Relations avec la France, le tournant enfin amorcé
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L’interview accordée par Monsieur le président de la République Bassirou Diomaye Faye au journaliste Nicolas Bertrand de France 2, en prélude à la commémoration de l’an 80 du massacre des Tirailleurs sénégalais au camp militaire de Thiaroye le 1er décembre 1944, largement relayée par la presse et les médias sociaux, a suscité en moi une grande admiration et un fort sentiment de fierté.
Dans une véritable posture de chef d’Etat empreinte de retenue, d’éloquence et d’un redoutable sens de la repartie, la Président Faye a su apporter des réponses pertinentes, justes et responsables sur des sujets complexes et sensibles relatifs à notre long cheminement avec la France. Un compagnonnage qui, de notoriété publique, perd de plus en plus de son influence dans les pays africains en général, du fait d’un éveil des consciences et de l’émergence d’une nouvelle génération de dirigeants.
Le Sénégal, tête de pont de la colonisation, puis de l’influence postcoloniale de la France en Afrique de l’Ouest, n’échappe pas à cette vague de changement ayant grandement favorisé l’avènement de la 3ème alternance démocratique, consacrée par l’éclatante victoire du parti Pastef et de ses alliés à l’élection présidentielle du 24 mars 2024. Cependant, il est important de préciser que même avant cet évènement historique, l’on subodorait déjà le changement de cap à travers les sorties mémorables et courageuses du président du Pastef Monsieur Ousmane Sonko, chef de file de l’opposition et principal artisan de cette victoire.
En effet, le Sénégal a été l’un des points d’entrée des français en Afrique. Dès 1659, ceux-ci installèrent un premier comptoir de traite négrière à l’embouchure du fleuve éponyme et le baptisèrent Saint-Louis en hommage au roi de France de l’époque, puis ce fut le tour de Gorée en 1677. Près de deux siècles plus tard, ces deux implantations furent à l’origine de la colonisation du territoire actuel du Sénégal aux alentours de 1817, puis plus tard de l’hinterland ouest-africain. Cette nouvelle ère de domination est caractérisée par une présence plus marquée sur le sol africain avec une occupation militaire du continent, l’anéantissement des royaumes traditionnels et une volonté affichée d’annihiler et de gommer de la mémoire collective toutes les valeurs sociales locales par une mission «civilisatrice».
En sus de cette volonté d’aliénation culturelle des peuples africains, l’époque coloniale a été parsemée d’épisodes sanglants de répressions barbares dont l’un des plus marquants, longtemps minimisé par les différents pouvoirs politiques en France, fut le massacre de masse, le 1er décembre 1944, de Tirailleurs sénégalais revenus de France et ayant, de manière significative et déterminante, participé à la libération de ce pays du joug nazi durant la 2ème Guerre mondiale.
Ces soldats émérites, précurseurs des vaillantes armées actuelles de la plupart des Etats de l’Ouest africain, furent l’objet, à la place des médailles et des honneurs légitimes dus par la puissance coloniale, d’une exécution sommaire dans l’enceinte du camp militaire de Thiaroye situé dans la banlieue de Dakar, pour avoir réclamé leur pécule de démobilisation.
Ce crime abject, par sa cruauté et son ignominie, longtemps volontairement sous-estimé, se révèle chaque jour davantage aux yeux du monde grâce à la persévérance des chercheurs africains et suscite aujourd’hui un intérêt grandissant pour nos peuples dans leur quête de justice et de véritable émancipation.
Il est en effet heureux aujourd’hui que cette date symbolique du 1er décembre, longtemps quasiment éludée par les dirigeants de notre pays pour des raisons évidentes, soit commémorée avec tous les honneurs dus à ces valeureux soldats mobilisés contre leur gré et qui ont néanmoins démontré, avec force et détermination, le courage et la vaillance des peuples d’Afrique.
Le Président sénégalais, dans cette fameuse interview, relayée par de nombreux médias nationaux et internationaux, a montré à la face du monde la réalité du renouveau africain, le visage d’une Afrique ambitieuse, assoiffée de souveraineté et consciente de sa pleine représentativité dans le concert des nations où elle compte désormais jouer entièrement sa partition. Ce renouveau, incarné par les nouveaux dirigeants des pays de la sous-région, est une pilule amère pour l’ancienne puissance coloniale qui, aveuglée par sa condescendance et les faveurs indues et multiformes dont certains dirigeants africains étaient les garants et les farouches défenseurs au détriment de leur peuple, n’a jamais jugé utile ni important d’intégrer l’Afrique dans ses schémas de mutations stratégiques de politique étrangère, assurée qu’elle était de son rôle de protecteur.
Pourtant les signaux étaient perceptibles depuis fort longtemps et il me plaît de rappeler à ce propos qu’au Sénégal, sous le magistère du Président Abdoulaye Wade, un octogénaire formé à l’école coloniale française, les prémices d’un divorce d’avec la prééminence de la France avaient été posées avec la réduction des forces françaises installées au Sénégal et une diversification sensible des partenaires économiques.
Mais en 2012, l’avènement d’un nouveau régime a interrompu cette dynamique et marqué le retour en force de l’ancienne puissance coloniale, car le nouveau Président élu, bien que né après les indépendances, avait choisi de nager à contre-sens de la marche de l’histoire, au mépris des jalons posés par son prédécesseur et des intérêts légitimes de nos concitoyens ; nous replongeant pendant douze longues années sous le diktat de la France.
Le régime actuel incarne donc une nouvelle rupture porteuse d’espoir. Lors de cette interview mémorable, j’ai choisi d’évoquer deux réponses de Monsieur le président de la République qui ont marqué mon esprit, car ayant le mérite de remettre les pendules à l’heure et allant dans le sens de l’affirmation de l’Afrique :
celle où l’argument de la réciprocité et de la proposition de «l’inversion des rôles» a été évoqué en référence au maintien des troupes françaises au Sénégal ;
sa réaction par rapport au partenariat économique entre les deux pays : «La France doit comprendre que l’environnement est devenu beaucoup plus concurrentiel et qu’elle doit offrir plus et mieux dans le cadre d’offres ouverts pour accéder aux marchés publics (sic).»
Quel sens de la répartie ! Quel discours juste, responsable et innovant !
Merci Monsieur le Président !
Vive le Sénégal !
Mamadou MBODJI
Administrateur civil principal à la retraite, Secrétaire Général
du mouvement «Action pour le Développement et la Souveraineté (Ads)»