L’audition de l’ex-ministre des Mines, Aly Ngouille Ndiaye, hier, suivi d’autres ministres et agents, dans les prochaines heures, dans le cadre de l’affaire Etat du Sénégal-Arcelor Mittal, met en épingle une affaire en fer à cause de nombreuses zones d’ombre dévoilées par les nouvelles autorités. Une partie des indemnités d’Arcelor Mittal avait permis à l’Etat de désintéresser Kumba Resources (avec 35 milliards de francs Cfa) et de récupérer ses études techniques, estimées à 25 milliards de francs Cfa.

Il a été entendu, puis il est rentré… L’ancien ministre des Mines sous Macky Sall, Aly Ngouille Ndiaye, a été entendu hier par le Doyen des juges près le Tribunal de grande instance hors classe de Dakar dans le cadre de l’affaire Arcelor Mittal, un géant mondial de l’acier.

Accompagné de son avocat, Me El Hadji Oumar Youm, l’ex-ministre de l’Intérieur a répondu aux questions du magistrat-instructeur pendant près d’une heure. A l’issue de cette audition, il a déclaré avoir livré «sa part de vérité» sur ce dossier qui porte sur le protocole de paiement de 140 millions de dollars (plus de 78 milliards de F Cfa), débloqués pour solder le litige entre l’Etat du Sénégal et la société franco-britannique Arcelor Mittal.

Après M. Ndiaye, Birima Mangara est attendu dans les prochaines heures pour être entendu.

Il faut rappeler qu’une information judiciaire avait été ouverte par le Parquet de Dakar en février 2025 pour des faits présumés «d’association de malfaiteurs, de corruption, de recel, de blanchiment de capitaux, d’escroquerie et de complicité» dans ce dossier lié à l’exploitation du fer de la Falémé. Une vraie arlésienne. Initiée en 2007, l’exploitation des gisements de fer de la Falémé, dans le Sud-est du pays, évaluée à l’époque à 2, 2 milliards de dollars, est un package : construction d’une usine sidérurgique, des infrastructures ferroviaires et portuaires. Rien n’est fait après plusieurs mois, poussant le Sénégal à traîner le géant indien devant la Chambre arbitrale. Sous Macky Sall, le dossier connaît son épilogue en septembre 2013 : Dakar obtient gain de cause. Alors que le pays réclamait des dommages et intérêts estimés à plus de 3300 milliards, les deux parties trouvent un règlement à l’amiable pour un versement de… 78 milliards F Cfa.

Les révélations de la Cour des comptes
Le rapport de la Cour des comptes, qui porte sur la gestion 2014-2018 de la Société des mines du Sénégal oriental (Miferso), se désole de ce que, «aujourd’hui, 46 ans après, aucun gramme de fer n’est extrait de nos importantes réserves estimées à 750 millions de tonnes dont 650 millions de tonnes prouvées». Le rapport constate que «des investisseurs étrangers se sont intéressés à l’exploitation, mais aucun projet n’a abouti jusqu’à présent en raison de la résiliation du contrat par l’Etat ou de l’abandon du projet par l’investisseur».

Il est à noter, cependant, que «seule la piste de l’exploitation par des privés est mise en branle, même si l’Etat doit réaliser certains investissements lourds». Les magistrats de la Cour des comptes se permettent même une comparaison avec la Mauritanie, «qui a créé sa société d’exploitation durant les années 60, la Miferma devenue la Snim, la Société nationale industrielle et minière, qui est depuis des décennies productrice de fer. La Snim exploite une ligne de chemins de fer longue de 704 km, reliant les mines de fer de Zouerate au Port minéralier de Nouadhibou. Cette société est le deuxième employeur du pays et contribue à hauteur de 30% au budget national». D’où la déduction des rapporteurs selon laquelle «il y a lieu de s’interroger sur les stratégies privilégiées jusqu’à présent, à savoir trouver un partenaire privé capable d’exploiter le fer».

Le rapport en a profité pour rappeler les deux conflits qui ont opposé l’Etat du Sénégal, à travers la Miferso, à deux grandes multinationales, à savoir la Sud-Africaine Kumba Resources, pour rupture abusive de son contrat, et la Franco-Britannique Arcelor Mittal, pour non-respect de ses engagements. Ces deux affaires seront réglées devant les tribunaux compétents, et si le Sénégal se voit condamné à indemniser les Sud-Africains, il gagnera son procès face à Arcelor Mittal. Néanmoins, cette dernière affaire connaîtra de gros remous au Sénégal, parce que des personnes trop intelligentes estimeront que le pays aurait été lésé par rapport à ce qu’il a fini d’obtenir de la multinationale britannique.
La Cour des comptes elle-même indique que les avocats de l’Etat avaient, à l’époque, estimé que le Sénégal aurait dû récolter 2 mille 500 milliards de francs Cfa de Mittal, au lieu des 78 milliards. Néanmoins, ces indemnités lui avaient permis de désintéresser Kumba Resources (avec 35 milliards de francs Cfa) et de récupérer ses études techniques, estimées à 25 milliards de francs Cfa.

Techniquement, si les juges sénégalais souhaitent vraiment l’éclatement de la vérité, ils devraient chercher à auditionner les arbitres du Cirdi, ainsi que les personnes qui, au sein d’Arcelor Mittal, ont été liées à ce dossier. Dans le cas contraire, il ne pourrait y avoir que des présomptions, car nul ne pourra prouver que le Sénégal a été lésé.

Le Trésor national n’a sorti aucun sou, et au contraire, en a même gagné avec les indemnités qui lui ont été versées par Mittal. En plus, cet argent a permis, pour une bonne part, de désintéresser Kumba Resources de sa plainte, sans que, une fois encore, l’Etat du Sénégal ne débourse un seul sou. Difficile donc de prouver un préjudice dont la matérialité n’est pas établie !