants cette culture environnementale, de commencer par changer nos comportements pour inspirer les tout-petits : à cette période sensible de la vie, les enfants imitent beaucoup les adultes pour apprendre et s’améliorer. Dans une étude menée en 2017 sur 48 enfants en Suède, intitulée De l’imitation à la mise en pratique : comment les enfants de deux et trois ans apprennent à appliquer les normes sociales, on peut lire : le fait de fournir une opportunité d’imiter l’application des normes semble donner lieu à un comportement d’application des normes chez les enfants de deux ans, tandis que ceux de trois ans comprennent déjà les implications normatives en suivant divers indices et appliquent même des normes sans aucune démonstration de la manière de faire. Les enfants, conclut-on, dans cette étude, «font ce que les adultes font, et ils pensent que c’est la bonne chose à faire», écrit Ben Kenward du département de psychologie de l’université d’Uppsala, en Suède.

Les changements nécessaires pour initier nos enfants à la préservation de la nature et l’écologie sont surtout attendus des parents qui doivent s’investir davantage pour une «parentalité positive», en faisant preuve de bienveillance, d’attention et d’empathie à l’endroit de leur progéniture. L’éducation positive, malgré les critiques, est loin d’être une illusion : elle est approuvée même par la science. En effet, avec certes des réserves, des recherches en neurosciences ont mis en évidence un lien entre la taille de l’hippocampe (une structure importante pour la mémoire) d’un enfant de 4 ans et l’accompagnement attentionné de ses parents (Hengyi Rao et al, 2009).

D’autre part, les adultes qui ont en charge nos enfants dans les structures d’accueil des tout-petits, appelés «professionnels de la petite enfance», ne sont pas bien préparés pour développer la sensibilité des tout-petits aux problèmes environnementaux, à les encourager à poser des questions, à explorer des réponses et à proposer des solutions créatives à des problèmes. En effet, l’esprit critique peut bien s’enseigner à la maternelle. Cela suppose de la part des acteurs de la petite enfance, une meilleure compréhension de leurs missions et des nouveaux défis à relever dans le travail d’accompagnement. On parle souvent d’éducation dans l’univers professionnel de la petite enfance, mais le rôle de ces acteurs en charge des tout-petits consiste-t-il vraiment à «éduquer», faire acquérir à quelqu’un les usages de la société (définition du Larousse) ou plutôt à accompagner, servir de guide, d’accompagnateur à quelqu’un (Larousse toujours) ? Je penche plutôt pour l’accompagnement, c’est-à-dire veiller à la sécurité et à l’épanouissement de l’enfant, l’accompagner dans ses découvertes, ses envies, répondre à ses besoins, comprendre qu’il a plus besoin de bras, de réconfort, «d’attachement sécure» que de nourriture… D’ailleurs, depuis et «grâce aux recherches en psychologie et en neurosciences, nous avons fait un virage à 180°. Nous savons désormais que l’enfant a un besoin vital d’affection pour se développer harmonieusement», Junier H., Guide très pratique pour les professionnels de la petite enfance, 2021, p.21)

Dans une publication récente intitulée Vers une professionnalisation des acteurs de la petite enfance, j’attirais aussi l’attention sur l’importance de la formation continue dans le sous-secteur de la petite enfance, en plaidant pour que les professionnels de la petite enfance reçoivent une solide formation pour développer leurs propres compétences socio-émotionnelles. D’ailleurs, l’intelligence émotionnelle, «cette capacité à percevoir, maîtriser et exprimer ses sentiments et ses émotions, ainsi que ceux d’autrui», selon la définition de Daniel Goleman (2014), est le meilleur prédicteur de succès et de réussite dans le travail d’accompagnement. Et, avec les découvertes en neurosciences, il est évident qu’on doit repenser la formation des formateurs et ajuster en permanence les pratiques des professionnels de la petite enfance. Tout cela a un coût : pour atteindre les objectifs susmentionnés dont préparer nos enfants à relever les défis écologiques du futur, il faut plus d’investissement. On sait actuellement, depuis le rapport de 2007 de James Hechman, Prix Nobel d’économie, que miser sur 1 dollar pour que les professionnels de l’enfance développent leurs compétences socio-émotionnelles permet aux enfants de s’épanouir sur tous les plans -personnel, social et intellectuel- et ainsi d’économiser à l’âge adulte 100 dollars en prévention des risques de chômage, de délinquance et de toutes sortes de déviance. Il précise dans son rapport que plus on investit tôt, meilleurs sont les résultats. Ainsi, une solide formation est nécessaire pour les professionnels de la petite enfance afin de relever les défis susmentionnés et il faut une politique de recrutement pour augmenter leur nombre auprès des enfants avec un salaire motivant en rapport avec l’importance de leur travail. Un chantier pour les nouvelles autorités !
Bira SALL
Professeur de Philosophie Au Lycée Ababacar Sy de Tivaouane
Chercheur en Education et Formation
Spécialiste Développement de la Petite Enfance
sallbira@yahoo.fr