C’est en se basant sur le passé que l’avenir se construit. Le lien entre ces deux temps, c’est la lecture. Mbougar Sarr, le Goncourt 2021, en demeure persuadé. Pour lui, «l’homme est homme parce qu’il est lecteur».Par Malick GAYE

– «L’homme est homme, parce qu’il est lecteur». Mbougar Sarr, le Prix Goncourt 2021, en est farouchement convaincu. Invité à s’épancher sur le sujet lors de la 4ème édition des Ateliers de la pensée qui ont pour thème : «Les liens cosmopoétiques», l’auteur sénégalais avait choisi de discourir sur : «Ce qui nous relit : sur l’idée d’une bibliothèque illimitée.» Pour Mbougar Sarr, il y a une sorte de mythe qui veut que la lecture soit une expérience solitaire. «Pour qui lit-on ? On ne lit pas que pour soi. Nous lisons pour les autres lecteurs, car on devient le contemporain de l’auteur devant le texte», a-t-il déclaré pour souligner la complicité ou l’aspect évasif que la littérature provoque souvent.
Dans la même logique, l’auteur de La plus secrète mémoire des hommes donne la prophétie de son grand-père. «L’homme est homme parce qu’il est lecteur. Car c’est avec la lecture qu’il a un lien avec son passé. Quand on me demande pourquoi je suis auteur, je réponds souvent que je l’ignore mais on a dit que mon grand-père, Mbougar, aurait dit qu’il reviendrait en forme de papier. A la sortie de mon premier livre, les gens de mon village m’ont dit que «ton grand père dit qu’il allait revenir sous forme d’écrivain». Pour moi, je suis lu et relu par mon grand-père», a-t-il expliqué, tout en prenant le soin de clarifier ceci : «Vous êtes libre de ne pas me croire car je suis romancier.»
Fort de ce constat, Mbougar Sarr a exalté le pouvoir du livre sur son lecteur, telle une relation charnelle. «Par qui sommes-nous lus lorsque nous lisons ? Car la lecture est une relation. Nous lisons autant que nous sommes lus par quelque chose ou quelqu’un. Le plaisir d’être deviné. J’ai l’impression que vous parlez de moi. Quand les gens te le disent, suffit à expliquer cette relation étrange que nous avons avec la littérature», a-t-il affirmé hier au Musée des civilisations noires de Dakar.
Un brin ironique sur la civilisation orale africaine, Mbougar Sarr affirme : «Un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle. Dans cette définition, ce n’est pas seulement une richesse qui est détruite, un savoir perdu ou la mémoire des siècles qui est menacée, mais on a l’impression que c’est l’espace social majeur du lien avec les morts qui est défait. C’est la réponse de notre passé, de la connaissance de ce qui s’est passé qui est supprimée.»
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