J’ai cru faire le buzz, cette semaine, en présentant devant la presse mes «Chroniques des Ans Foirés» dans une ambiance sympa, entouré de deux brillants esprits, devant des gens normaux au langage châtié, sans extravagance costumière.
Grave erreur…

Alors que dans les chaumières où l’on vit les pieds dans l’eau, le pantalon retroussé et le matelas sur la tête, ça s’apprête à un hivernage torride dont le feuilleton-vedette est jusque-là la sulfureuse affaire Kocc, un drôle de type à la mine patibulaire, surmonté de quatre touffes, surgit du silence et tétanise la République.

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Thiat allume «Porozé bi», le chef-d’œuvre de quatre mille cancres, pardon, cadres de Pastef. Il jette dans sa Géhenne leur prophète, Ousmane «Mou Sèll Mi», et le Président «légal», Bassirou Diomaye Faye, lequel a le bon goût de poser cette semaine-là à côté d’un couple de lions, malgré les mille et un soins que la République dépense pour le garder sain et sauf.

Et puis, gentiment, Son Excellence le Body Builder, après avoir pataugé quelques mètres dans les eaux des sinistrés de la pluviométrie, prend une petite semaine de repos pour s’éviter un surmenage républicain.
La cellule de crise anti-inondations attendra…

Cyril Oumar Touré, un enfant de bonne famille, qui n’en est pas moins une tête brûlée, est plus connu sous le nom d’artiste Thiat. Jusque-là, il sévit au moyen d’un duo subversif avec Mbessane Landing Seck, lequel signe ses œuvres Kilifeu. Inséparables adolescents, ils fondent Keur Gui et, premier fait de guerre, brûlent le maire de Kaolack d’alors, Abdoulaye Diack, ce qui leur vaut un passage à tabac et un séjour en prison.Leur réputation est faite.

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Sous les socialistes, ils n’ont pas vraiment bonne presse et leur premier album est censuré. Il leur faudra attendre l’alternance en 2000, avec le Père Wade, le pape du «Sopi», pour enfin avoir droit de cité sur les ondes et envahir les bacs. C’est l’album «Première Mi-Temps» qui ouvre le bal, suivi quatre ans plus tard de «Liye Raam», une première salve contre l’alternance, laquelle prend alors des chemins de traverses.

C’est en 2008 que le groupe Keur Gui, auquel se joint le tristement célèbre expatrié Mollah Morgun, entre autres, connaît son heure de gloire : l’album «Nos Connes Doléances» les installe au sommet de la pyramide hip-hop. Ils sont proclamés par l’underground meilleur groupe, meilleur album, meilleures ventes et, ouf, meilleure prestation scénique. Il faut dire qu’ils ne s’encombrent pas de froufrous : il leur arrive d’arriver sur scène torse nu, déguisement sophistiqué qui doit sans doute leur valoir le plébiscite des midinettes en surchauffe libidinale…

C’est alors qu’ils partent à la conquête du monde, décrochant à tout casser une nomination aux Hip Hop African Awards. Qu’à cela ne tienne, on les réclame aux quatre coins du monde. Ils ont un dernier «Coup de Gueule», un single balancé en 2010 qui annonce la tempête.

C’est l’année 2011 qui les propulse vraiment au firmament de la gloire, non pas du hip-hop mais de la contestation. Ils sont très en vue au Forum mondial social de Dakar de février 2011 et participent, par le single «Kel Dette», à une compilation qui plaide pour l’effacement de la dette du Tiers-Monde.

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Mais c’est le mouvement Y’en a marre qu’ils fondent un mois auparavant, avec le journaliste Fadel Barro et quelques autres indignés des tropiques, qui est le tournant capital. Ils sont aux avant-postes et se dressent contre la mal gouvernance de «l’alternoce» dont les délestages intempestifs et, surtout, le 23 juin 2011 devant le Parlement, contre la tentative de coup d’Etat institutionnel du régime de Wade, qui tente de traficoter le mode de scrutin pour faire rempiler le nonagénaire sublime une troisième fois…

Suivent des manifs Place de l’Indépendance ou de l’Obélisque et autres formes de contestation, qui feront chuter le pape du Sopi un an après, en mars 2012, pour céder la place à Macky Sall, le manitou de la gouvernance «sobre et vertueuse».

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On ne sait pas vraiment si leurs veillées «Dâss Fanânal» de février 2012 ont fait des petits…
Toujours est-il que l’esprit Y’en a marre se propage, se démultiplie. D’abord dans la diaspora, avec des cellules dénommées Esprit Y’en a marre, Yem en acronyme, mais surtout sur le continent, au Congo «démocratique» avec Lucha, au Burkina Faso avec le «Balai Citoyen», au Mali avec «Sofas», au Togo «Athiamé». Apparemment, la liste n’est pas exhaustive…

A quel moment le fil se rompt-il entre le nouveau régime mackyavélique et Y’en a marre ?
En 2014, le single «Diogoufi» est une première salve, qui dénonce «les mêmes chiens, les mêmes chats» de la mal gouvernance…

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En un mot comme en cent, Macky Sall et sa clique doivent dégager.
C’est vrai, entre-temps, Fadel Barro se lance en politique, et Kilifeu se retrouve dans une drôle d’histoire de trafic de visas… Ça prend du plomb dans l’aile, côté Y’en a marre.

N’empêche, la guérilla à Macky Sall et sa clique bat son plein : le deuxième troisième mandat auquel Sa Rondeur pense jour et nuit sans oser l’avouer est attendu au coin du bois, avec Pastef à l’avant-garde. Bien sûr, pour barrer la route à ces gens qui «arrosent leur couscous de la sueur des Sénégalais», ça n’est pas très regardant sur les collusions.
Ousmane Sonko est un saint, Adji Sarr une pute mythomane, Mame Mbaye Niang un voleur sous protection. Quant à nous autres, journalistes normaux, nous sommes des vendus…

Le 24 mars 2024, au terme de longues compromissions secrètes entre Macky Sall, Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye, la révolution sort des urnes. Je n’ose pas parler de «pacifique et sans effusion de sang», parce que ça nous aura coûté plus de quatre-vingts vies humaines, de même que des milliards de francs Cfa en dégâts matériels.

Le malheur des autres faisant le bonheur des uns, Mbessane Landing Seck, Kilifeu, se retrouve un beau matin président du Conseil d’administration du Grand Théâtre Doudou Ndiaye Coumba Rose.
Que devient Cyril Oumar Touré, Thiat ? On vient de le découvrir. Pendant tout ce temps, il prend des notes, consigne les promesses électorales, et réfléchit.
On connaît la Sweet…

Par Ibou FALL