L’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) n’a pas été sans réagir à la condamnation de Ousmane Sonko. Du feu, du verre cassé. Des saccages ciblés…Par Moussa SECK –

Il faut caillasser la Faculté de droit ! Des voix sont d’accord. Pour d’autres, c’est non. Mais, dans la foule furieuse, les accords ne manquent pas. Les caméras de surveillance de­viennent des défouloirs. Celle qui se trouve entre la Faculté de droit et celle de médecine, au rond-point plus précisé­ment, attire du monde. Rien ne protège l’œil noir qui trône sur le poteau blanc. Pierre après pierre, qui reçoit. Elle est placide, ne dit rien, reçoit ! Droit le poteau. On l’aura égratigné. Aussi placide et aussi droit, à quelque mètres de là, le bâtiment de la Faculté de droit. Un cri, deux ! Un court, puis d’autres. Pierres, barres de métal, bâtons à la main et colère dans la démarche, les étudiants veulent investir l’endroit qu’ils pensent être la source des malheurs de la Justice, de Ousmane Sonko, du pays… La foule est folle, dit-on. Faux ! Devant ceux qui veulent caillasser la Faculté de droit, se dressent ceux qui croient que le combat est ailleurs. Entre étudiants révolutionnaires, on se bat. Le bâtiment garde son blanc qui luit sous le soleil de midi… et il survivra. Le vœu de casser des uns n’aura pas triomphé devant le droit que les autres ont de protéger l’institut qui forme celles et ceux qui disent le Droit au Sénégal.

On crie, on s’excite, on se carbure, direction la Corniche. En passant, des jets de pierres. Des fenêtres de la façade de la Fac cassées. Service minimum ! Sur la corniche, les hommes en uniforme sont sur le pied de guerre. Un peu après 12h 30, un big rush de la foule vers l’intérieur s’enclenche. Le face-à-face met les étudiants révolutionnaires trop à découvert. Les armes ne sont pas les mêmes. Sauve qui peut ! La foule n’a d’ailleurs plus la force et la hargne d’il y a quelques instants. Eparpillée, façon puzzle. Se forment des groupuscules. Certains devant, au charbon, face au gaz lacrymogène. D’autres derrière eux, des pierres dans la main, qui ne sont toujours pas jetées. Sous les arbres du jardin face à la Faculté de droit, on se repose. «Hé, amoo ticket, ticket han.» Un révolutionnaire inter­pelle un ami qui passe. Il a faim. Un ticket, au resto. Lui, en a pour l’instant fini de faire sa guerre.
 
Casser pour avoir gain de cause
«Ce sera la honte de la jeunesse si ça passe !» Parole de révolutionnaire. Monsieur, d’ailleurs, se projette : il arrêtera de voter, tout bonnement, si «ça» passe, si Ousmane Sonko n’est pas des candidats en 2024. Et hop, monsieur court. Il rejoint un groupe qui s’est formé autour d’un ange qui apporte d’on ne sait où un lot de masques. On se les arrache pour renforcer la protection contre le gaz qu’envoient les hommes en uniforme. Effort de guerre apprécié de la foule révolutionnaire. Pour d’autres, l’effort revient à casser en petits éléments facilement jetables de la dalle trouvée ici et là. Beaucoup de ces munitions ne seront utilisées.

A 13 heures, la foule envoie des signaux évidents de lassitude. Plus de monde sous l’ombre des arbres que sous le soleil…

Des soldats insultent, dépités de sentir la démobilisation : ils rentrent. Une voix : «Sonko, Sonko, Sonko.» Pas de répondants. Devant, que les ultras. Ils en ont plus que marre. Les ultras se constituent en foule et attaquent les groupus­cu­les moux restés derrière. Sans succès. La vitalité des premiers instants s’est perdue, et ne semble plus prête à reve­nir pour galvaniser les révolutionnaires. La bataille de la Corniche semble impossible à gagner. Le champ est à découvert. Le vent joue à propager le «piment», la fatigue…

On consent à faire l’ultime repli… pas pour abandonner. Rendez-vous devant le poteau et la caméra pris pour cible plus tôt. Un responsable est désigné. Il parle. Il rappelle que si les étudiants révolutionnaires se battent, c’est pour avoir gain de cause. Ainsi faut-il redéfinir les objectifs. Les policiers étant impossibles à battre, il faut tout faire pour détruire le maximum de biens. Les cibles sont vite trouvées. On est d’ac­cord pour casser du bus. Le premier, un devant la Faculté des lettres et sciences humaines. Puis, deux devant la Bibliothèque centrale de l’université. En toute lucidité, puisqu’on s’interdit de toucher à la bibliothèque. On n’y touche que très timidement. Cinq bus seront brûlés au niveau de la Faculté des sciences. Et on avance vers cette Fac que certains avaient comme cible lorsque la casse n’était pas la stratégie et que le protagoniste était l’homme de tenue sur la Corniche. Quelques minu­tes après 14 heures, un énorme bruit s’entend à partir du chapiteau de la Faculté de droit. Le saccage a débuté et on casse comme on peut. Un peu plus tard, le ciel de l’université, qui a «lux» comme «lex», s’assombrit. Les feux crachent leur noirceur. On apprendra après que le saccage ciblé décidé sous un poteau portant une caméra ne s’est pas limité qu’à cette partie de l’Ucad abritant Facultés des lettres et sciences humaines, de droit et de sciences. Le Centre d’études des sciences et techniques de l’information (Cesti), par exemple, aura sa part du feu. L’entrée de la Fac, qui a cristallisé le plus de frustration, garde les séquelles du passage des «révolutionnaires». De même, pour l’enceinte et les fenêtres à l’intérieur…