En Tunisie, le tournage d’un biopic sur Frantz Fanon, écrivain et psychiatre engagé contre la colonisation française en Algérie, a pris fin en mai 2023. Le film, qui est la première œuvre non documentaire sur ce militant antiraciste, se penche sur son apport à la psychiatrie dans les années 1950. Il avait dénoncé le traitement psychiatrique et les techniques de désaliénation pendant la période coloniale et avait longuement milité pour l’indépendance de l’Algérie.

Lorsque Alexandre Bouyer, comédien français d’origine camerounaise, a lu pour la première fois le scénario du film Fanon, co-écrit par le réalisateur Jean-Claude Barny, il a découvert avec surprise cet essayiste et psychiatre engagé. «Je ne connaissais pas Frantz Fanon, explique-t-il. J’ai connu Frantz Fanon grâce à Jean-Claude et c’est vrai que quand j’ai lu ce scénario, j’ai été frappé. J’ai eu honte, je le dis, de me dire que je ne connaissais pas cette personne. Puis j’ai lu ses œuvres et là ça m’a encore plus touché et c’est aussi ça qui m’a motivé et j’ai dit : «Allez, on va y aller, on va incarner ce personnage, on va le défendre et on va raconter son histoire.».»

«On a vraiment été cherché son humanité, sa pensée humaine, sa force de travail»
Né en Martinique en 1925 et mort à 36 ans d’une leucémie foudroyante, Frantz Fanon a marqué la pensée antiraciste, les études postcoloniales, mais aussi la psychiatrie. Une partie de sa vie parfois marginalisée par la postérité. Pour le réalisateur, Jean-Claude Barny, il fallait aussi montrer l’homme derrière l’œuvre et le militantisme : «On a vraiment été cherché sur des choses qui n’existaient pas : son humanité, sa pensée humaine, sa force de travail et aussi sa sociologie. C’était pour moi la base de travail pour écrire ce scénario.» La Tunisie a servi de décor principal pour le film à la fois pour reconstituer les scènes en milieu hospitalier en Algérie, mais aussi parce que Frantz Fanon a vécu et travaillé dans le pays. Il est mort le 6 décembre 1961, un an avant l’indépendance de l’Algérie.

«Une œuvre qui a eu plusieurs vies»
Si le biopic sur Frantz Fanon remettra peut-être l’auteur dans la lumière pour le grand public, sa pensée n’a jamais cessé d’influencer les milieux universitaires. C’est d’abord aux Etats-Unis et en anglais qu’elle connaît un grand succès, notamment grâce au développement des études post-coloniales. Avant que Frantz Fanon ne soit redécouvert en langue française au tournant des années 2000. Ces allers-retours entre deux visions de la question coloniale font de son œuvre un outil indispensable et très contemporain, selon Nadia Yala Kisukidi, romancière et maîtresse de conférences en philosophie à l’Université Paris 8 : «On a assisté à une relecture de Fanon, non pas dans les espaces de langue française ou francophones, mais dans le monde universitaire de langue anglaise, à l’occasion, essentiellement, de l’éclosion du courant des études post-coloniales. Et à l’occasion des années 2000, on va assister à des colloques, à des réflexions qui vont commencer à réagir et à repenser l’œuvre de Fanon dans un champ cette fois plutôt français et francophone -je dirais- où son œuvre n’avait pas forcément fait l’objet d’autant d’études que dans les espaces anglophones. Donc, il y a tous ces allers-retours, qui sont extrêmement intéressants à penser, c’est-à-dire d’une œuvre qui a eu plusieurs vies, plusieurs types de réception dans des langues différentes et dans des espaces différents, à la fois académiques et également politiques.»
Rfi