La plateforme visant à reconnaître les médias proposée par le ministre de la Communication et tous les actes y afférents sont nuls et non avenus. C’est en somme ce qu’il faut retenir de la décision de la Cour suprême. Un camouflet qui impose à Alioune Sall de revoir sa copie. 

Par Malick GAYE – Il n’est pas certain que le café de Alioune Sall de ce matin ait le même goût que celui des jours ordinaires. Son goût sera forcément altéré par le camouflet que le ministre de la Communication vient de prendre. Dans une décision qui résonne comme un rappel solennel aux principes cons­titutionnels, la Chambre administrative de la Cour suprême a annulé, ce jeudi, deux arrêtés ministériels pris par Alioune Sall. Il s’agit de l’arrêté n°017412, en date du 29 juillet 2024, portant mise en place d’une plateforme numé­rique pour l’identification des entreprises de presse. Et de l’arrêté n°024462, en date du 1er octobre 2024, portant création et fixant l’organisation et le fonctionnement de la Commission d’examen et de validation de la déclaration des entreprises de presse du Sénégal. Ces textes, censés encadrer l’enregistrement et la validation des organes de presse, se voient ainsi rayés d’un trait de plume judiciaire, au grand soulagement des acteurs d’une profession déjà sous tension.

L’affaire trouve son origine dans un recours déposé par le Conseil des éditeurs et dif­fuseurs de la presse sénégalaise (Cdeps), qui contestait vigou­reusement ces mesures adoptées en catimini. L’un des arrêtés instaurait une plateforme numérique obliga­toire pour l’inscription des médias, tandis que l’autre créait une commission ad hoc chargée d’examiner et de valider les entreprises de presse. Sur le papier, il s’agissait d’un effort louable pour moderniser un secteur en pleine mutation numérique. Mais les juges suprêmes y ont vu, eux, des irrégularités fla­grantes : absence de consul­tation préalable des profes­sionnels, empiétement sur les prérogatives du Conseil na­tional de régulation des médias (Cnra) et, surtout, un risque patent de contrôle a priori sur la vie des rédactions.
Ce n’est pas la première fois que des initiatives du ministère flirtent avec les limites de la liberté d’expression. Faut-il le rappeler, ces arrêtés, publiés dans un contexte de ferveur post-électorale, prévoyaient implicitement une catégo­risation des médias «con­formes» ou non, une distinction qui, bien qu’officiel­lement technique, ouvrait la porte à des interprétations plus sombres. Pour les observateurs attentifs, cette mécanique rappelait vaguement les outils d’un tri sélectif, où seuls les échos les plus alignés sur les priorités gouvernementales pourraient résonner sans en­traves admi­nistratives. La Cour, dans son infinie sagesse, a tranché : ces dispositions violaient l’article 25 de la Constitution, qui érige la liberté de la presse en pilier intangible de la démocratie sénégalaise.
Alioune Sall avait défendu ces textes comme un rempart contre le «désordre» média­tique. «Il s’agit de trans­parence et d’équité», avait-il plaidé lors d’une conférence de presse en novembre dernier. Pourtant, la décision suprême met en lumière un hiatus entre cette rhétorique et la réalité perçue par les rédactions indépendantes. Ces dernières, souvent critiques envers les coulisses du pouvoir, se de­mandent si de telles «régu­lations» ne visent pas, au fond, à circonscrire l’espace public à des voix plus… consensuelles. Le Cdeps, dans un commu­niqué laconique mais per­cutant, a salué un «désaveu clair» qui protège «toutes les plumes, sans distinction d’affinité politique».

Au-delà du volet technique, cette annulation interroge la trajectoire d’un gouvernement qui s’était engagé à rompre avec les pratiques autoritaires du passé. En imposant un filtre administratif sur l’existence même des organes de presse, ces arrêtés -du moins dans leur formulation- semblaient esquisser un paysage média­tique où la diversité des opinions pourrait se voir reléguée au rang de formalité. Heureusement, la Justice, fidèle à sa vocation de contre­poids, a veillé au grain, rappelant que régulation ne saurait rimer avec muselière.

Pour l’heure, le ministère n’a pas réagi officiellement, mais il est probable qu’une révision des textes soit à l’étude. Il faut espérer que cette fois, la concertation va primer sur l’impulsion solitaire. Car dans un Sénégal en pleine ef­fervescence, où les débats sur la gouvernance font rage, la presse privée -celle qui ose questionner sans com­plaisance- reste un oxygène vital pour la vitalité démo­cratique. La Cour suprême, en annulant ces arrêtés, n’a pas seulement invalidé des lignes administratives : elle a subtilement tracé une ligne rouge contre toute dérive qui menacerait de l’effilocher.
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