Protégeons les enfants : ils sont des portes ouvertes sur le paradis perdu…

A l’occasion de la Journée mondiale de l’enfance, célébrée ce lundi 20 novembre 2023 à travers le monde, je partage, en guise de contribution, cette réflexion emadienne, écrite en 2018 : les adultes aiment exercer la violence, surtout sur les faibles et les innocents sans défense, souvent par esprit de domination ou par cupidité ou seulement pour cacher leur peur. Et les enfants les imitent bien quelquefois. C’est pourquoi, semble-t-il, la violence et la souffrance dans le monde prennent de l’ampleur. Le phénomène est assez inquiétant…
Il est vrai qu’aucun être humain n’échappe à la souffrance. Mais, si l’on dit qu’elle est inhérente à la vie, il s’agit, en fait, de celle-là qui est naturelle, et qui accompagne chaque personne telle une ombre. Je pense, notamment, à l’angoisse existentielle : la crainte du lendemain, la crainte de la vieillesse, la crainte de la mort, la crainte du tombeau, etc., et aussi cette frayeur devant l’immensité du monde et de ses mystères que certaines âmes ont la capacité de ressentir et qui a jeté beaucoup d’élus dans le désert et fait ainsi s’écrier le philosophe : «Le silence éternel des espaces infinis m’effraie.» Il y a aussi la souffrance liée à la maladie ou bien à la perte d’un être cher. Il y a la pauvreté, la faim, la soif, etc. qui sont très souvent le fait de l’homme.
En vérité, si l’on revisite l’histoire de l’humanité, on aura l’impression que l’être humain aime la souffrance, lui qui a inventé les guerres et les machines de guerre, l’esclavage et le fouet, la colonisation et la dépossession des peuples, les génocides, les tortures, les humiliations, les castrations. Lui qui a inventé les systèmes politiques inégalitaires, les lois scélérates, la dictature et le racisme, le nazisme et le terrorisme, les crachats à la figure, les grenades lacrymogènes, les chambres à gaz et les bombes atomiques. Sans oublier les bombes humaines. Il ne craint que pour lui-même, sa famille, son groupe d’appartenance. Il ne craint que son chagrin propre.
Mais, quelle que soit notre propension à nous tourmenter nous-mêmes et à tourmenter nos semblables, quelle que soit notre propension à attaquer et à piquer, notre dard doit épargner les tout-petits. Je ne parle pas de la rigueur ou de l’inconfort dû à la formation, à l’apprentissage, et qui participe au façonnage du caractère des enfants et les prépare à l’âge mûr, mais de la violence gratuite, méchante, égoïste qui ne vise qu’à faire souffrir, à asservir, à dépouiller. Oui, nous autres, adultes, devons préserver les enfants du mal que nous charrions, de notre laideur et de notre mauvaise odeur. Car, en vérité, ils nous viennent du paradis et nous devons veiller sur leur innocence, leur paisible joie, leur candeur, leur rire et leur sourire, qui sont des lumières capables d’illuminer et de réchauffer les plus sombres et les plus froides chaumières, de mettre de la joie dans les cœurs, de réconforter un monde en situation de détresse où, comble de paradoxe, en s’accroissant, les richesses font s’accroître les malheurs. En vérité, les enfants sont des remèdes aux maux du monde : ils sont des portes ouvertes sur le paradis perdu : ils sont notre meilleur trésor. (Ou notre pire enfer, si nous les négligeons.) Toutefois, contrairement à ce que pensent certaines personnes aux cœurs et aux esprits biscornus, c’est leur sourire qui guérit, non pas leur larme : leur joie, tout comme leur peine, étant contagieuse. Les mères le savent qui, malgré les douleurs de la grossesse et de l’enfantement, sont toutes rayonnantes après la délivrance et remercient Dieu de leur avoir donné le pouvoir de donner la vie. Parce que, chante le poète : «Quand l’enfant vient, la joie arrive et nous éclaire. On rit, on se récrie, on l’appelle, et sa mère tremble à le voir marcher.» Et, comme dit le philosophe, aucun plaisir, aucun pouvoir, aucune richesse ne mérite qu’on fasse verser la plus petite larme au plus petit des enfants. Car une seule larme d’enfant peut perdre tout un peuple, toute l’humanité qui s’en délecte, hélas, comme d’un élixir de longue vie, d’une fontaine de jouvence.
Hélas, chez nous, plus qu’ailleurs, les enfants manquent de protection et souffrent physiquement et moralement, autant, peut-être même plus que les adultes. Déjà, ils sont très tôt sevrés de maternage : mère n’a plus beaucoup de temps à leur consacrer, grand-père et grand-mère ne sont plus là avec leurs contes et leurs devinettes ; et la configuration de nos espaces de vie ne leur convient plus. Ainsi s’ils ne sont pas confiés à la bonne ou au maître coranique, ils sont mis en garderie. Et, en grandissant et en devenant un peu plus encombrants, ils sont presque chassés des domiciles qui les contiennent à peine avec leurs bruits et leur débordante imagination ; et, malheureusement, tandis qu’ils subissent les coups et contrecoups des grèves et sont gazés au lacrymogène jusque dans les établissements scolaires, nos quartiers, pour la plupart envahis par le commerce de rue, ne disposent plus de jardin public ni de terrain de jeu ni d’espaces pour les accueillir. Et ils s’ennuient et s’occupent comme ils peuvent, nos pauvres enfants. Et ils grandissent comme ils peuvent, souvent, le cœur plein de rancœur. Et j’ai peur…
J’ai peur pour ce pays où le nombre d’enfants victimes d’accidents domestiques mortels ou handicapants pour la vie grimpe d’année en année : brûlure, ingurgitation de produit toxique, chute grave, noyade, etc. , ce pays offrant le spectacle de nouveau-nés qu’on jette dans les poubelles ou les fosses septiques, d’enfants qu’on viole, qu’on vole pour leur couper des parties du corps ou les égorger, dit-on, je ne sais à quelle fin, d’enfants de la rue ou de jeunes talibés pieds nus, en quête de pitance, à la merci des malfaiteurs ; j’ai peur pour ce peuple qui piétine ses propres rejetons, ignorant que faire souffrir les mômes, c’est augmenter la souffrance du monde, les sauver, c’est sauver le monde…
Mais, n’est-ce pas ce même peuple qui se plaît à troubler l’innocence des enfants, qui trouble la quiétude des cimetières et le repos des morts par des pratiques dignes de films d’horreur ? Aucun respect ni pour les berceaux ni pour les tombeaux. Aucun amour ni pour nos nouveau-nés ni pour nos morts, hélas. Et trop facilement nos baptêmes se muent en transaction commerciale, nos funérailles en meeting politique. C’est comme si nous ignorions que le chemin qui mène l’individu du berceau à la tombe, tout comme celui qui mène l’espèce des ténèbres à la lumière, est semblable à une corde tendue entre le paradis et l’enfer, entre la bête et l’ange. Hélas, aujourd’hui, me semble-t-il, chez nous plus qu’ailleurs, l’être humain est plus proche de la bête que de l’ange, plus proche de l’enfer que du paradis. C’est regrettable.
Mais, pourquoi ? Parce que, nous ne marchons pas sur les traces de nos pères. Nous marchons sur les traces de l’Occident qui, malgré tout le mal fait à la planète Terre et à ses habitants, refuse de changer. En vérité, nous sommes devenus matérialistes, individualistes et égoïstes, mais dans la pauvreté, et c’est pire. Oui, nous n’avons pas hérité des vertus de nos pères : notre vue a baissé, notre horizon s’est rétréci, nous ne sommes plus le cœur palpitant du monde, et notre ventre, pour parler comme Jacques Brel, a bouffé notre cœur et une bonne partie de notre âme. Ainsi, nous ne nous préoccupons plus que de nous-mêmes et de notre confort, ce confort matériel personnel qui est la source de tous les maux de l’humanité. Le confort de l’homme contre la nature, de l’homme blanc contre l’homme noir, de la mère contre ses enfants, du fils contre ses parents, de l’individu contre le groupe, etc. C’est au nom du confort que l’homme a saccagé la planète et que des peuples entiers ont été décimés ou traînés dans la fange. C’est en son nom, aujourd’hui, en Occident, qu’on renonce à faire des enfants et qu’on isole les personnes âgées et que chez nous des mères refusent d’allaiter leurs enfants ou font des enfants pour les vendre comme de la marchandise, si on ne les vole pas.
Le mal est très profond. Et, aujourd’hui, ce n’est pas seulement le réchauffement climatique qui constitue pour l’humanité une menace à juguler : mais aussi, et surtout, la perte des valeurs essentielles fondatrices d’une humanité saine et d’une cohésion sociale durable. Ce n’est pas seulement la couche d’ozone protectrice de notre environnement que la folie humaine a détruite, mais aussi quelque chose de plus essentiel qui protège l’homme de la bête qui sommeille en lui.
Mais, il y a de l’espoir. Parce que, malgré la dérive des valeurs, l’humanité est encore assez riche en nourritures spirituelles et morales qui peuvent la sauver et sauver le monde. Elle est riche en valeurs de civilisation traditionnelles dont la rencontre avec les valeurs islamiques, chrétiennes et autres ont aidé les peuples d’Afrique à tenir debout et à survivre aux chocs de l’esclavage et de la colonisation. Donc, il y a de l’espoir : la reconquête est possible : nous en sommes capables si nous nous retroussons les manches tout de suite et nous mettons à l’ouvrage sans attendre…
Bien sûr qu’il faut un renforcement sécuritaire de la part des Etats et des organismes internationaux. Il faut sévir contre les coupables. Il faut doper la vigilance des parents. Il faut… Mais il faut surtout une transformation des mentalités, une refondation de l’homme, en nous inspirant bien sûr de l’œuvre des anciens. Pour finir, je recommande le chant, dédié à l’enfance, de la cantatrice Fatou Kassé, du cercle de la jeunesse de Louga : «Mademba.»
Abdou Khadre GAYE
Ecrivain, président de l’Emad