En Afrique, on célèbre souvent ceux qui ont collaboré avec les colons, contre les intérêts des fils d’Afrique, et on efface de nos mémoires ces braves qui ont donné leur vie pour la défense de leur pays, de leur société contre les envahisseurs. Ils sont nombreux ceux envers qui on n’a pas été du tout reconnaissants : l’Almamy Abdoul Kader Kane et Baïdy Kacce Pam font partie de ces héros oubliés.
Abdoul Kader Kane est un chef religieux et un conquérant. Premier Almany du Fouta Toro, il est natif de Kobilo Torobé, dans le département Matam. Il renversa en 1776, aux côtés de Thierno Souleymane Baal, la dynastie peule des Déniankés. Il dirigea le nouvel Etat théocratique pendant des années.
Après avoir mené de nombreux jihads, il fut celui qui a interdit la traite négrière au Fouta Toro. Il a attaqué les royaumes négriers voisins comme ceux du Cayor et du Walo. D’ailleurs, c’est avec le Damel Amary Ngoné Ndella Coumba qu’il engagea la bataille de Boungowi. Il conduisit également de nombreuses expéditions militaires contre le Boundou, contre les Maures du Trarza. Il fut tué à Djoudé Gouriki, dans le département de Kanel, région de Matam. A Matam, sa région de naissance, rien ne permet de se souvenir de lui. Nos enfants ne le connaîtront jamais.
Baïdy Kacce Pam est né à Guia, un village situé dans le département de Podor, région de Saint-Louis, ancienne capitale de L’Aof de 1895 à 1902. Il s’est fait surtout remarquer par son hostilité contre le «jagodine» du Lamtoro dans le canton de Guèdé, qui supervisait la levée d’une troupe de tirailleurs sénégalais qui devaient être envoyés par la France dans les guerres de conquête comme en Indochine, Madagascar ou au Dahomey, actuel Bénin.
Le commandant Abel Jeandet dont la tombe est toujours visible à Podor, pendant sa campagne dans le Bosséa, avait demandé au Lamtoro Sidiki Sall dit Boubacar Naïssé de lui prêter des hommes pour les aider à transporter leur matériel. Baïdy avait fait connaître sa réponse en disant à l’envoyé du commandant Jeandet, qu’ils sont des guerriers et non des ânes porteurs ; et qu’il faisait partie du régiment Toranké qui les a battus à Guia en leur prenant plusieurs dizaines de fusils et des canons. Dans l’étape de Aéré Lao, Baïdy Kacce se révolta et a voulu prendre le chemin du retour ; il fut interpellé par le commandant Abel, qui l’a traité d’esclave de Lamtoro. C’est ainsi que Baïdy lui demanda si le diable lui avait donné une gifle pour qu’il confonde les sujets du Lamtoro à des esclaves.
«Il n’y a pas sur terre pire que mensonge, je t’ai suivi sur simple ordre de mon roi, mais je ne l’attendrais pas pour faire mon devoir vis-à-vis d’un infidèle, d’un traitre, d’un ingrat comme toi.» Abel Jeandet, sans hésiter, lui asséna une gifle. Baïdy riposta avec un coup de feu et abattit mortellement le chef blanc. Il se refugia à Mbantou. Le chef de ce canton, Ardo Mbantou, le fit arrêter et le livra aux Français. Ainsi, Lamtoro Sidiki Sall et Mamoudou Yéro Sall se rendirent à Saint-Louis pour discuter du sort de Baïdy Kacce Pam, accusé de meurtre, et peut-être à tort.
Il confia le royaume à Guéladio, très jeune et trop téméraire pour comprendre la finesse des lois et qui leur suffira à des attaques éventuelles, et qu’il n’y a pas commune mesure entre un Lamtoro et un Jeandet.
Le tribunal militaire siégeant ce 2 septembre 1895 condamna à la peine capitale les sieurs Lamtoro Sidiki Sall, Mamoudou Yéro Sall et Baïdy Kacce Pam. Dans sa dernière prise de parole, avant de mourir, Baïdy Kacce a juré que là où il rencontrerait Ardo Mbantou, serait-ce devant Allah, il lui couperait la langue avec un couteau enflammé. Ces deux héros doivent être réhabilités, Almamy du Fouta et Baïdy Kacce Pam, en voyant leur nom apposé devant l’entrée d’un camp militaire, caserne de gendarmerie ou de sapeurs-pompiers.
Mamadou Birane WANE