Omar Guèye, enseignant au département d’histoire de l’université de Dakar, refait le film d’un événement bientôt cinquantenaire. «Mai 1968 au Sénégal – Senghor face aux étudiants et au mouvement syndical» se veut un condensé de cette crise qui a plongé pendant cinq mois le pays dans une instabilité profonde. Un focus large et fait dans la quatrième partie de l’ouvrage sur la partition du religieux pour le dénouement de la crise. Et à ce titre, l’auteur replonge ses lecteurs dans ce qu’il appelle «la crise dans la crise», mettant en scène le Président Senghor et les Pères dominicains ayant pris cause pour les grévistes alors que les marabouts musulmans supportaient le poète-Président.

C’est une odyssée au cœur des événements de Mai 1968  ayant plongé le Sénégal dans une contestation sociale portée par les étudiants et le mouvement syndical. C’est ce que propose Omar Guèye, enseignant au département d’histoire de l’Université Cheikh Anta Diop, dans son livre conçu, comme l’a précisé du reste l’auteur, «en s’appuyant sur des archives inédites et de nombreux témoignages d’acteurs des événements de Mai 1968». Au profit d’une rencontre avec la presse mardi passé, l’historien a en effet tenu à éclairer sur la genèse et les péripéties de ce mouvement d’émancipation passé au crible. «Le mouvement est intervenu dans un contexte de révolution mondiale des jeunes qui voulaient changer le monde. Au Sénégal, il  est parti d’une revendication des bourses par les étudiants», a fait savoir l’auteur, rappelant à ce propos «la réforme Fouchet», à l’origine de mesures qui ont vite rencontré le courroux des étudiants. «La 1ère partie du Bac a été supprimée (…) ; ce qui correspondait en 1968 avec l’arrivée massive d’étudiants. Pour faire face à cette situation, des mesures avaient été prises : deux essentiellement. L’une consistant à réduire les mensualités des bourses, les faisant passer de 12 à 10 mois, le taux aussi. C’est à ce moment qu’on a institué les ½ et 2/3 de bourse ; ce que les étudiants avaient contesté. C’est la cause de départ», a-t-il noté dans le livre de quatre parties dont la dernière, fruit de sa «réflexion personnelle», s’attaque aux contradictions du mouvement de Mai 1968. «Il y en avait beaucoup», a fait savoir M. Guèye, mettant en exergue sur ce plan l’illogique exigence des étudiants sur la validité de plein droit des diplômes dans un combat pour l’africanisation de l’université. «Mai 1968», c’est aussi un large focus sur ce que l’auteur a appelé «une crise dans la crise» et traitant principalement de la partition du religieux à cette perturbation sociale. «Il y a la crise dans la crise avec l’affaire des Pères dominicains qui a entraîné un conflit entre Senghor et l’Eglise», a soulevé l’historien parlant sous ce rapport d’un paradoxe. «Alors que Senghor avait le soutien des marabouts musulmans tels Serigne Cheikh Tidiane Sy, Serigne Mbacké Gaïndé Fatma et autres, l’Eglise a pris parti pour les étudiants. Il ne  comprenait pas qu’en tant que chrétien que ses coreligionnaires, les pères, puissent supporter les étudiants», a fait savoir M. Guèye. «Il y a eu une homélie le 2 juin particulièrement consacrée à la grève en des termes que le Président (Senghor) n’a pas acceptés. Et tout de suite, il a décidé d’exclure les Pères dominicains. Cette crise a été ressentie jusqu’au Vatican, à la présidence de la République française et qui s’est terminée bien après la grève des étudiants», a-t-il expliqué. L’auteur a servi des dates clés comme les 3 jours de dure répression (29, 30 et 31 mai) dans le campus, le rappel à Dieu de Lamine Guèye (10 juin), de Serigne Fallou Mbacké (août)… Autant d’éléments avec leur importance dans le déroulement de la crise que l’auteur présente, 50 années après, avec une vision plus froide.

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