La démocratie sénégalaise est en déclin. C’est en substance ce qu’Afrikajom Center a affirmé dans son rapport sur la situation des droits de l’Homme et du respect de l’Etat de Droit sous le régime du Président Sall. Alioune Tine et ses collaborateurs ont détaillé dans leur document, les répressions violentes ayant conduit à la mort de manifestants, aux arrestations arbitraires d’hommes politiques, d’activistes, de journalistes.Par Dieynaba KANE –

«Une image hideuse et méconnaissable…» Telle est la présentation faite par Afrikajom Center de la démocratie sénégalaise. Dans un rapport de 48 pages, le think tank fondé par Alioune Tine met en exergue les éléments qui expliquent ce recul. Il constate pour le regretter que «l’édifice démocratique sénégalais, construit dans la durée et au travers de luttes et conquêtes démocratiques, qui explique ce que tout le monde s’accorde à reconnaître comme un modèle en Afrique (…) inquiète de plus en plus au Sénégal et dans le monde». Pour les membres de cette organisation, «la démocratie sénégalaise connaît un déclin qui rappelle à bien des égards les premières années de l’adoption de la Constitution du 7 mars 1963, qui a inauguré la période du parti unique et d’une certaine forme de dictature violemment contestée par les évènements de 196». Selon eux, «nous vivons dans une période où l’on gouverne de plus en plus par la peur et par la répression, avec la présence de plus en plus inquiétante de la police dans l’environnement de nos cités». D’après Alioune Tine et ses collaborateurs, «le Sénégal n’a jamais compté autant de détenus politiques (plus de 300) et de détenus d’opinion dans son histoire, au point que leur gestion finit par poser des problèmes aux cabinets des juges qui sont submergés». Concernant les libertés fondamentales, ils font remarquer que comme résultats des promesses mirobolantes déclinées à l’inauguration du premier mandat du Président Macky Sall «en matière de respect de l’Etat de Droit, de la démocratie et des droits humains, on a eu droit au désenchantement, à la déception et aux ressentiments». Ces choses, soulignent-ils, «expliquent les tensions et violences politiques récurrentes à l’approche de chaque consultation électorale, le rétrécissement de l’espace civique et la faiblesse des institutions de promotion et de protection des droits humains et d’une Justice équitable». A titre d’exemple, Afrikajom est revenu sur les manifestations de mars 2021, durant lesquelles «plus de 600 personnes ont été arrêtées dont des activistes, des membres de l’opposition, et la durée de leur garde à vue a souvent dépassé le délai légal». Selon le think tank, «les Forces de défense et de sécurité ont fait usage d’une violence excessive et disproportionnée sur les manifestants pacifiques au mois de mars 2021 dans différentes villes du Sénégal, et ces violences ont provoqué 13 décès, 590 blessés et de nombreuses arrestations parmi les manifestants».

Dans le rapport, il est aussi déploré «l’érosion continue des normes de l’Etat de Droit par l’assujettissement de pratiquement toutes les institutions démocratiques par un pouvoir hyper-présidentiel qui concentre, contrôle et écrase tous les pouvoirs par le jeu des nominations aux fonctions civiles et militaires sans aucune possibilité de contrôle». D’ailleurs, parlant de la Justice, les auteurs du rapport estiment que «quand elle est indépendante et équitable, garante de la protection des droits humains et des libertés fondamentales avec un Etat qui se soumet au Droit, elle réalise l’idéal d’un Etat de Droit et de la démocratie». Ainsi, soulignent-ils, «c’est à partir de ce moment qu’elle est capable de réguler avec efficacité les violences politiques et sociales inhérentes à l’existence de toute société humaine». Au Sénégal, fustigent-ils, «on est loin de cet idéal du fait des liens structurels qui assujettissent l’institution judiciaire et ses principaux acteurs au pouvoir exécutif de moins en moins neutre et de plus en plus politisé». Afrikajom évoque donc «la nécessité d’émanciper cette institution des fourches caudines de l’Exécutif». Présentant une image loin d’être reluisante de la Justice sénégalaise, l’organisation fait savoir qu’elle «a perdu de la crédibilité, et des réformes sont nécessaires pour que la majorité des juges, d’une compétence reconnue au-delà de nos frontières, puissent travailler en toute indépendance». Elément indicateur de la bonne santé de la démocratie et de l’Etat de Droit, la liberté de la presse est aussi en recul. D’ailleurs, d’après Alioune Tine et Cie, avec «plusieurs journalistes menacés, arrêtés, détenus et emprisonnés, faut-il s’étonner de la chute libre du Sénégal qui perd 31 places dans le classement annuel de Reporters sans frontières, passant de la 73e à la 104e place ?».

Dans le rapport, il est aussi fait état «de la gouvernance transparente et démocratique, qui figurait parmi les promesses les plus belles du régime», qui «n’a malheureusement pas donné les résultats escomptés». Selon les auteurs du document, «les organes de régulation de la gouvernance sont vassalisés et émasculés». Et de fustiger : «La plupart d’entre eux n’ont quasiment connu de réformes, les rares réformes concrétisées ont été décevantes. Cette situation a produit une culture d’impunité et d’irresponsabilité. Selon l’Indice de perception de la corruption 2022 publié par Transparency International, avec 43/100 et un rang de 72e au plan mondial, le Sénégal n’atteint toujours pas la moyenne qui est de 57/100.» Prenant en compte tous ces aspects, les auteurs du rapport notent que «si on peut se réjouir du bilan positif du régime du Président Macky Sall, qui a contribué à moderniser le pays en matière d’infrastructures de toutes natures et en matière de sécurité, force est de reconnaître que peu de choses concernent la consolidation de la démocratie, l’Etat de Droit et des droits humains».
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