Le rapport de Human rights watch (Hrw) sur la situation des enfants talibés au Sénégal est accablant. Dans le document rendu public hier, l’Ong fait état de plusieurs cas de décès entre 2017 et 2018 à cause d’abus, d’actes de négligence ou de mise en danger de la part de maîtres coraniques ou de leurs assistants.

Au Sénégal, entre 2017 et 2018, 16 enfants talibés sont décédés à cause d’abus, d’actes de négligence ou de mise en danger de la part de maîtres coraniques ou de leurs assistants. La révélation est de l’Ong Human rights watch qui a publié son rapport hier, intitulé : «Graves abus contre des enfants talibés au Sénégal, 2017-2018.» Ces cas de mort ont eu lieu dans les régions de Saint-Louis, Diourbel et Thiès. En effet, le document précise que parmi ces enfants, âgés de 5 à 15 ans, 3 sont décédés des suites de coups violents, 4 dans deux incendies de daaras, 5 dans des accidents de la route alors qu’ils mendiaient ou évitaient de rentrer au daara, et 4 de maladies non traitées. En outre, l’enquête révèle que 9 de ces décès ont eu lieu en 2018, dont 2 suite à des passages à tabac, respectivement à  Touba dans la région de Diourbel, en avril 2018, et à Mpal, situé dans la région de Saint-Louis, en mai 2018.
Par ailleurs, le rapport a recensé également 61 cas de passage à tabac ou d’abus physiques perpétrés à l’encontre de talibés en 2017 et 2018, 15 cas de viol, tentatives de viol ou abus sexuels, et 14 cas d’enfants emprisonnés, attachés ou enchaînés dans un daara. Les investigations déterminent en effet que ces abus auraient tous été commis par des maîtres coraniques ou leurs assistants.
Pour n’avoir pas rapporté le versement quotidien exigé après être sortis mendier, selon le rapport dans 43 des cas d’abus documentés, des enfants s’étaient fait battre par un marabout ou son assistant. Et parmi les 14 cas de talibés emprisonnés ou entravés, dit l’Ong, un grand nombre d’entre eux se retrouvant dans une salle comparable à une cellule avec des barreaux ou un grillage aux fenêtres. Il poursuit que certains ont été séquestrés pendant des semaines voire des mois. D’ailleurs, le témoignage d’un talibé rapporté dans le document montre l’esclavagisme que certains marabouts font subir à ces enfants. Il dit : «Si on essayait de s’enfuir, le marabout nous entravait les jambes avec une chaîne pour qu’on ne puisse plus bouger.» Il est âgé de 13 ans et a s’est enfui après avoir été enchaîné pendant trois semaines dans un daara à Touba. Il n’est pas seul car d’autres ont laissé exprimer leur mal. «Le versement journalier [fixé par le marabout] était de 500 francs Cfa (…) Je n’aimais pas le daara parce qu’on nous frappait tout le temps. Si on ne mémorisait pas les versets du Coran ou si on ne rapportait pas d’argent. Au daara, on se fait battre jusqu’à ce qu’on croie mourir», a confessé à Human rights watch un autre talibé âgé de 9 ans, qui avait aussi pris la tangente pour échapper à la violence. D’après le rapport, 63 des 88 talibés interrogés par Human rights watch ont déclaré que leur maître coranique exigeait d’eux qu’ils rassemblent chaque jour une somme d’argent fixe, ou «versement», allant de 100 à 1 250 francs Cfa. Et d’après les données existantes dont dispose Human rights watch, le nombre de talibés est estimé à plus de 100 000 au Sénégal. Il s’agit en fait de ceux qui vivent en internat daara à travers le Sénégal qui sont contraints par leur maître coranique, ou marabout, à mendier de l’argent, de la nourriture, du riz ou du su­cre. D’ailleurs, l’enquêteur affirme que «des milliers de ces enfants vivent dans une misère abjecte, privés d’une nourriture suffisante et de soins médicaux. Un grand nombre d’entre eux font également l’objet d’abus physiques constituant un traitement inhumain et dégradant».

88 talibés interrogés
Human rights watch indique avoir interrogé 88 talibés, anciens ou actuels, à Dakar et Saint-Louis, de juin 2018 à janvier 2019. Parmi eux, détaille le document, 83 étaient obligés de mendier de la nourriture ou de l’argent mais aussi 60 ont été observés en train de mendier dans la rue, et 23, interrogés dans des centres d’accueil pour enfants, ont affirmé avoir été forcés de mendier dans leur précédent daara. Alors l’Ong ne s’est pas limitée à parler uniquement de ces faits mais il a exhorté l’Etat du Sénégal à prendre en «toute urgence des mesures exhaustives pour mettre fin aux abus, traduire en justice les auteurs de ces actes, renforcer les services de protection de l’enfance, inspecter et réglementer les daaras qui existent à l’échelle nationale». Il préconise par exemple l’octroi de ressources suffisantes aux centres d’accueil pour enfants et aux services de protection de l’enfance à travers le pays. Et les daaras qui mettent en danger la santé et la sécurité des enfants devraient être signalés à la mairie ou à la préfecture, lesquelles devraient activement inspecter et fermer les daaras en question, comme l’ont fait les communes de Médina et de Gueule Tapée-Fass-Colobane à Dakar.
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