Les organisations de défense des droits de l’Homme n’attribuent pas une bonne note au Sénégal. Le tableau peint par la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme (Raddho) est aussi sombre que celui d’Afrikajom Center. L’organisation de défense des droits humains, qui a fait un rapport à l’attention de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples de l’Ua sur le Sénégal, fait remarquer que la situation «est marquée depuis quelques années par une restriction des droits civils et politiques, notamment les droits électoraux et les droits à la liberté d’opinion et d’expression». La Raddho a ainsi souligné les manifestations réprimées de mars 2021 ayant fait 14 morts et celles de mars 2023. Les auteurs du document font savoir que «l’impunité relative aux violations des droits de l’Homme commises par les membres des Forces de défense et de sécurité qui s’est installée reste une préoccupation». Pour conforter leurs propos, ils rappellent que face à l’indignation des défenseurs des droits humains et des citoyens soucieux de connaître la vérité sur les évènements de mars 2021, «les autorités avaient annoncé que le gouvernement a décidé souverainement de mettre en place une commission d’enquête libre et indépendante afin que toute la lumière soit faite sur ces malheureux événements et que surtout les responsabilités soient situées». Et la Raddho de regretter : «Jusqu’à ce jour, aucun acte connu n’a été posé. Finalement, c’est le Président Macky Sall qui déclare 8 mois plus tard que la commission d’enquête attendra dès lors que le dossier est pendant devant la Justice.»

L’organisation note également une régression de la démocratie sénégalaise avec des libertés garanties par la Constitution et consacrées depuis de nombreuses années, régulièrement entravées et réellement remises en cause. Et d’expliquer : «Les libertés d’expression sont menacées au Sénégal car les journalistes, les activistes, les participants à des manifestations et les opposants au régime sont poursuivis, persécutés, convoqués à la police et souvent emprisonnés. Dans un passé récent, on est arrivé à la fermeture temporaire d’organes de presse alors que ces derniers étaient dans l’exercice de leur métier.»

La question de l’indépendance de la Justice, d’après les défenseurs des droits humains, «reste entière car le statut des magistrats contient des dispositions discriminatoires avec des dates de départ à la retraite différentes qui ne dépendent que du poste occupé par le magistrat». Il s’y ajoute, selon eux, «les consultations à domicile qui ne sont rien d’autre qu’un moyen de contourner le passage prévu légalement au niveau du Conseil supérieur de la magistrature». Concernant toujours cette question, ils attirent l’attention sur le fait que «malgré les nombreuses critiques émanant des justiciables et acteurs de la Justice, le Sénégal ne semble pas être disposé à rendre le Parquet in­dé­pendant de la Chan­cellerie».

Quid de la situation du milieu carcéral au Sénégal ? D’après la Raddho, elle «est aussi préoccupante avec des prisons qui datent de l’époque coloniale, non conformes aux standards définis pour un respect des droits de l’Homme et surpeuplées».

L’organisation, dans son rapport, s’est aussi prononcée sur «le spectre du 3ème mandat» qui plane toujours malgré la modification de l’article 27 de la Constitution en 2016. Elle précise dans son rapport que «foncièrement contre le troisième mandat à l’époque (2011-2012), l’actuel Président Macky Sall, une fois au pouvoir, initia un référendum dont l’objectif principal était de régler définitivement la question du troisième mandat pour éviter une polémique future sur le mandat». C’est cela, indique-t-elle, «qui a conduit à cette rédaction claire et non équivoque du texte». Ce­pendant, souligne la Raddho, «depuis plusieurs mois, des partisans du Président sortant dont le régime se termine en 2024 (lui-même l’a dit, répété plusieurs fois et écrit dans son ouvrage), le poussent à renier sa parole». Et d’avertir : «Certes il n’a rien dit, mais son attitude révèle que tout se fait sous sa bénédiction, et le mandat de trop ne peut être que source de troubles graves contre la paix et la stabilité du Sénégal.»

Discrimination à l’égard des femmes
Par ailleurs, le rapport s’est aussi penché sur les droits des enfants avec la mendicité qui est toujours réelle dans le pays, et aussi les violences basées sur le genre. Le rapport souligne que «le cadre législatif contient de nombreuses dispositions qui contredisent le principe d’égalité des genres». Au sein du mariage, par exemple, «le Code de la famille de 1972 prévoit que le choix du domicile conjugal est fixé par le mari (art. 13), et la femme est tenue de résider dans le domicile conjugal choisi par ce dernier, sous peine de sanctions civiles et pénales (arts 152 et 153 Code de la famille)». De même, il est noté que «le mari exerce la puissance maritale (art. 15) : inégalité au moment de contracter le mariage, l’option matrimoniale appartient à l’homme, le mari exerce également la puissance paternelle selon l’art 152 du Code de famille». Ce qui, selon les défenseurs des droits humains, empêche «la mère d’avoir tous les pouvoirs pour prendre soin de son enfant». En plus, ajoutent-ils, «en cas de rupture des fiançailles sans motif légitime à l’initiative de la femme, il peut s’opposer au mariage de son ancienne fiancée (art. 107, al. 2)».

Pour rompre avec ces pratiques, la Raddho recommande «d’harmoniser définitivement le Code de famille sénégalais aux conventions internationales, de mettre en œuvre les conclusions du Comité de révision des textes législatifs et réglementaires discriminatoires à l’égard des femmes mis en place par arrêté n°00936 du 27 janvier 2016 du ministre de la Justice».
Par Dieynaba KANE – dkane@lequotidien.sn