Au sujet du report de l’élection
Jamais auparavant l’expression consacrée aux «tenants et aboutissants» n’aura autant pris son sens qu’en cette période délicate de février 2024 que traverse le Sénégal. Le sujet politique est extrêmement tendu et polarisé : on a beau le tourner dans tous les sens, l’on ne parvient pas à ajuster le puzzle pour savoir à quel but on joue. Pour celles et ceux qui auraient besoin d’une petite «update» pour connaître quelques tenants (pour les aboutissants, il faudra patienter), nous allons conter ci-dessous comme une fiction commandée par la prudence par les temps de répression qui courent. Voici donc l’histoire du Régent Massaly, plénipotentiaire de la République du Tamarin, en poste depuis une douzaine d’années.

Les sentiments qu’éprouvaient ses administrés à son égard étaient assez antinomiques : ses affidés lui vouaient une admiration dévouée et inébranlable, tandis que ses adversaires lui portaient un ressentiment et une rancune affichés et assumés, nourris sans doute par la crainte que suscitaient ses geôles. Manifestement donc, l’unanimité lui était loin d’être gagnée. Epuisé et sentant proche la fin de l’aventure, il décida, contre toute attente, de respecter l’échéance que les textes lui édictaient, en s’engageant solennellement à quitter ses fonctions dès leur terme arrivé. La nouvelle fut plutôt bien accueillie et il en résulta même des acclamations et félicitations des plus inattendues. Il avait posé un acte louable qui lui permettrait de sortir par la grande porte, et non par le trou de souris, comme certains de ses pairs des pays voisins qui s’était égarés dans des promesses non tenues. Dès lors, il se consacra à peaufiner la fin de sa régence, accélérant ainsi la cadence pour finaliser ses projets. Ses affidés témoigneront même de son empressement à mettre de l’ordre dans ses affaires et à faire ses mallettes, révélant même que Massaly souhaitait secrètement mettre un terme à la misère solitaire des grands dirigeants, se reposer, voire se consacrer à d’autres activités de représentation.

Le conseil des potestas, composé de sept édiles parfaitement respectables, se retrouvait donc avec la lourde responsabilité d’organiser sans imbroglio le processus de succession et d’en faire respecter scrupuleusement toutes les règles. Massaly, Régent très structuré, avait toutefois pris la peine de désigner une personne de confiance qui lui succèderait aux affaires. Cependant, le doute planait sur la capacité et les aptitudes du successeur désigné, et les sentiments envers lui étaient gravement mitigés. Sans parler des railleries et invectives qui fusaient à son endroit. Bien que ce dernier semblât vivement contesté de l’intérieur comme de l’extérieur, la machine de succession se mit tout de même en branle et rien ne semblait plus pouvoir l’arrêter. Les procédures furent librement ouvertes à tous les prétendantes et prétendants. Pour la première fois dans l’histoire politique de la République du Tamarin, tout semblait aller pour le mieux.

Mais c’était sans compter avec les couacs et hics qui se dévoilèrent au fur et à mesure. Il se murmurait que les potestas peinaient à délivrer le service promis par le Régent lors du dialogue national. Comme raccourci, prenons un exemple. Ce serait comme un examen académique au cours duquel il était reproché aux examinateurs de n’avoir pas pris le soin de garantir les prérequis les plus rudimentaires. Disons qu’il aurait manqué des feuilles blanches et des buvards rouges, certains candidats n’auraient pas trouvé de stylos à leurs pupitres, d’autres n’auraient pas reçu leurs convocations, que certaines épreuves auraient fuité ou seraient introuvables ou que même des candidats auraient fâcheusement triché. Bref, un cafouillage innommable et inédit que l’on n’aurait pas le temps de lister ici. Bien évidemment, le processus et les «processeurs» (humains et informatiques) furent jetés en pâture et traînés dans la boue, faisant l’objet de toutes sortes et formes de contestations, de dénigrements et d’accusations de la part des prétendants. Le délitement du processus devint alors le sujet favori de discussion, faisant les choux gras des médias et nourrissant les palabres dans les tavernes et autres gargotes.

Comme voie de salut, les prétendants et adversaires dits «spoliés» jugèrent nécessaire de rencontrer le Régent. C’est alors qu’ils sollicitèrent «tchi djèek» son intervention dans la résolution de la discorde, lui taillant ainsi la part belle de Médiateur d’honneur. En toute courtoisie, Massaly les reçut tous, à l’exception des plus farouches qui ont boudé le rendez-vous. Le Régent les écouta et leur servit son classique : «Je vous ai entendus.» Puis, retranché dans ses appartements déjà vidés, à tête froide, après moult et mûres réflexions, au vu de tous les manquements et méfaits qui lui avaient été communiqués, il finit par se faire sa propre idée de la situation. De fil en aiguille, il parvint à se convaincre qu’il était finalement plus sage pour lui de rester afin de veiller himself au bon déroulement du processus. Après tout, qui d’entre nous ne se délecterait pas de son indispensabilité ? Les mauvaises langues parlèrent de sabotage et les farouches adversaires de préméditation, disant que c’était la dernière carte de Massaly pour retirer légitimement la promesse non tenable et faite du bout des lèvres de libérer son fauteuil le moment venu. Les affidés, eux, continuèrent de penser que le moment soit venu, il n’était pas assez opportun pour que Massaly se risque à laisser les rênes de Jaffar à des édiles et des adversaires qui avaient encore à faire leurs preuves. «A bien petite occasion, le loup prend le mouton», dit-on. Chacun y allait de sa version. Toutefois, cette lecture restait un peu élémentaire, un tant soit peu manichéenne. Car il faut avouer que le sujet est aussi complexe que le paradoxe de la poule et de l’œuf. Et que dans le cas d’espèce, on pourrait sans sourciller se poser la question suivante : est-ce le larron qui a créé l’occasion ou est-ce l’occasion qui a fait le larron ? C’est une question ouverte à débat. Mais bon, retournons au récit.
Ainsi, sans s’encombrer d’un plébiscite ou d’une quelconque consultation populaire, car le temps (lui) était compté, le Régent décida tout seul (ou en conclave) de s’adresser à ses administrés tous confondus pour une annonce de grande antenne : il leur apprit donc grosso modo qu’il avait déclenché une procédure qui allait recaler le processus sine die (ce qui induirait qu’il puisse préserver ses prérogatives jusqu’à une date ultérieure).

L’adresse fut nucléaire ! Elle fut immédiatement reniée et attaquée par les prétendants, adversaires et une partie des administrés, en même temps qu’elle fut immédiatement plébiscitée et entérinée par une assemblée de représentants en service commandé. Tant pis si on ne sait jamais ni dans quel ordre ni à quelle ampleur.

Tristement, tout ce qui restait désormais aux administrés et adversaires désabusés et désemparés était de jouer aux devinettes et à la courte paille. Toutes les théories et projections y sont passées, dans un flot interminable de questionnements. Sur Massaly d’abord : combien de temps comptait-il rester en régence ? Allait-il désigner un nouveau successeur ? Garderait-il le même qui avait failli à convaincre la majorité ? Massaly allait-il respecter la date échue de sa régence ? Allait-il laisser le chef de l’assemblée des représentants assurer la suppléance le temps que le processus redémarre ? Lui serait-il permis de candidater à nouveau pour la régence lors du prochain processus fixé à la veille de Noël ? Laissera-t-il ses geôliers continuer de faire subir leur joug aux farouches adversaires ou fera-t-il preuve de clémence ? Le Régent Massaly finirait-il, comme ses pairs, par se faufiler dans le trou de la souris alors que le béant portail d’honneur lui avait déjà été balisé ?

Sur le successeur : quid de la dignité et de l’estime de soi du successeur désigné ?

Sur le processus : le jour J du processus de la veille de Noël, qui les administrés choisiront-ils comme Régent ?

Sur les adversaires et prétendants : n’avaient-ils pas prêté le flanc en confessant leurs préoccupations au Régent ? Avaient-ils vraiment commis des méfaits prémédités qui ruineraient le processus et donné ainsi le bâton pour se faire battre ? Avaient-ils, comme on dit au football, «créé l’occasion» ?

Sur les potestas : pourquoi n’ont-ils pas réussi à asseoir leur crédibilité de grands sages ? Se seraient-ils réellement compromis malgré leur serment de garantir un processus fiable et sans équivoque ?

Enfin, que retiendra-t-elle de toute cette histoire ? L’Histoire pardonne-t-elle à un Régent d’user de sa magistrature suprême et des pouvoirs à lui conférés pour prendre des décisions impopulaires, sans appel, et susceptibles de décevoir une grande partie de ses administrés pour satisfaire ses préoccupations personnelles ? A moins qu’il ne planât une menace sérieuse sur le territoire ? Et si finalement le territoire avait été réellement menacé et que seul Massaly, le Régent plénipotentiaire, pouvait sauver Jaffar ?

Et si, et pourquoi, et comment ? Et tant, et tant, et tant d’autres questions en suspens !

Tandis que toutes ces interrogations foisonnent, nous n’allons manquer, à la mode De La Fontaine, d’en extraire un chouia de bon sens et de moralité : au-delà des leçons à tirer par toutes les parties prenantes, nos réflexions et questions les plus persistantes devraient se concentrer davantage sur la morale, l’éthique, la rigueur, la valeur de la parole donnée et le sens de responsabilité de la chose confiée, pour le plus grand bien des administrés et pour leur liberté de choisir.
Cela dit, avant de conclure, il y a une question déterminante qui n’a pas encore été posée. Au vu du préjudice moral et du dommage réputationnel que cette histoire porte à tous (le Régent, les potestas, les adversaires, la République de Tamarin elle-même), finalement, le crime profite-t-il réellement à quelqu’un, et si oui à qui ?
Bon, on va s’épargner les migraines et se donner rendez-vous pour en reparler, une fois que tous les tenants et les aboutissants seront dévoilés.
Awa Ngom DIOP TELFORT
NB : les mots régent et plénipotentiaire ont été volontairement détournés de leur sens primaire pour servir la satire du texte