C’était un fait méconnu de l’opinion sénégalaise et sud-africaine. Mais à l’aide de son ouvrage «Le Sénégal et Mandela : Le grand secret», Mamoudou Ibra Kane lève un coin du voile sur ce que le gouvernement sénégalais a fait pour Mandela et le Congrès national africain (Anc) sous les régimes de Diouf et Senghor. L’ouvrage, édité en français et en anglais aux Editions Feu de Brousse, a été dédicacé vendredi dernier.Par Justin GOMIS –

Le journaliste Mamoudou Ibra Kane est en train de creuser son sillon dans le cercle restreint des grands écrivains du pays. Après son premier ouvrage, Chronique d’une alternance de braise, le patron du Groupe E-Média, d’une plume bien trempée et racée, a publié un autre brulot. Ce nouveau «bébé», dont la cérémonie de dédicace a eu lieu ce vendredi, est porteur d’un secret et pas des moindres. Le grand secret entre le pays de la Téranga et le combattant de l’apartheid Nelson Mandela. Cet ouvrage de 73 pages, édité en français et en anglais, met à nu les actes posés par le Sénégal à l’endroit de l’ancien leader du Congrès national africain (Anc), formation politique qui a lutté contre l’apartheid en Afrique du Sud. Selon Mamoudou Ibra Kane qui lève un coin du voile dans son nouveau livre, il s’agit «de la fameuse visite de Nelson Mandela, sa troisième à Dakar, peu connue de l’opinion sénégalaise, africaine et même mondiale». Un séjour classé top secret, mais dont il est parvenu à percer le mystère. Que s’est-il passé ? A en croire l’auteur, Nelson Mandela a parcouru des milliers de kilomètres pour venir solliciter l’aide du Président Abdou Diouf. Il courait le risque avec sa femme et ses petits-enfants d’être expulsés de sa maison de Soweto pour défaut de paiement. Mandela a fait presque le tour de ses amis sans rien obtenir. Ainsi, il s’en est ouvert à son entourage le plus proche. «J’ai une gêne et vous la connaissez. A qui pourrai-je m’adresser ? Ils se sont concertés et ils lui ont dit : nous pensons c’est le Président Abdou Diouf du Sénégal.» Mamoudou Ibra Kane, ayant eu vent de cette visite et de l’aide que l’ancien Président du Sénégal a apportée à Mandela, n’a pas manqué de lui poser la question quand il en a eu l’occasion. «Je l’ai fait loger dans l’annexe du Palais. Nous avons eu une audience seul à seul à la salle des masques du Palais présidentiel. Mme Vidia Dialté, de nationalité indienne, mariée à un Sénégalais, une femme remarquable, compétente et à la discrétion absolue, était la seule personne à assister à l’audience. J’ai senti Mandela très préoccupé. Il m’exposa sa gêne d’argent en me disant : ‘’Monsieur le Président, j‘ai un problème urgent d’argent. Je suis menacé d’expulsion de ma maison de Soweto avec ma famille et mes petits-enfants risquent d’être renvoyés de l’école. J’ai exposé ma gêne devant mes camarades de l’Anc et tous m’ont répondu allez voir le Président Diouf’’. J’ai immédiatement convoqué le Premier ministre, le ministre des finances et le ministre du budget pour leur donner instruction de régler ce problème. Je leur ai demandé de faire un prêt bancaire s’il le faut, au cas où il n’y aura pas d’ordonnancement budgétaire. Dès que j’ai tendu le chèque à Mandela, il s’est levé, les larmes aux yeux et m’a dit : ‘’Merci Monsieur le Président, je ne vous remercierai jamais assez pour le service que vous m’avez rendu’’», lui a confié Abdou Diouf.

Secret d’Etat
L’ancien Président s’était-il trompé en confiant un secret à un journaliste. Ce n’est pas l’avis de l’auteur : «Le Président Diouf n’a jamais quitté sa position d’homme d’Etat et d’homme de secret d’Etat. Je trouve simplement que s’il a accepté de livrer ce secret, c’est parce qu’il y avait des circonstances particulières. Imaginez Nelson Mandela avec son épouse Winnie Mandela être expulsés de leur domicile de Soweto avec armes, bagages et baluchons pour se retrouver dans la rue et que personne ne fasse rien. Ç‘aurait été un échec, une grande honte pour ce qu’il a représenté pour nous autres Africains, pour nous citoyens du monde», s’est-il justifié. De l’avis de l’éditeur du livre Amadou Sall, «le Président Abdou Diouf a bien fait de fermer un œil sur une confidence qui a ouvert les portes de l’imaginaire à un formidable journaliste, curieux, audacieux, cultivé, intransigeant, ouvert humble».

Une affaire d’armes
Mais Le grand secret révèle un autre secret qui date de 1962 sous le magistère de Léopold Sédar Senghor. D’après Ma­moudou Ibra Kane, l’Anc avait sollicité un financement  du Président Senghor pour l’achat d’armes, mais ce dernier avait opposé un niet catégo­rique.  «Olivier Tambo, représentant de l’Anc à Dakar, rendait visite à Léopold Sédar Senghor. C’était une question de contexte, la lutte contre l’apartheid. L’Anc au début menait une lutte ouverte. C’était une politique ségrégationniste qui était insupportable. Il a sollicité des armes du Président Senghor qui oppose un niet catégorique et il faut mentionner que le Président Senghor avait fait un geste. Il avait payé leurs billets d’avion pour Dakar. Et la deuxième chose qu’il a faite, il avait donné des passeports diplomatiques aux membres de l’Anc. Abdou Diouf en 1962 aurait réagi exactement comme Senghor», croit l’auteur qui magnifie la démocratie sénégalaise. «Le Sénégal, un petit pays de par sa superficie, peut se targuer d’être une grande démocratie. Mandela avait cette gêne d’argent. Imaginez s’il s’en était ouvert à ses grands bourreaux, c’était en 1993 et un an plus tard, il allait devenir président de la République d’Afrique du Sud. Il s’adresse donc au Président du Sénégal», dit-il. A en croire Mamoudou Ibra Kane, «de Senghor à Macky Sall, en passant par Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, la diplomatie sénégalaise a été marquée par une continuité, une intransigeance exigeant parfois quelques nuances».
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