Après quarante années passées dans la filière arachidière, Ibrahima Samba Bocoum livre dans un style corrosif sa lecture des multiples goulots d’étranglement qui ont plombé la filière arachidière sénégalaise et contribué à appauvrir les masses paysannes. L’ouvrage intitulé, «Crise de l’arachide au Sénégal : Itinéraire d’un témoin indépendant», a été présenté ce samedi.

Au Sénégal, 6 agriculteurs sur 10 cultivent de l’arachide. Cette production représente ainsi 35% des revenus agricoles, mais la filière reste encore instable. Chaque année, les paysans se font entendre en égrenant des maux à n’en plus finir. Riche d’une expérience de 40 années dans le secteur, Ibrahima Samba Bocoum livre un diagnostic sans complaisance du secteur dans un livre autobiographique intitulé «Crise de l’arachide au Sénégal : Itinéraire d’un témoin indépendant». Au-delà de la portée autobiographique, l’auteur lance un véritable cri du cœur en faveur de cette filière dans laquelle il a eu à faire carrière, de gérant de Secco à Président de conseil d’administration. «Je veux témoigner de la faillite de l’arachide», explique l’auteur qui a présenté, samedi, son livre de 333 pages édité par L‘Harmattan Sénégal. «Ce capital expérimental de quarante années, marqué par une longue et laborieuse office au service de la cause de l’arachide, a permis à l’auteur-narrateur de noter avec minutie les limites objectives d’un système mis en place par certains acteurs essentiellement préoccupés par l’enrichissement à moindre frais», explique M. Hamady Oumar Bocoum, chargé de présenter l’ouvrage. Celui-ci explique également que c’est en se fondant sur son vécu quotidien que l’auteur avec un style corrosif, «dénonce vigoureusement, ses preuves collectées, annexées au besoin dans le livre, les multiples et innombrables goulots d’étranglement qui ont plombé l’agriculture et appauvri le monde rural». «Il livre une vérité féroce sur une filière où gravite une multitude d’acteurs, unis certes par l’arachide, mais mus par des intérêts bassement matériels», souligne M. Bocoum. Ces pratiques prévaricatrices sont dénoncées sans fioriture dans l’ouvrage. «Un monde hétéroclite composé de gérants de Secco, de peseurs de coopératives rurales et de points de collecte, de magasiniers, de contrôleurs-payeurs ainsi que de fonctionnaires accusés de collusion avec des présidents de Conseil rural et autres agents des administrations publiques. A l’arrivée, certains d’entre eux se sont acquittés de leurs missions (…). Par contre, d’autres ont été, selon l’auteur, les véritables déprédateurs de notre économie nationale. Ils ont appauvri sans vergogne des décennies durant le paysan sénégalais au niveau de tous les segments de la filière arachidière», relate M. Hamady Bocoum.

Remettre en cause le système
Cette faillite de la filière arachidière est d’autant plus révoltante pour l’auteur que le Sénégal dispose d’atouts importants. «Les conditions pour avoir une agriculture optimale qui puisse nourrir les Sénégalais sont là. Il y a de l’eau en abondance, il y a la terre et les ingénieurs sont là. Qu’est-ce qui manque», interroge l’auteur qui donne lui-même la réponse. «C’est aux dirigeants d’installer les conditions favorables. De 1960 à 2012, le système qu’on a utilisé réglait des problèmes, mais on a mis à la place un système appelé carreau- usine. Depuis lors, vous entendez tout le monde parler de la campagne. On s’est tellement précipité pour le mettre en place qu’il n’a jamais marché depuis 15 ans. Il faut le diagnostiquer et l’évaluer», indique M. Ibrahima Samba Bocoum.
Cette année encore, les problèmes n’ont pas manqué dans la commercialisation de l’arachide. «Actuellement, l’arachide a des problèmes de collecte. Les productions sont là et l’argent n’est pas là. Mais c’est déjà un pas. Maintenant, il faut mettre en place des mécanismes susceptibles de créer des marchés qui vont absorber ces productions», constate Amadou Moustapha Djigo, président d’honneur de l’Union nationale interprofessionnelle des semences (Unis). Pour l’auteur, le principal problème de la filière reste l’absence de l’huile d’arachide sur les tables sénégalaises. A la place, c’est une huile végétale tendant à être cancérigène quand elle est soumise aux fortes températures de cuisson qui est d’usage dans la cuisine sénégalaise.

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