Raffinerie Dangote : Deuil à Genève

En présence des sommités politiques et économiques du continent, ce 22 mai 2023 fera date sur le continent. En effet, la première raffinerie privée du continent, installée au Nigeria, initiée et mise en œuvre par la première fortune d’Afrique, Aliko Dangote, démarre ses activités industrielles avec l’ambition de sortir l’Afrique de l’Ouest des griffes des négociants genevois.
Un échafaudage d’alliage de toutes sortes et de tuyaux, la méga-raffinerie de Dangote ambitionne de couvrir les besoins du Nigeria en essence, gasoil et kérosène en transformant les deux tiers de la production de brut du pays. Un brut avec une teneur en soufre très faible, qui facilite son raffinage et alimente d’ailleurs le vol de pétrole le long du Delta du Niger et la prolifération de raffineries clandestines.
C’est un accomplissement majeur pour l’Afrique et son secteur privé. Ce fleuron industriel de 18, 5 milliards de dollars porte les ambitions d’un pays gigantesque et riche avec une population de 215 millions d’habitants, 1er Pib du continent avec 550 milliards de dollars Us et qui extrait de son sous-sol pas moins de 1 000 000 de barils par jour, loin du pic de trois millions de barils il y a dix ans avec des réserves qui atteignent 37 milliards de barils de brut. C’est un eldorado énergétique si nous y ajoutons le gaz.
Pour pallier son déficit chronique en produits pétroliers raffinés, le Nigeria échange souvent son pétrole brut contre du carburant importé, qu’il subventionne par la suite, pour garder un prix artificiellement bas sur le marché, créant un gouffre financier énorme. Ainsi, en 2020, le géant économique de la Cedeao a dépensé 7, 78 milliards de dollars pour importer des produits pétroliers raffinés. En 2021, ces importations ont augmenté de 45% pour atteindre 11, 3 milliards de dollars, d’où le soulagement avec la raffinerie Dangote.
Avec l’obsolescence des raffineries publiques sur le continent, les traders et négociants genevois ont fait de l’Afrique, avec le Nigeria en tête, leur chasse gardée. On estime à plus de 6 millions de barils quotidiens les besoins dans les dix prochaines années pour le continent africain. La demande de produits pétroliers raffinés est trop lucrative sur le continent, malgré la fiscalité et la parafiscalité élevées. Ainsi, les marges sont aussi parmi les plus élevées du monde, de l’ordre de 5 à 10% -dans un contexte où la capacité de raffinage du continent est en chute libre. Ainsi, les géants internationaux du secteur, Glencore, Trafigura, Vitol, Mercuria et Oryx Energies, pilotés et détenus par des Européens, occupent une position dominante sur le continent. Ils sont tous installés en Suisse, à Genève notamment, et font valser tankers et méthaniers à partir des ports d’Anvers-Rotterdam-Amsterdam. Les produits pétroliers qu’ils vendent et acheminent sur le continent, souvent aux prix forts, ne respectent aucune norme environnementale et sanitaire, mais comme nos raffineries sont presque à l’arrêt, l’Afrique, avec des législations inadaptées, un contrôle inexistant et les maffias politico-affairistes de pays du continent, ferme les yeux de peur d’émeutes et soulèvements populaires pour cause de pénurie d’essence et d’électricité. Leur oligopole est parmi les plus lucratives dans le commerce entre l’Europe et l’Afrique. Déjà, Vitol, le géant genevois, caracole en tête avec plus de 300 milliards de dollars Us de chiffre d’affaires dans ses activités avec l’Afrique.
Et comme l’appétit vient en mangeant, des sociétés comme Puma (filiale de Trafigura) et Vivo Energy (Groupe Vitol) s’y sont taillé de vastes empires pétroliers. Elles contrôlent la distribution d’essence du Maroc au Mozambique (où Vitol détient 100% du marché), et l’Afrique apporte plus du quart de ses profits à Trafigura. Elles profitent de nos économies désarticulées.
D’autres grands acteurs comme Gunvor ou Litasco (tous deux basés à Genève), figurent parmi les nouveaux fournisseurs de produits pétroliers en Afrique, un marché en croissance rapide avec la mobilité de la classe moyenne sur le continent et la demande d’électricité.
Avec l’arrivée de la méga-raffinerie de Dangote, la mise à niveau de la Sir et de la Sar, c’est le deuil qui commence pour les négociants genevois peu scrupuleux, selon l’Ong Public Eye. Aliko Dangote leur a asséné le coup fatal avec son œuvre pharaonique. Dakar, Abidjan, Johannesburg et Rabat leur préparent l’estocade finale. L’Afrique enfin se réveille.
Moustapha DIAKHATE
Ex Cons. Special Pm
Cons. Et Expert Infrastructure