Le Sénégal est à la croisée des chemins. Alors que le pays affronte une crise budgétaire d’une gravité inédite, marquée par la suspension du programme d’aide du Fmi et une dette publique désormais estimée à 119% du Pib selon Barclays, le Premier ministre choisit de s’attaquer à la Justice plutôt que de rassembler les institutions. Ce choix n’est pas seulement irresponsable. Il est potentiellement suicidaire pour la stabilité de l’Etat, tant il est incompréhensible de voir un chef du gouvernement en croisade contre les fondements-mêmes de sa propre République.
En s’érigeant en «citoyen» pour vilipender les magistrats, Ousmane Sonko tente une manœuvre grossière : dissocier sa fonction de ses pulsions politiques. Mais cette posture est intenable. Il est Premier ministre, chef du gouvernement, et ses paroles engagent l’Etat.
Lorsqu’il attaque la Justice, il ne parle pas en militant, il parle en dépositaire de l’autorité publique. Et ce qu’il fait, c’est affaiblir l’un des piliers essentiels de notre République.
Disons-le clairement : le Sénégal ne peut se permettre d’ajouter une crise institutionnelle à une crise économique majeure.
Ce bras de fer, possible, entre l’Exécutif et le Judiciaire survient au pire moment. Le Fonds monétaire international, dans un communiqué publié en juin 2024, a suspendu son programme d’1,8 milliard de dollars, évoquant des «écarts budgétaires majeurs et une transparence insuffisante dans l’exécution des dépenses publiques». Le pays se retrouve ainsi privé d’un soutien budgétaire vital, alors que les besoins de financement explosent et que la crédibilité de l’administration économique est en berne.
Le rapport publié par Barclays Africa Research en mai 2025 a sonné comme un coup de tonnerre : «le Sénégal est exposé à un risque de surendettement comparable à celui de pays en situation de crise prolongée. Une dette à 119% du Pib est insoutenable sans un plan d’assainissement crédible», souligne l’économiste principal du groupe. Les marchés ont aussitôt réagi : les obligations souveraines sénégalaises ont chuté de 9, 1%, un effondrement plus brutal encore que celui observé pour l’Ukraine en pleine guerre.
Face à cette défiance généralisée, le Sénégal est désormais contraint d’emprunter à des taux exorbitants, réduisant à néant ses marges d’investissement public et hypothéquant toute ambition de relance à court terme. Dans un récent panel à la Banque africaine de développement, l’économiste Carlos Lopes résumait la situation : «Un pays dont les dirigeants attaquent leurs propres institutions, tout en réclamant la confiance des investisseurs internationaux, s’expose à l’isolement économique.»
Dans ce contexte, l’attaque contre la Justice n’est pas un simple écart de langage. C’est une stratégie de polarisation : un pari dangereux visant à détourner notre attention de l’incapacité à gouverner, en exacerbant les tensions institutionnelles. Mais ce pari pourrait coûter très cher. On ne gouverne pas un pays au bord du défaut de paiement avec des slogans ; encore moins en prenant le risque de saper les institutions garantes de l’Etat de Droit.
Le Sénégal est en danger. Il est temps que les forces démocratiques, Parlement, Société civile, presse libre et tous les citoyens veilleurs fassent bloc pour défendre la République. Il ne s’agit pas d’un débat partisan, mais d’un combat pour la survie de l’Etat de Droit, la stabilité des institutions et la crédibilité internationale du pays.
Il n’est pas encore trop tard. Mais le compte à rebours, lui, a déjà commencé.
Théodore Chérif MONTEIL
Ancien Député
Citoyen veilleur