A l’approche de la mise en place du nouveau gouvernement pro-Tshisekedi, les évêques haussent le ton sur tous les sujets.

En République démocratique du Congo (Rdc), le bras de fer entre l’autel et le Palais présidentiel est loin d’être fini. Et le chef de l’Etat, Félix Tshisekedi, se retrouve au cœur des reproches de l’épiscopat congolais. Réuni à Kinshasa fin février, le comité permanent de la Conférence épiscopale nationale du Congo, communément appelé Cenco, a publié le 1er mars un message choc dans lequel il passe en revue les questions d’actualité brûlantes dans le pays, parmi les­quelles la fin de la coalition Fcc-Cach et l’éviction de l’ancien Président, Joseph Kabila, la mise sur pied de l’union sacrée ou encore la formation du futur gouvernement. Mais c’est plus sur la question des réformes électorales en vue de la tenue des élections générales de 2023 que les critiques se font entendre, au point de faire réagir jusqu’à la présidence de la République.

L’Eglise catholique épingle la gouvernance Tshisekedi
Forts de la place qu’ils occupent aux yeux du Vatican sur le continent africain et de leur rôle de premier plan dans un pays à majorité chrétienne catholique, les évêques de la puissante Eglise ont une fois de plus haussé le ton face au régime de Félix Tshisekedi. Investi président de la République en janvier 2019, ce dernier a ensuite dirigé jusqu’en novembre dernier en coalition avec le camp de son prédéces­seur Joseph Kabila. Il a ensuite mis fin à cette coalition et s’est lancé dans une conquête de tous les leviers du pouvoir.
Dans leur message du 1er mars délivré à la presse par le père Donatien Nshole, porte-parole de la Cenco, les évêques ont commencé par féliciter le Président Tshisekedi pour sa prise de fonction à la tête de l’Union africaine en cette année 2021. «Nous le rassurons de nos prières pour un mandat fructueux avec des retombées sur le développement et la paix en Afrique», mentionne le communiqué. Avant de reconnaître la fin de la coalition Fcc-Cach, dont ils avaient dénoncé à maintes reprises l’inefficacité. Cependant, poursuivent les évêques, «ces changements ont été opérés dans une atmosphère de tensions et de manière à se poser des questions sur la moralité de ces actes. L’adhésion massive à l’union sacrée ne doit pas être motivée seulement par le positionnement politique», soulignent-ils.
En effet, le Président Tshisekedi a placé ses partisans à la tête des trois plus importantes institutions politiques du pays, avec Modeste Bahati à la tête du Sénat, l’élection de Christophe Mboso comme président de l’Assemblée natio­nale et la nomination de Jean-Michel Sama Lukonde comme Premier ministre. Ce dernier a clôturé début mars les consultations en vue de la formation du nouveau gouvernement, entièrement constitué de partisans du chef de l’Etat. La précédente équipe était largement dominée par les partisans de Joseph Kabila. Les évêques estiment que «seuls les hommes et les femmes qui ont fait preuve de bonne éthique dans leur passé et qui ont une expérience dans le domaine requis, soucieux du bien-être de la population, méritent d’être cooptés pour gérer les institutions de l’Etat et les entreprises publiques», recommandent-ils.
Au demeurant, les prélats catholiques ont, en outre, déploré la régression constatée dans les domaines du respect des droits de l’Homme et de la justice, pointant en particulier les lenteurs dans le procès dit des «100 jours». «Le souci de la justice qui s’était manifesté dans le procès» qui mettait en cause Vital Kamerhe, directeur de cabinet du président Tshisekedi, «ne semble plus continuer sur la même lancée. Il s’est estompé et paraît sélectif», a déploré l’épiscopat catholique congolais. «La vraie justice» devrait s’étendre «sans distinction aucune, à tous les auteurs de crimes économiques et de violation des droits humains», ont insisté les évêques.

2023, déjà dans tous les esprits
L’Eglise catholique n’a évité aucun sujet, même pas celui déjà épineux de la prochaine Présidentielle. La question de l’organisation des élections générales en 2023 est déjà sur toutes les lèvres en République démocratique du Congo à deux ans de l’échéance. Les évêques congolais, fidèles à leur tradition de vigie, ont lancé les hostilités. En effet, dans ce dernier message, les prélats ont recommandé aux autorités de «tout mettre en œuvre pour gagner le pari de l’organisation des élections crédibles, transparentes et apaisées en 2023, et pas plus tard».
Cette recommandation des évêques catholiques a fait trembler le président de la Ré­publique, qui n’a pas tardé à réagir, à travers une dépêche de sa cellule de communication. Selon cette dépêche de la presse présidentielle diffusée dans les réseaux sociaux et relayée par des médias, en relançant le débat sur la tenue des prochaines élections constitutionnellement fixées en 2023, il y a lieu de s’interroger sur le scepticisme des prélats catholiques dans la mesure où le moindre «soupçon du glissement n’a jamais effleuré l’esprit de celui à qui les Congolais ont confié leur destinée par la voie des urnes en décembre 2018», soutient le texte présidentiel. Et d’ajouter : «La question de l’organisation des élections est du domaine exclusif de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). L’immixtion de la Cenco dans ce qui ne relève pas de sa compétence est simplement ahurissante, voire provocante, pour des pères spirituels mués, pour les besoins de la cause, en politiques engagés au détriment de leurs brebis livrées à elles-mêmes.» Cette réplique de la présidence de la Répu­blique a été largement commentée dans l’opinion, qui la juge «inopportune», voire mal venue à l’endroit d’une structure respectueuse et qui n’a fait que rappeler au président de la République une disposition constitutionnelle.
Peter Tiani, journaliste et responsable du magazine d’information Le Vrai Journal, se pose la question : «Rappeler au président de la République un devoir constitutionnel est-il un péché ?» «Sans la pression des évêques catholiques, Félix Tshisekedi serait-il Prési­dent ?», s’agace-t-il. Pour sa part, maître Lwarhiba, un proche de l’ancien gouverneur de la richissime province du Ka­tanga et président du Tout-Puissant Mazembe, Moïse Katumbi, appelle la présidence de la République à la sportivité : «Prendre avec sportivité l’alerte des évêques de la Cenco. Mobutu les trouvait méchants, les Kabila les qualifiaient de haineux contre leur autorité morale. Aujourd’hui, on dira tout d’eux ; certainement, demain, ils seront encore mal vus. Ils restent du côté du Peuple, voilà.»
Le Point