L’Etat ne peut plus être le seul acteur de développement dans un contexte de concurrence et de mondialisation, en sus de l’accroissement de plus en plus fulgurant et pressant des besoins collectifs des populations.

Au Sénégal, la décentralisation y a été très tôt initiée avec la création des premières institutions municipales d’Afrique noire francophone (Saint-Louis, Gorée), avec le décret du 10 août 1872. Ensuite, suivirent les créations de Rufisque (1880) et Dakar (1887).

Les habitants de ces quatre communes (les 4 vieilles) avaient un statut différent de celui des autres Sénégalais ; ils étaient, en effet, des citoyens français, alors que les autres étaient considérés comme des sujets français.
De 1904 à 1925, des localités furent érigées en communes mixtes placées sous l’autorité d’un administrateur nommé.

En 1960, le statut de la commune de plein exercice est élargi aux communes mixtes avec un maire et un Conseil municipal élus, dotés d’une autonomie de gestion.

En 1966, le Code de l’administration communale (Cac), avec la loi 66-64 du 30 juin 1966, régit l’Institution communale.

En 1972, la loi 72-25 du 19 avril 1972 crée les communautés rurales.
En 1990, la loi 90-35 du 08 octobre 1990 modifie le Cac et verse les communes à statut spécial dans le droit commun.

En 1996, la décentralisation a été approfondie avec la loi 96-06 du 22 mars 1996 portant Code des collectivités locales.

En 2013, la loi n°2013-10 du 28 décembre 2013 portant Code général des collectivités territoriales achève cette évolution historique. Cette loi est communément appelée : «Acte III de la Décentralisa-tion», en référence à l’Acte I (1972) et l’Acte II (1996).
Les domaines de compétences n’ont pas fait l’objet d’évolution ; ils sont au nombre de neuf (9), à savoir :
-Domaine ;
-Environnement et gestion des ressources naturelles ;
-Santé, population et action sociale ;
-Jeunesse, sports et loisirs ;
– Culture ;
-Education ;
– Planification ;
-Aménagement du territoire ;
– Urbanisme et habitat.
Ce rappel historique montre à suffisance la longévité et la solidité de la décentralisation sénégalaise. Cependant, cette dernière est évolutive et dynamique. C’est ainsi que l’actualité, en matière de décentralisation, est relative à la possible suppression du département comme collectivité territoriale. Notre réflexion va donc porter sur ce sujet et sur un autre non moins important, à savoir le cumul des mandats et des fonctions.

Le découpage territorial
Le découpage du territoire en collectivités locales a connu une certaine évolution, surtout entre l’Acte II et l’Acte III.
En effet, avec l’Acte II, les collectivités territoriales étaient la région, la commune et la communauté rurale. Avec l’Acte III, la région a été supprimée en tant que collectivité territoriale, la communauté rurale a été transformée en commune de plein exercice et le département a été érigé en collectivité territoriale, tout en continuant d’être aussi une circonscription administrative.

Ainsi, les collectivités territoriales sénégalaises sont, actuellement, au nombre de 603 dont 557 communes et 46 départements. Le nombre ne pourrait pas être si important s’il s’agissait «d’organiser le Sénégal en territoires viables, compétitifs et porteurs de développement durable», comme on l’a si bien décliné dans l’objectif général de cette réforme.

En effet, force est de constater, dans une analyse empirique, que les anciennes communautés rurales, transformées en communes, ne peuvent pas porter cette œuvre de développement territorial, car elles sont dépourvues de ressources humaines et surtout financières suffisantes pour faire face à leurs nombreuses charges et pour atteindre les objectifs fixés. Dans certaines de ces communes, il n’existe même pas les infrastructures sociales de base.
Cette communalisation intégrale a engendré des conséquences fâcheuses, à savoir :
– la cantinisation des voies publiques, avec son lot de pollution sonore et visuelle (affiches), d’insalubrité, d’encombrement de l’espace et d’embouteillages monstres ;
– les conflits fonciers liés à des délimitations non précises, non pertinentes, voire artificielles ;
– l’érection de communes non viables et non durables financièrement, économiquement et territorialement ;
– le bradage des terres par des maires affairistes au détriment des générations présentes et futures des localités concernées.
Par ailleurs, la suppression de la région en tant que collectivité territoriale est pertinente, car elle a un territoire mais n’a pas de terroir, de base locale affective. L’œuvre de développement économique, qui doit être la préoccupation primesautière des régions, n’est pas sentie par les populations. Il en est de même du département érigé en collectivité territoriale car, à l’image de la région, le département manque d’effectivité territoriale et de ressources conséquentes pour promouvoir le développement local. Un ancien Premier ministre avait même confondu le président du Conseil départemental de Ziguinchor. Cet exemple, a priori banal, est révélateur du rôle et de la place du département comme collectivité territoriale. Nombreux seraient les Sénégalais qui seraient incapables de vous donner le nom du président du Conseil départemental de leur localité.

Ainsi, nous pensons que seules les communes sont des niveaux pertinents pour une décentralisation effective et un développement local économiquement viable et durable.

En cas de difficulté, l’Etat pourrait, dans ce cas, venir en appui en faisant prévaloir le principe de subsidiarité.

L’idée de pôles-territoires déclinée dans l’Agenda national de transformation, Sénégal Vision 2050, est pertinente à plus d’un titre, car elle met en cohérence les réalités socio-culturelles, économiques et politiques pour en faire de véritables pôles de développement local.

Pour une réussite éclatante de cette idée, il faudrait mener une bonne campagne communicationnelle afin que les populations adhèrent à cette généreuse révolution territoriale qui pourrait porter non seulement le développement local, mais aussi le développement national tout entier.
Notre deuxième axe de réflexion porte sur le cumul des mandats qui est un boulet qui freine ou ralentit la marche glorieuse de la décentralisation sénégalaise.

II. Le cumul des mandats et/ou fonctions
Dans son acception la plus partagée, le cumul est le fait pour une personne d’exercer un pouvoir à des niveaux différents.

Pour Christophe Guettier, le cumul des mandats n’est pas un remède à un mal. C’est le «mal lui-même», c’est ce qui fait que, dans certains pays, le mandat unique est consacré (Danemark). Aux Etats-Unis, au Portugal, en Espagne, en Italie, on a formellement interdit le cumul des mandats.

Pour Kadialy Gassama, «la notion même de cumul est chargée négativement, elle renvoie à l’anormalité : si, par extraordinaire, le cumul devrait s’exercer, il serait par défaut… qu’il s’agisse de dettes, de fonctions, de femmes ou toute autre chose qu’on peut imaginer, le cumul n’est pas souhaitable».

Qui plus est, les cumulards n’ont pas le don d’ubiquité. Par conséquent, ils ne peuvent pas servir «deux maîtres à la fois». Dans cette optique, Yves Mény affirme qu’«il y a une impossibilité pratique d’exercer convenablement les fonctions législatives et les fonctions électives locales».

Malheureusement, au Sénégal depuis 2002, le cumul a été renforcé. On peut être à la fois député et maire. Pour se donner bonne conscience ou pour donner la vraie fausse impression qu’il travaille, le cumulard s’appuie sur des collaborateurs. Ces derniers deviennent donc les principaux responsables des affaires pour lesquelles ils n’ont pas, en principe, été habilités à intervenir. Cela pose toute la problématique de la légitimité de l’élu, car le collaborateur n’a aucune légitimité politique.

A cet effet, Pierre Olivier Caille affirme «qu’il n’est pas satisfaisant, en démocratie, que l’Administration remplace l’autorité politique élue». Il en est ainsi quand la fonction de maire est exercée par le Secrétaire municipal.
Au Sénégal, certains maires qui exercent d’autres fonctions ou mandats ne viennent que les week-ends dans leurs localités qu’ils doivent en principe administrer de façon permanente. La gestion d’une municipalité nécessite une présence quotidienne pour «tâter» le pouls de sa localité afin d’apporter, en cas de besoin, les remèdes nécessaires et efficaces. Elle s’accommode mal d’une absence prolongée ou d’une présence sporadique et épisodique.

Le cumul des mandats et des fonctions peut aussi faire naître des conflits d’intérêts. Ainsi, un député-maire peut être tenté de déposer une proposition de loi sur des sujets qui intéressent, en particulier, sa circonscription. De même, un ministre-maire peut privilégier sa commune pour l’octroi d’une subvention accordée par l’Etat.

Le cumul peut aussi freiner l’élargissement de la classe politique. En effet, pour Pierre Olivier Caille, «le cumul des mandats conduit à la fermeture de la classe politique, une minorité d’élus accaparant les principales fonctions politiques». Certains auteurs n’ont pas hésité à parler de «noblesse de représentation», de «tribalisme municipal», de «seigneuries électives», voire de «dynasties familiales».

Le cumul des mandats agit donc comme un véritable mode de sélection du personnel politique qui renferme le système sur lui-même, une sorte de darwinisme politique.
En effet, avec ce darwinisme politique, seuls les cumulards se partagent entre eux les pouvoirs, les mandats, les fonctions, les avantages matériels et financiers, etc. On doit tendre, au Sénégal, vers une interdiction du cumul pour le renouvellement de la classe politique afin de permettre aux jeunes et aux femmes de s’impliquer davantage dans la chose politique. Par conséquent, il faut imposer un âge maximal pour exercer des mandats, consacrer le renouvellement successif avec interdiction de briguer plus de deux mandats.
L’accès aux fonctions et aux mandats étant un principe constitutionnel, on ne peut pas interdire à un citoyen de postuler à un mandat ; mais s’il se trouve en situation de cumulard, il doit opter pour un mandat ou une fonction au détriment d’un (e) autre suivant son libre choix et sa libre conscience.
Au Sénégal, on doit donc tendre vers la suppression du cumul et consacrer cette formule simple mais pertinente : un homme = un mandat = un renouvellement = une indemnité.

Conclusion
Avec l’Acte III de la décentralisation, le gouvernement envisageait la refondation majeure de l’action territoriale de l’Etat, à travers le projet de réforme de la décentralisation (exposé des motifs). L’objectif majeur de cette réforme était «d’organiser le Sénégal en territoires viables, compétitifs et porteurs de développement durable».

Après plus de dix ans de mise en œuvre, force est de constater que l’objectif décliné n’a pas été atteint, car les collectivités territoriales croupissent sous le poids des charges insupportables, sont exposées à des conflits fonciers récurrents, sont dépourvues de moyens financiers, matériels suffisants et de ressources humaines suffisantes de qualité. Ces problématiques auxquelles elles sont confrontées justifient leurs stratégies d’essayer l’intercommunalité pour trouver des solutions.

L’idée de pôles-territoires est venue à son heure pour une décentralisation véritable et irréversible, alliant endogénéisation de l’économie et territorialisation des politiques publiques.
Ousmane DIAGNE
ousmanediagne55@hotmail.com
Ministère de l’Education
nationale