Pour commencer, une bonne nouvelle : le Premier ministre Ousmane Sonko a enfin décidé de mettre les bouchées doubles dans la recherche de solutions pour satisfaire les besoins urgents des Sénégalais. Un Plan de redressement économique et social (Pres) est sorti de terre. Devant une foule en transe, convaincue mordicus de l’efficacité de la recette magique concoctée par notre démiurge, le Président Faye et son «ami», comme de coutume, se sont encore donné le plaisir de décliner leur «vision», après 15 mois aux affaires. En réalité, nos dirigeants, qui ne se refusent rien, appellent nos compatriotes à se ceindre les reins -sevrage de certaines subventions, taxation à tout-va, pression fiscale suffocante-, pour renflouer ce pays cloîtré au «quatrième sous-sol» à cause de Macky Sall et son armée de faussaires. Les sacrifices des gouvernés, et non ceux des gouvernants, sont donc inéluctables.

L’on promet urbi et orbi l’«amélioration de la situation sociale des ménages en milieux rural et urbain», alors que les Bourses de sécurité familiale (Bsf) sont supprimées pour des raisons aussi fallacieuses que saugrenues. Pour avoir vécu dans le monde rural, j’ai compris à quel point cette politique sociale -qui est une manifestation éloquente de la «forte fibre sociale du fils du berger»- est vitale. Des pères de famille étaient agglutinés par grappes devant les bureaux de La Poste pour percevoir 25 000 F Cfa. Cette somme, modique aux yeux de la haute bourgeoisie, permettait à 300 000 familles sénégalaises de préserver leur dignité. Dans un article en date du 14 juin 2019, «La bourse familiale, un coup de pouce indispensable pour briser le cycle de la pauvreté», la Banque mondiale a recueilli ce témoignage bouleversant d’une Sénégalaise, mère de 4 enfants : «La Bourse familiale m’a sortie de l’esclavage. J’ai perdu mon mari alors que j’ai des enfants en bas âge, et me suis retrouvée dans une pauvreté extrême et sans aucune aide. J’ai dû fabriquer moi-même les briques de banco, une à une, avec mes propres mains pour construire la case dans laquelle je vis. Non, vous ne pourrez jamais comprendre d’où la bourse m’a tirée.» En arrêtant brusquement cette aide salvatrice, le pouvoir Pastef table sur le misérabilisme. Cette mesure est inhumaine. Il faut rectifier le tir, et vite.

Il n’est pas nécessaire d’être un érudit en économie politique, pour constater que l’économie de notre pays est à l’article de la mort. Depuis quelques mois maintenant, l’Etat du Sénégal, à cause de l’irresponsabilité de son Premier ministre, fait le pied de grue devant le Fonds monétaire international (Fmi) pour quémander un décaissement. En dépit des lubies souverainistes du chef du gouvernement, notre pays reste dépendant de sa collaboration avec l’institution de Bretton Woods. A cela s’ajoutent les politiques impromptues du gouvernement, lequel continue de chercher ses voies et moyens. Cette mauvaise ambiance économique que nos autorités ont «héritée», demande une mobilisation des énergies créatrices afin de s’en dépêtrer. Aux commandes de notre navire 12 années durant, le parti du Président Sall a la grande responsabilité de faire face.

Malgré les menaces et appels à l’éradication, l’Apr continue, et avec succès, à reconstituer ses troupes, en faisant un travail de cure. Ce qui est un impératif catégorique au regard de la manière dont ce parti, en dépit de son bilan fort appréciable, a perdu le pouvoir politique. Pour ceux qui ont décidé de rester au bord du rafiot tout en espérant le rafistoler un jour, l’introspection est une obligation.

Grâce à son groupe parlementaire et son réseau d’élus assez consistant puisqu’il n’y a pas encore d’élections locales, l’Apr se présente aujourd’hui comme la principale force d’opposition. Une opposition -il est très intéressant de le préciser- républicaine. Pour les tenants du pouvoir habitués aux théories du chaos, cette manière de s’opposer est absurde. Car il ne s’agit pas d’appeler à l’insurrection, de pourfendre les institutions de la République, de calciner des enfants dans un bus, de piller des magasins, d’incendier les maisons des hérétiques, de torpiller des médias trop libres et jaloux de leur liberté, d’entrer en guerre avec tout le monde, d’organiser des campagnes de lynchage sur les réseaux sociaux, de flirter avec le totalitarisme, mais de confronter des idées et propositions -comme le veut la civilisation des mœurs que prône la démocratie. Quand la Cour des comptes a publié le rapport qui devrait enterrer définitivement le parti et ses dignitaires, les institutions n’ont pas été attaquées, et aucun magistrat n’a été livré à la vindicte populaire. Mais mieux encore, et c’est là une véritable rupture, un contre-rapport a été produit et présenté avec des arguments à l’appui. L’Apr a donc choisi de s’opposer fermement au pouvoir Pastef dans le cadre strict des lois et règlements.

Les anciens dirigeants ont bon dos. Pastef, en raison de son art de manipuler, a réussi à semer au sein des masses une haine viscérale envers l’Apr. La sentence, lourde au possible, est sans appel, et même Edward Bernays ne ferait pas mieux -les morts à gogo pendant les temps ensanglantés de la conquête du pouvoir, la falsification des chiffres, la dette «cachée», les arrestations arbitraires, les disparitions, l’instrumentalisation de la Justice, etc. Pour se débarrasser de cette écume dévastatrice, l’Apr doit se donner une nouvelle image, un nouveau discours, de nouveaux imaginaires. Un nouveau récit. C’est l’unique chemin qui mène à la réinvention. La bataille pour la reconquête du pouvoir n’est pas que politique, elle est aussi, comme le répète Hamidou Anne, culturelle. La création de la Cellule analyses et prospective permettra au parti de bifurquer vers la voie de la praxis, c’est-à-dire le choix de l’action concrète pour l’obtention d’un résultat. Il s’agit aussi d’extirper les chercheurs de leur tour d’ivoire pour qu’ils soient en contact avec les décideurs. C’est une théorie de la pratique, et non une pratique de la théorie.

D’une manière générale, l’opposition doit faire un travail d’aggiornamento pour produire un discours à même de concurrencer, voire de supplanter celui de Pastef.
Cela dit, je n’accorde aucun crédit à des opposants comme Barthélemy Dias, par exemple. Il fait partie, suivant la perspective de l’historien du nazisme Johann Chapoutot, des irresponsables, c’est-à-dire ces gens-là qui ont bien voulu pactiser avec Pastef. Pour un républicain, prendre langue avec un parti dont le modus operandi a toujours été l’insurrection, est une ligne rouge à ne pas franchir, fût-ce par décence. La raison est qu’une certaine tradition républicaine pousse à ostraciser et à isoler une telle formation politique. Mais plusieurs de nos hommes politiques dont l’ancien «dôm’ou ndèye» du Premier ministre, ont cautionné les agissements de Pastef. Quand Ousmane Sonko appelait ses roquets à aller envahir le Palais pour déloger le Président Sall, pourfendait l’unité nationale avec des déclarations graveleuses sur l’ethnie, le nouvel opposant virulent était en collusion avec lui, et d’ailleurs en très bons termes ; même choix irresponsable quand il insultait tout le monde, et intimait à ses petits gladiateurs de créer les conditions de l’embrasement général. Comme tous ses compagnons de l’opposition de l’époque, le chef de file du mouvement «Sénégal bi ñu bokk» est comptable de tous les agissements de Ousmane Sonko.
La réinvention de l’Alliance pour la République, pour la reconquête du pouvoir, est possible. Ou reste un possible à féconder. Mais il ne faut pas se tromper de plaisir : un travail titanesque attend l’ancien parti au pouvoir…