La Rentrée solennelle des cours et tribunaux, qui s’est tenue hier, a été l’occasion pour le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, dans son plaidoyer pour une Justice forte et indépendante, de dire qu’«il faut débarrasser la Justice de ses maux, l’humaniser et la rendre au nom du Peuple». Cette invitation, bien que noble, est à confronter à une réalité de faits récents qui ne donnent pas beaucoup espoir quant à la matérialisation d’un tel vœu avec sincérité. Depuis quelques mois et les sorties distinguées du tout-puissant Premier ministre sur le fonctionnement de la Justice, on est à même de se demander si ce pouvoir ne sera pas transformé en une vulgaire épée pour combattre des adversaires politiques, brimer des opposants, bâillonner des libertés et justifier d’un sceau de légalité tous les abus. Nous n’avons pas fini de parler de l’assaut hostile lancé par le pouvoir Pastef contre le maire de Dakar, Barthélemy Dias, pour le déposséder de son mandat, que tout un dispositif appelant au pire prend forme avec le démarrage des activités du Parquet financier.
Il est normal, dans un pays, que ceux qui ont eu à exercer des responsabilités publiques rendent compte et clarifient tous leurs faits de gestion. Il est aussi normal que la Justice, à la suite d’audits et de missions d’inspection, suive les recommandations des corps de contrôle pour mener des poursuites contre d’éventuels fautifs. Toutefois, ce que je ne peux pas concevoir, c’est tout le cafouillage entourant les récentes sorties du Parquet financier pour aviser de ses actions futures et surtout de la logique que certaines officines du pouvoir ont de préparer l’opinion. Il serait bien de n’inculper personne ou de ne disculper qui que ce soit, avant que la Justice fasse son travail. C’est bien le président de la République qui convoque les griefs de citoyens lors des Assises de la Justice pour proposer les meilleures réformes afin de moderniser et rendre humaine la Justice. On ne peut alors s’accommoder qu’avant des poursuites judiciaires, un individu, fusse-t-il le plus puissant de l’échiquier politico-institutionnel actuel du Sénégal, puisse prédire les déboires de citoyens avec la Justice ou balancer des pistes sur d’éventuelles opérations que devront mener des magistrats.
La Justice est une autorité d’équilibre entre les pouvoirs législatif et exécutif, le Président Faye soutiendra devant les magistrats hier que «la justice est le régulateur entre différents pouvoirs et les institutions, la gardienne des libertés individuelles et collectives». Que le président de la République sente le besoin de nous rappeler une telle vérité fait sens dans un contexte où face aux premières sorties du Parquet financier dakarois, une meute de procureurs dans nos médias et d’inquisiteurs à la sauvette pullulent sur les réseaux sociaux pour promettre de grands buchers. A les entendre, les jugements sont déjà faits et tout est en œuvre pour qu’il y ait du sang et des peines. C’est dans ce pays que des instructions prennent naissance dans un contexte aussi pollué qu’on souhaite qu’une certaine équanimité puisse habiter les juges, afin que leurs décisions ne reflètent que détachement, intégrité et sérénité. Si on veut vraiment aider la Justice au Sénégal, il faudrait éviter de vêtir ses actions avec les interférences intempestives du politique. Les tenants actuels du pouvoir étaient assez volubiles sur la nécessité de donner à la Justice les moyens de son indépendance, en opérant une rupture totale. Pour l’heure, ce qu’on peut voir n’est guère rassurant. La reddition des comptes risque de se muer en chasse aux sorcières.
Toujours dans le fonctionnement récent de la Justice, on peut se dire que tous les acteurs de l’espace public sont habités par le spectre des poursuites à n’en plus finir pour les délits d’opinion. Les poursuites baillons si on ose le dire, commencent à faire leur lit dans notre arsenal juridique, les libertés élémentaires d’informer et de critiquer seraient-elles en sursis ? C’est un Etat tout puissant dont les tenants actuels ont usé et abusé de tous leurs droits de critiques qui se fait désormais rigide pour taper sur tout. Si un tel Etat nous dit qu’il s’interroge sur le droit de grève et ses limites, malgré la présentation très renseignée et argumentée du Premier président de la Cour suprême, Mouhamadou Mansour Mbaye, un esprit malicieux peut ouvrir des brèches dans sa tête !
On a beau jouer la corde d’une nécessaire reddition des comptes avec tout le zèle populiste qui va avec, ça ne ménagera pas pour autant l’Etat sénégalais et l’actuel gouvernement de ses rôles d’opérateur économique et social, ainsi que de sa mission distributive voire redistributive. Les régimes des présidents Wade et Sall, qui avaient à leur aurore voulus blanchir les prés d’un Etat répressif à outrance avec une Justice qui aurait réponse à tout, on finit par se raviser.
Il faudra à un moment répondre aux problèmes de l’heure qui sont économiques. On aura beau tourner autour du pot, cette réalité rattrapera forcément tout le pays. Quand les activités portuaires sont en chute libre, quand les activités immobilières d’un pays sont complétement à l’arrêt, quand la masse monétaire en circulation est à un de ses pires niveaux, on peut se dire que tout pouvoir peut se trouver une bouffée d’oxygène en s’attaquant à une possible criminalité à col blanc. C’est un bon os à ronger pour tout un Peuple, en attendant que du pain et de l’ouvrage viennent répondre aux aspirations partagées.
Le tableau de la cérémonie d’hier mérite un regard curieux et taquin, après tout. C’est en France que la Première présidente de la Cour de cassation ainsi que le Procureur général auront été absents à l’intronisation du président de la République qui reste le garant de leur indépendance. Au Sénégal, nos magistrats auront su partager une assemblée avec des gens qui, par la force et le charme de la démocratie, ont aujourd’hui les pleins pouvoirs. Toutefois, on ne cherchera pas loin pour trouver des livres d’insultes et des chapelets de vœux malicieux à l’encontre de ceux qui incarnent la Justice, par ceux qui doivent garder les armoiries de notre République. La vie est un fleuve au cours tortueux ! On peut s’amuser à regarder certaines réactions plus ou moins gênées, tout le long de la cérémonie d’hier. C’est dur de devoir aimer quand on a eu à haïr et médire par ignorance.
Le président de la République dit vouloir une justice humaine et rendu au nom de chaque Sénégalais, je le prends au mot. La vie judiciaire des prochains mois suffira comme juge pour sa conscience et la sincérité de son vœu.
Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn