Condamné en 2016 par les Chambres africaines extraordinaires (Cae) pour crimes contre l’humanité, torture et esclavage sexuel, des soutiens n’ont eu de cesse de tenter de faire libérer l’ancien Président du Tchad de manière «anticipée». Si certains évoquent des raisons de santé, d’autres (victimes du régime de Hissein Habré) ne sont pas convaincus de ces motifs et exigent le respect du verdict. Selon Abdourah­mane Guèye, un survivant sénégalais des prisons tchadiennes de l’ex-dictateur, «il n’y aura pas véritablement de justice tant que Habré n’aura pas payé ce qu’il doit aux victimes».Par Ousmane SOW

– «Hissein Habré doit nous dire ce qu’il a fait des milliards qu’il a volés dans les caisses du Tchad en s’enfuyant de son pays. Qu’a-t-il fait de tout cet argent ? Hissène Habré espère-t-il que toutes ses victimes meurent pour ne pas avoir à les indemniser ? Pourquoi les détenus puissants devraient bénéficier de clémence humanitaire plus que les autres ?» Autant d’interrogations sérieuses, autant de considération pour les victimes que pour leur bourreau, a estimé Abdourahmane Guèye qui, dans un communiqué, déclare que Hissein Habré, en refusant de respecter la décision de justice qui le condamne à réparer ses victimes, les «torture une deuxième fois».
Pour Abdourahmane Guèye, suite aux demandes d’un allègement des conditions de détention de l’ancien dictateur du Tchad, «il est normal de s’inquiéter de sa santé, mais lui n’en avait rien à faire quand c’est nous qui pourrissions dans ses prisons, affamés, torturés, humiliés. Il se fichait que ses détenus mourraient dans ses cellules, comme mon associé, le Sénégalais Demba Gaye, et des milliers d’autres».
Libéré de prison au Tchad en 1998 grâce aux efforts de feu Serigne Abdoul Ahad Mbacké et à l’intervention de Abdou Diouf, «j’ai déjà attendu 33 ans pour être indemnisé. Et aujourd’hui, à 75 ans, je continue encore d’attendre», dit-il. Toujours, selon M. Guèye, jour après jour, les victimes deviennent de moins en moins nombreuses en vie. «Hissein Habré a été condamné, mais il n’y aura pas véritablement de justice tant qu’il n’aura pas payé ce qu’il doit aux victimes», mentionne-t-il. Rappelant que «l’argent pillé du Tchad doit être rendu au Peuple tchadien et aux victimes qui ont souffert à cause de Habré». De plus, il estime que «rien ne montre que Habré soit malade».
Pour rappel, le Comité contre la torture des Nations unies avait déjà écrit le Sénégal en décembre 2019 pour réaffirmer que «la libération prématurée des auteurs des crimes internationaux les plus graves n’est pas conforme aux obligations» de la Convention de l’Onu contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dont l’obligation de réprimer les actes de torture par des peines prenant en compte la gravité de leur nature. Ainsi, la justice sénégalaise a rejeté ces prétentions à deux reprises. Néanmoins, il estime que même s’il est âgé, «l’âge n’est pas incompatible avec la réclusion à vie, notamment pour les faits gravissimes pour lesquels Habré a été condamné», a affirmé, M. Guèye. Toutefois, il a souligné que «Habré a d’ailleurs même moins de risque d’être infecté du Covid-19 que les autres puisqu’il est détenu dans une cellule privée. Mais pour le protéger encore plus, il faut le vacciner s’il ne l’est pas encore».
Stagiaire