Dans un nouveau rapport de Civicus, plateforme de recherche mondiale qui évalue la situation en matière de libertés, la situation du Sénégal s’est améliorée, passant de la catégorie «réprimé» à «entravé». Mais, il reste encore beaucoup de progrès à faire pour sortir de la zone grise. 

Par Dieynaba KANE – L’espace civique du Sénégal a été amélioré sur la liste de surveillance de Civicus. Dans un nouveau rapport de cette plateforme de recherche mondiale qui évalue la situation en matière de libertés civiques, y compris la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique dans 198 pays et territoires, il est annoncé que le Sénégal est passé de la catégorie «réprimé» à «entravé». Selon les auteurs du document, «l’espace civique du Sénégal est toujours restreint, avec de nombreuses violations des libertés de la presse, mais la mise à niveau reflète certains progrès deux ans après une répression meurtrière contre les manifestants». De même, ils expliquent que «l’amélioration» du classement du Sénégal, détaillée dans le rapport 2025, fait suite à un changement de gouvernement, à des élections législatives anticipées pacifiques en novembre 2024 et à l’adoption d’une loi sur la «protection des lanceurs d’alerte en août 2025». Autre explication donnée concernant l’amélioration de la note du Sénégal : «Le nouveau gouvernement du pays a également pris des mesures pour que les responsables des abus passés rendent compte de leurs actes, en offrant une aide financière aux familles des personnes tuées lors des manifestations de 2021-2024 et en révisant une loi controversée qui accordait l’amnistie aux auteurs d’homicides commis lors des manifestations.»

Cependant, fait remarquer la liste de surveillance Civicus, «les journalistes au Sénégal continuent de faire face à des arrestations et à un harcèlement judiciaire en raison de leurs reportages». Dans le rapport, les auteurs sont revenus sur l’arrestation de certains hommes de médias critiques envers les autorités. «Malgré les améliorations apportées par les nouveaux dirigeants du pays, les autorités ont toujours affiché un manque de tolérance inquiétant envers la presse libre. Par exemple, en avril 2025, les Forces de sécurité ont arrêté les journalistes Simon Pierre Faye et Bachir Fofana pour avoir soi-disant diffusé de fausses nouvelles. Le même mois, ils ont arbitrairement arrêté les journalistes d’Al Jazeera Nicolas Haque et Magali Rochat, qui couvraient le retour des personnes déplacées par le conflit, et emprisonné le chroniqueur Abdou Nguer pour une publication sur les réseaux sociaux. Nguer a passé sept mois derrière les barreaux avant sa libération. De plus, le gouvernement a suspendu 381 médias pour non-respect de la réglementation, démontrant que les autorités exercent toujours un contrôle important sur le paysage médiatique», ont-ils regretté.

Analysant cette situation, Dr Baiye Mbu, chercheur pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre pour la liste de surveillance Civicus, cité dans le document, fait savoir que «les violations répétées de la liberté de presse au Sénégal sous les nouveaux dirigeants du pays sont des rappels flagrants de l’environnement précaire pour les médias dans le pays». Et d’indiquer : «Les autorités doivent abroger les lois restrictives comme l’article 255 du Code pénal, qui est utilisé pour ériger en infraction le journalisme, et veiller à ce que la reddition des comptes s’agissant des abus passés et présents ne soit pas seulement une promesse, mais une réalité.» Poursuivant ses propos, il ajoute que «cette mise à niveau est un signe qu’avec la volonté politique, les reculs sur les droits peuvent être arrêtés, voire inversés». Appelant à «célébrer cette étape positive», Dr Baiye Mbu estime que «pour que le gouvernement sénégalais consolide véritablement ces acquis, il doit maintenant s’appuyer sur ces progrès, d’abord et avant tout en mettant fin à ses restrictions sur les médias et en permettant aux journalistes de couvrir librement tous les sujets et dans n’importe quelle partie du pays».

Jimm Chick Fomunjong, chef de l’unité de gestion des connaissances au West Africa Civil Society Institute, un partenaire de recherche de la liste de surveillance de Civicus en Afrique de l’Ouest, a pour sa part plaidé pour plus d’efforts. «Dans toute l’Afrique de l’Ouest, le Sénégal est grandement admiré pour ses avancées démocratiques au fil des ans. Il est important que cette appréciation soit accompagnée d’efforts significatifs visant à promouvoir les libertés civiques, en particulier la protection des journalistes dans le pays. Ces efforts se traduiront par la consolidation des acquis démocratiques obtenus jusqu’à présent», a-t-il déclaré. Par ailleurs, il est précisé qu’au «cours des deux dernières années, le score du Sénégal a augmenté de 16 points, passant de 31 à 47, passant du niveau inférieur «réprimé» au niveau intermédiaire «entravé»».
Selon les auteurs du rapport, «une classification dans la catégorie «entravé» signifie que l’espace civique est fortement contesté, avec des obstacles juridiques et pratiques entravant les activités de la Société civile». Et, informent-ils, «il y a 39 pays au total appartenant à cette catégorie dans le monde en 2025, dont le Ghana, la Côte d’Ivoire et la France».
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