Les premières réactions des lauréats sénégalais au Fespaco 2017 sont plus qu’édifiantes sur leur joie de porter le 7e art, mais également sur leur vision de l’avenir. Le Quotidien publie in extenso leurs déclarations quelques minutes après le clap de fin de la 25e édition du plus grand rendez-vous du 7e art africain.

Alain Gomis, Etalon d’or de Yennenga 2017 «C’est une très belle surprise !»
C’est une très belle surprise, je n’y croyais pas du tout. Parce que je pensais qu’ils allaient vouloir pousser d’autres talents et j’aurais trouvé cela tout à fait normal. J’étais prêt à me lever pour quelqu’un d’autre. Je suis très surpris, très content et très fier. Cela me permet de dire aussi merci, à tous ceux qui ont travaillé ardemment pour que ce film existe, au Sénégal et à Kinshasa. Il faut dire aussi qu’il y avait de glorieux aînés qui avaient choisi de ne pas se mettre en compétition. Ils ont aussi montré la voix d’une certaine retenue, de dignité. A un moment, il faut se dire tout de même qu’il ne s’agit pas d’accumuler les médailles. Je suis très content si on arrive à le transformer à quelque chose d’efficace qui participe à la construction, quelque chose à long terme. Mais pas seulement d’être content et aller se pavaner avec ça. Je prends cette distinction comme un outil, un encouragement pour continuer à avancer. Je souhaite après cette réussite, qu’il y ait au Sénégal, une sorte d’états généraux. Il faudra réfléchir collectivement, pour continuer d’abord à évaluer ce qui a été  fait  et pour voir dans quel sens on va avancer. Je ne doute pas aujourd’hui qu’on peut encore aller loin. Il ne s’agira plus de se reposer sur ses oreillers, mais de mettre les bouchées doubles.

William Mbaye, lauréat du Meilleur film documentaire «Ce n’est que du bonheur»
C’est un plaisir, un grand bonheur pour moi d’avoir remporté ce grand prix au Fespaco, après avoir eu un troisième prix avec «Président Dia» à ce même Fes­paco.
Pour moi, la reconnaissance du métier c’est à travers  des  festivals  comme le  Fespaco et à travers des collègues cinéastes qui jugent. Donc, m’octroyer le Premier prix du documentaire, ce n’est que du bonheur. Maintenant concernant la consécration de travail de mémoire, je pense que l’intérêt a été reconnu depuis assez longtemps, mais ce qui m’a le plus marqué avec «Kemtiyu Séex Anta», ce n’est pas le travail de la mémoire, c’est que Cheikh Anta est reconnu. Ce n’est pas Ousmane William Mbaye, c’est l’intérêt que les gens portent à son travail. Les gens se sont dit : il y a  quelque chose sur le personnage de Cheikh Anta qui peut intéresser la jeunesse. C’était l’objectif du film : que les gens aient envie de connaître, ou de  découvrir, ou d’approfondir l’œuvre de Cheikh Anta. Et je pense que Cheikh Anta le mérite. Il est dans le silence et dans le tombeau depuis 31 ans, mais il est temps qu’il se réveille et qu’il parle à la jeunesse africaine.

Abdou Lahat Wane, lauréat de la meilleure série télévisée :  «Nous allons essayer de maintenir le niveau ou faire plus»
Alhamdoulilah, on remercie Dieu.  On ne s’y attendait pas du tout. Parce que la concurrence était très solide, Dieu a fait qu’on a gagné, c’est une excellente chose. On remercie tout le Peuple sénégalais, nos familles, mais surtout les gens qui ont cru en moi, en l’occurrence A plus et Canal plus. C’est dur, mais ils ne m’ont jamais lâché. Là, dans l’euphorie, on se dit que nous sommes encouragés et motivés pour aller de l’avant, faire mieux sur d’autres produits.
Nous allons essayer de maintenir le niveau où même faire plus, parce qu’à un moment on faisait tous ces efforts, peut-être les gens ne comprenaient pas ce qu’on était en train de faire. Mais bon, là c’est peut être une reconnaissance, car on avait pris une option qui n’était pas facile, les gens ne nous ont pas soutenu, ils ne nous ont pas suivis. A part A plus. C’était un chalenge et ça fait  excessivement plaisir de revenir avec ce Premier prix.
Désormais, nos télévisions localement doivent faire ce qu’il faut. C’est-à-dire commencer à travailler avec les producteurs localement, commencé à acheter, pré-acheter nos productions. C’est ça qui va permettre d’avoir des productions. Je pense qu’on est sur la bonne voie. Les trucs se développent, on n’a pas le choix, il faut suivre ou disparaître
Oumar Sall, directeur de Cinekap, co-producteur du film Félicité

«Il nous faut des guichets africains»
Nous rendons grâce à Dieu qui nous a permis d’y arriver. Ce travail est un travail d’équipe, il n’y a pas que moi. Je ne portais qu’une stratégie de production avec un réalisateur  qui est l’un des meilleurs de sa génération qui sait faire ce que nous, nous pensons participer dans l’art du récit cinématographique.
On ne peut pas développer un pays sans sa culture, il ne faut pas se voiler la face. Aujourd’hui, si l’Afrique veut se développer, il faut que les dirigeants africains financent la culture, le cinéma. En créant des cinématographies fortes, des fonds bien dotés et des sociétés de production qui accueillent les projets des réalisateurs. Il faut appeler des sociétés comme Orange à avoir des guichets africains, parce que, je pense qu’on ne peut pas décider de notre avenir du sort de nos films depuis l’étranger sans tenir compte de nos valeurs.
L’importance du cinéma dans l’imaginaire de l’africain doit être gage de son importance politique. C’est pourquoi, j’ai appelé ces dirigeants à parler avec Orange, parce qu’elle puise en Afrique mais le financement se décide en Europe.
Le deuxième aspect, ce sont les réserves du franc Cfa. Il faut négocier avec la France pour qu’on crée un fond commun qui finance le développement de la culture africaine. Le cinéma est une économie, il faut que nos Etats comprennent cela. La culture n’est pas à reléguer au second plan, mais au premier plan.