Le rapport d’exécution budgétaire du premier trimestre 2025 et du quatrième trimestre 2024, publié avant-hier lundi par le ministre des Finances, Cheikh Diba, a été analysé par l’ex-ministre Pape Malick Ndour en le critiquant. Ce rapport décline «un budget de confort, pas de rupture», selon l’économiste Ndour. Thierno Bocoum, du mouvement Agir, lui, lit à travers ce rapport, une mise en avant de la fiscalité, alors que les investissements chutent et que les dépenses augmentent.Par Amadou MBODJI – 

L’ex-ministre de la Jeunesse, de l’entrepreneuriat et de l’emploi du Sénégal, Pape Malick Ndour, n’a pas mis du temps pour réagir au rapport d’exécution budgétaire du premier trimestre 2025 et du quatrième trimestre 2024. A peine que celui-ci a été rendu public avant-hier par le ministre des Finances Cheikh Diba, qu’il s’est exprimé hier à son sujet en y émettant des critiques. Selon lui, «près de 40 milliards de francs Cfa de recettes manquent à l’appel au cours des trois premiers mois de l’année» (tableau 1, page 5). Il rappelle que les autorités avaient promis un budget sincère, aligné sur les réalités économiques. Mais face à cet écart entre prévisions et réalisations, il s’interroge : «Les prévisions budgétaires étaient-elles fiables ? Si oui, où sont passés nos 40 milliards ?» La faiblesse des investissements et l’augmentation des dépenses sont ce que Ndour dit soulever dans son analyse. «Alors que les investissements exécutés par l’Etat plafonnent à 2, 64 milliards F Cfa et que les transferts en capital chutent de 42, 2 milliards en glissement annuel, les dépenses de fonctionnement explosent : 84, 65 milliards pour l’achat de biens et services, et 463, 93 milliards pour les transferts courants», note-t-il.
Les lenteurs administratives ne l’agréent pas non plus. «Lorsqu’il s’agit de payer, acheter ou entretenir l’appareil bureaucratique, les procédures ne semblent pas bloquées. Mais dès qu’il s’agit d’investir pour le bien-être des populations, il faut l’approbation préalable de la Primature», indique-t-il.
C’est ainsi que le dernier ministre de la Jeunesse sous Macky Sall dénonce «un budget de confort, pas de rupture». «On entretient le quotidien des nouveaux élus en oubliant de s’occuper de la précarité et des urgences des populations. Le train de vie de l’Etat explose au détriment des investissements structurants», fait-il remarquer. Avant de donner un exemple qu’il juge «frappant». «Les véhicules achetés pour les 165 députés à environ 8 milliards F Cfa sont près de quatre fois supérieurs à l’ensemble des investissements exécutés par l’Etat au premier trimestre 2025», mentionne Ndour.
Dans son analyse du rapport 2024 de la Cour des comptes, Pape Malick Ndour parle d’un «flou autour de 131 milliards de recettes recouvrées en 2024 mais comptabilisées en 2023 (tableau page 11)». «Logi­quement, on aurait dû voir une hausse équivalente dans les recettes. Mais seuls 87, 9 milliards supplémentaires apparaissent. Alors, qu’en est-il réellement ? Le gouvernement a-t-il intégré les 131 milliards en totalité ?», c’est ainsi qu’il interpelle le gouvernement. Selon lui, deux hypothèses se posent : «si oui, cela signifie qu’il y a un gap de 43, 1 milliards par rapport aux recettes prévues. Si non, cela suppose que les chiffres de la Cour ont été modifiés ou revus à la baisse», présume-t-il, tout disant que dans tous les cas, «le gouvernement nous doit des explications».
Pape Malick Ndour s’étonne «d’un écart de 90 milliards entre les dons prévus dans la Loi de finances rectificative votée le 24 décembre 2024 (65, 2 milliards) et les 155, 3 milliards finalement reçus au 31 décembre». «Difficile de croire que cet argent soit arrivé par surprise en toute fin d’année, vu la complexité des procédures.» Il envisage trois scénarios possibles en les déclinant. «L’Etat était informé, mais ne l’a pas intégré à la Lfr. Ce serait grave», surligne-t-il. Avant de poursuivre en ces termes : «Il s’agit d’un versement exceptionnel de dernière minute, qu’il faut alors justifier clairement. Ou bien ce sont des dons cachés par l’ancien régime, non révélés par la Cour des comptes.»
Après Malick Ndour, c’est Thierno Bocoum, leader du parti Agir, qui commente, en étant aussi critique que l’ex-ministre. «Il est une chose d’avoir longtemps travaillé à collecter l’impôt. Il en est une autre de gouverner un pays. Et quand ceux qui tiennent les rênes de l’Etat sont issus d’un même corps professionnel, en l’occurrence l’Inspection des Impôts et domaines, une question se pose : assistons-nous à un simple prolongement de carrière ou à un véritable projet de transformation nationale ?», se demande Bocoum. Le régime ne met en avant que la fiscalité selon lui. «La question est légitime car à y regarder de près, c’est bien le prisme fiscal qui semble dominer la grille de lecture du pouvoir actuel. La dernière preuve en date est la hausse des recettes fiscales au premier trimestre 2025, présentée comme une grande victoire. En effet, le gouvernement se félicite d’avoir porté les recettes à 960, 26 milliards F Cfa contre 860, 82 milliards F Cfa au T1 2024, soit une progression de 99, 44 milliards. Un score flatteur, nourri par l’élargissement de l’assiette, l’efficacité du recouvrement et une conjoncture favorable sur les importations», rapporte Thierno Bocoum. Ce dernier met un bémol sur ces chiffres en attirant l’attention des gouvernants. «Cependant, cette performance, qui excite les tableaux Excel, ne dit rien de l’essentiel. A quoi bon prélever plus si l’on n’investit pas mieux ?» Avant de signaler que le régime se glorifie de ces chiffres en même temps que les «investissements publics s’effondrent et que les dépenses d’investissement exécutées directement par l’Etat augmentent».
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