Alors que tous les regards sont tournés vers les Etats-Unis, la Chine et la Russie, ces grandes puissances qui rivalisent en Afrique, des puissances dites moyennes comme la Turquie, les Emirats Arabes Unis, le Qatar, l’Arabie Saoudite, l’Iran, l’Indonésie, la Malaisie y font une percée de plus en plus remarquable.

Ces acteurs -pas toujours nouveaux- profitent d’un théâtre africain aujourd’hui caractérisé par trois bouleversements majeurs. D’abord, après la Chine et l’Inde, l’Afrique sera le prochain champion démographique. Elle a déjà engagé un doublement de sa population d’ici 2050. Ensuite, les opinions publiques y sont tenaillées par un fort désir de souveraineté, qu’elles soient issues de régimes autoritaires comme les pays sahéliens ou démocratiques comme le Sénégal. Ce tropisme néo-souverainiste se décline dans tous les secteurs, de la défense (avec la remise en cause des accords militaires avec les Occidentaux) à la monnaie (avec le refus croissant du F Cfa). Enfin, l’Afrique d’aujourd’hui veut prendre le tournant de la transformation industrielle avec le souci de contrôler ses ressources minières, en mettant en avant l’impératif de la création de valeur et d’emplois. Dans ce contexte qui change profondément l’Afrique et les Africains, les puissances moyennes jouent une carte décomplexée, profitant de la diversification des partenariats.

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Si on sait ce qu’elles ne sont pas (elles ne sont ni des superpuissances, comme les Etats-Unis et l’Urss de la Guerre froide, ni des puissances mondiales, comme les Etats-Unis, «première puissance mondiale de l’histoire» selon Zbigniew Brzeziński, et sans doute la Chine d’aujourd’hui), les puissances moyennes se définissent par quatre traits : 1) elles font des démonstrations de puissance comme lorsque l’Afrique du Sud saisit la Cour internationale de justice en mai 2024 contre Israël pour «risque de génocide» 2) elles exercent une influence régionale ou/et sectorielle à l’instar de la Corée du Sud qui a organisé, en juin 2024, un Sommet Afrique auquel ont participé 48 délégations africaines 3) leur influence est toutefois contenue car elles font partie d’un système d’influence plus global comme la Turquie, qui a beau étendre sa diplomatie en Afrique, n’en est pas moins limitée par son appartenance à l’Otan 4) Résultat : les puissances moyennes sont contraintes de déployer des techniques indirectes de persuasion sur le terrain, par exemple des influences religieuses : la Turquie a ainsi obtenu, en 2017, du Sénégal, la fermeture d’écoles liées à Fethullah Gülen, accusé par Ankara d’être à l’origine de la tentative de coup d’Etat en 2016.

Deux cas restent incertains. La Russie cherche à passer d’une puissance moyenne eurasiatique, intégrée dans la Communauté des Etats indépendants et protégeant ses intérêts régionaux en Ukraine et en Géorgie, à une puissance mondiale qui se déploie au sein de l’Organisation de coopération de Shanghai jusqu’en Afrique avec Wagner, devenu Afrika Corps, qui y relaie des opérations de propagande. Egalement, l’Inde, pays le plus peuplé du monde et 3ème puissance économique mondiale, a su se projeter en Afrique grâce à la longue présence de sa diaspora à l’Est du continent et l’héritage idéologique du mouvement des non-alignés. L’incertitude de la position de la Russie et de l’Inde tient au fait qu’elles ont davantage d’impact que les puissances moyennes, mais moins que les puissances mondiales. Elles ont des caractéristiques des deux groupes. Le temps nous dira où elles tomberont.

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De fait, les puissances moyennes se répartissent en trois groupes, selon la profondeur de leur engagement en Afrique : Emirats Arabes Unis, Inde, Brésil, Turquie (Niveau 1), Iran, Indonésie, Arabie Saoudite, Qatar (Niveau 2) et Corée du Sud, Japon, Malaisie, Israël, Allemagne (Niveau 3).

Leur montée en puissance tient essentiellement au retrait des anciennes puissances coloniales en Afrique dont l’expression la plus éclatante a été celle de la France au Sahel. Il faut aussi relever l’affaiblissement relatif des superpuissances en Afrique mesuré récemment par l’institut Gallup, qui montre que la Chine dépasse désormais les Etats-Unis en popularité sur le continent en 2023. La position dominante chinoise elle-même n’est plus si assurée : si, depuis 2000, la valeur des échanges Chine-Afrique a été multipliée par près de trente, pour atteindre 282 milliards de dollars, faisant de la Chine le premier partenaire commercial de l’Afrique, les prêts officiels chinois, de plus en plus frappés de suspicion, atteignent en 2022 moins d’1 milliard de dollars pour la première fois en 18 ans, selon l’Initiative mondiale pour la Chine de l’Université de Boston. Lorsque les puissances mondiales sont moins impliquées, il y a un vide que les puissances moyennes se sont empressées de combler et de… cristalliser par la création de groupements régionaux dont le plus emblématique est les Brics, rejoints désormais par trois pays africains, l’Afrique du Sud, l’Ethiopie et l’Egypte.

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De toutes les façons, les outils d’influence que les puissances moyennes déploient en Afrique sont différents de ceux des puissances classiques. Ainsi, ils ne se limitent pas aux outils militaires privilégiés par la Russie, premier fournisseur d’armes du continent. Ils couvrent une palette très diversifiée d’initiatives. Au niveau des investissements, les Emirats Arabes Unis se sont imposés en devenant le troisième investisseur en Afrique au cours de la dernière décennie, derrière la Chine et les Etats-Unis, avec Dubaï Ports World, l’un des plus grands opérateurs portuaires du monde, en tête de pont. Plus méconnue, l’influence culturelle des puissances régionales a été déterminante ces dernières années. Ainsi, les investissements de l’Arabie Saoudite dans les systèmes éducatifs d’Afrique de l’Ouest ont fait progresser l’usage de la langue arabe. Les diasporas indiennes ont servi de point d’appui efficace à la stratégie indienne dont les films qui ont fait le succès de Bollywood participent, d’une certaine manière, à la guerre de l’information. La chaîne qatarie Al Jazeera et l’agence de presse turque Anadolu couvrent efficacement le continent. Bon nombre de puissances moyennes diffusent leurs messages dans les langues locales africaines, à l’image des programmes turcs Trt et Natural Tv, qui proposent des émissions en haoussa et en swahili, et des séries télévisées populaires dans de nombreux pays. Le Brésil dont la moitié de la population est originaire d’Afrique, a multiplié les ouvertures d’ambassades sous Lula.
Dans ces conditions, ces puissances moyennes ont considérablement gagné en influence politique. Ainsi, l’Inde a tiré profit de sa présidence du G20 en septembre 2023 pour pousser et revendiquer l’entrée de l’Union africaine au sein de cette instance comme membre permanent. En 2015, le Niger, le Tchad et la Mauritanie ont rejoint la «Coalition sunnite contre le terrorisme», créée par l’Arabie Saoudite.

Si aucune de ces puissances moyennes n’a été en mesure de remplacer les puissances mondiales traditionnelles que sont les Etats-Unis et la Chine en termes de volumes d’engagement, leur influence croissante sur le continent les met en position de tailler des croupières à celles-ci. Mais la compétition ne profitera pas à tout le monde à long terme, de la même manière. Sans doute l’avenir appartient aux puissances qui sauront exploiter les recompositions en cours en formant des alliances complémentaires et gagnantes. Sans doute est-ce la raison pour laquelle des rapprochements se font entre les Etats-Unis et l’Inde ou encore entre la Russie et l’Iran. D’autres puissances régionales devront sans doute clarifier leurs intentions vis-à-vis de l’Afrique à l’instar des Emirats Arabes Unis, dans la guerre civile sanglante du Soudan, pour préserver leur avantage comparatif vis-à-vis d’opinions publiques africaines informées et conscientisées sur ce qui se passe chez elles. Du côté de l’Afrique, au regard de ces mêmes aspirations néo-souverainistes, elle ne saurait se contenter d’être l’objet de convoitises. Pourtant, du côté des puissances moyennes locales, aucun des champions économiques africains, l’Afrique du Sud, l’Egypte ou le Nigeria, n’a été en mesure jusqu’à présent de mener à bien un projet panafricain susceptible d’emporter la conviction du continent.

Sur le papier, bien que l’Afrique du Sud, pays de Nelson Mandela, ait des atouts, sa politique étrangère ambiguë et le souvenir des attaques xénophobes contre les immigrés nigérians en 2020-2022 font que Pretoria peine à jouer ce rôle. Deuxième économie d’Afrique en 2023, l’Egypte n’a jamais convaincu quant à son engagement sur le continent, comme l’ont prouvé la conflictualité entretenue avec l’Ethiopie ou sa présidence décevante de l’Union africaine en 2019, où elle avait été incapable de jouer un rôle de médiateur en Libye. Certaines attitudes, comme la plainte d’officiels égyptiens au sujet de la représentation d’une Cléopâtre noire sur Netflix en avril 2023, nuisent également à sa réputation. Enfin, le Nigeria, première population d’Afrique et grand producteur de pétrole africain, doit encore réussir à prendre en charge certains défis continentaux qui dépendent beaucoup de lui à l’instar de la nouvelle monnaie Eco, la Zone de libre-échange continentale africaine et la Cedeao qu’elle préside actuellement.

Après le siège permanent au sein du G20, les Africains ne pourront pas éluder cette question plus longtemps s’ils veulent atteindre leur prochain objectif -un ou plusieurs sièges permanents au Conseil de sécurité des Nations unies. Il appartiendra alors au Nigeria, à l’Afrique du Sud ou, pourquoi pas, au Senegal qui en avait aussi exprimé la volonté, de s’élever au rang de puissance régionale africaine, primus inter pares.

Par Rama YADE – Directrice Afrique / Atlantic Council