Les propos tenus par les ministres en charge des Mines et de l’Environnement, lors de leur récente tournée dans la zone aurifère de Kédougou, ont suscité en moi un vif sentiment de fierté et de réconfort. Fierté d’avoir enfin entendu pour la première fois les autorités de notre pays se prononcer avec lucidité et transparence sur certaines pratiques aux antipodes des intérêts du Sénégal, qui ont toujours été érigées en règles aussi bien par la plupart des sociétés minières que les orpailleurs traditionnels. Réconfort pour avoir retrouvé dans leurs propos des interrogations qui ont été miennes lors de mon séjour professionnel dans cette partie du Sénégal.
En effet, ayant été Préfet du département de Kédougou entre 2007 et 2008, je m’étais évertué, durant mon bref séjour dans ces belles contrées de notre pays, à m’interroger et à informer les autorités sur la grande opacité, en tout cas pour l’autorité administrative que j’étais, qui entourait les activités d’exploration et d’exploitation minières.
A plusieurs reprises en effet, l’attention avait été attirée sur divers constats dont :
les nombreuses navettes aériennes ralliant régulièrement l’aérodrome de Sabodala dont la provenance était souvent inconnue, du moins pas toujours maîtrisée ;
les prélèvements faits par les sociétés titulaires de permis d’exploration qui étaient acheminés au Mali chaque semaine du fait que le Sénégal ne disposait pas à l’époque de laboratoire d’analyse, ce qui constituait une difficulté pour les services compétents de connaître les résultats des recherches et pouvait favoriser une exportation illégale du minerai ;
l’absence de voies de communication qui rendait de nombreuses zones incontrôlables, surtout pendant la saison des pluies ;
le faible impact, voire l’absence de retombées du Programme social minier pour les communautés, alors que ce dernier est régulièrement approvisionné par les sociétés dans le cadre de la Rse ;
les difficultés engendrées par les opérations minières pour les populations locales (pollution des cours d’eau, de l’air, perte d’espaces cultivables, etc.) ;
le ressentiment croissant des populations de la zone minière (en particulier de la commune de Khossanto) à l’encontre de certaines sociétés minières du fait des agressions sur l’environnement, mais surtout du non recrutement des jeunes, même pour les emplois non qualifiés.
S’agissant de la population, le sentiment de révolte qui grondait en son sein atteignit son paroxysme le matin du dimanche 18 novembre 2007, quand les habitants de Khossanto décidèrent de bloquer l’accès à Sabodala et stoppèrent les activités de «Mineral Deposit Limited» (Mdl), la principale société du site pour dénoncer, entre autres revendications, le non-accès aux emplois non qualifiés (manœuvres). A l’issue d’intenses pourparlers ayant abouti à la levée du blocus et à réinstaurer le contact entre les populations et les responsables de Mdl, un comité local de recrutement fut mis sur pied.
Cette décision, acceptée par toutes les parties, a permis aux villages directement impactés de faire travailler leurs jeunes comme manœuvres dans les chantiers de l’ensemble des sociétés minières. Ainsi, chaque semaine, sur la base des besoins en main-d’œuvre non qualifiée, le comité, sous la supervision du Sous-Préfet, procédait à la répartition des effectifs entre les villages concernés. Cette forme de «discrimination territoriale» était, à mon avis, la solution pour permettre la poursuite des activités dans l’immédiat, tout en instaurant une certaine justice pour les populations riveraines qui subissaient les impacts directs de l’activité minière industrielle. Plusieurs années plus tard, des études font encore référence à cette organisation qui a continué à fonctionner.
S’agissant des emplois qualifiés, particulièrement ceux de chauffeurs, un bureau de main-d’œuvre fut ouvert à la Préfecture afin de recueillir les dossiers des candidats.  Les sociétés acceptèrent de procéder, chaque fois que de besoin, à des tests de sélection des candidats issus de la banque de données. Bien qu’ouvert à tous, ce bureau a permis de donner leurs chances aux jeunes de la localité.
Le système mis en place à force de persuasion et de persévérance avait participé à apaiser les tensions et restaurer la confiance des populations. Cependant en août 2008, suite à l’érection du département en région et à sa division en trois (3) départements, une grande partie des responsables des services administratifs et sécuritaires furent mutés ailleurs. La nouvelle administration, naturellement plus étoffée, mais ayant peut-être d’autres priorités, relâcha la vigilance à une période qui était cruciale, favorisant ainsi le retour aux anciennes pratiques d’accaparement des emplois subalternes par les proches des cadres sénégalais des sociétés venus d’autres régions du pays.
Ce retour en arrière contribua sans nul doute à l’éclatement des émeutes de Kédougou, le 23 décembre 2008. Plusieurs édifices publics furent incendiés (Préfecture, résidence du Préfet, bureau de poste, mairie et brigade de gendarmerie). Dans l’après-midi, quand les jeunes décidèrent de s’en prendre au camp militaire, les soldats durent faire usage de leurs armes afin de les stopper. Ces manifestations, d’une ampleur inédite pour cette paisible localité, firent un (1) mort et de nombreux blessés. Depuis ce jour, la perception de l’Administration et de l’Etat par ces populations ne fut plus la même et vice-versa ; une ligne qui ne devait pas être franchie l’ayant été.
Si j’ai tenu à rappeler ces faits si longtemps après leur survenue, c’est parce que ceux-ci m’ont profondément marqué et, surtout, en raison de la volonté affichée par les nouvelles autorités du Sénégal de restaurer les bonnes pratiques et le respect des normes érigées par l’Etat.
Dans cette dynamique de changement, il serait aussi souhaitable, outre les injonctions faites aux sociétés minières de se conformer strictement aux clauses de leurs contrats et à toutes les dispositions régissant leurs activités, de mettre un accent particulier sur le devenir des populations de cette région, plus particulièrement les jeunes par la formation aux métiers des mines et la mise en œuvre effective du Programme social minier. Ce programme, qui bénéficie d’un financement annuel important de la part des sociétés minières et dont le but est de promouvoir l’accès aux services sociaux et à l’autonomisation par le financement de projets de développement et le désenclavement, n’a pas encore totalement répondu aux attentes des populations.
Il convient en effet de souligner que même si la plupart des mesures correctives exigées aux sociétés minières sont conformes aux accords existants, ceux-ci n’ont jamais fait l’objet d’une application rigoureuse.
Cependant pour être optimal, ce renouveau de la politique minière doit intégrer, dans ses priorités, la lutte contre le récent développement fulgurant de l’orpaillage clandestin, traditionnel comme semi-industriel dont les multiples impacts, à la fois économiques (perte de ressources), environnementaux (destruction de la faune, de la flore et des ressources hydriques essentiellement par l’utilisation du mercure) et sanitaires ont atteint des dimensions incommensurables.
Je voudrais enfin saisir cette occasion pour inviter humblement mes collègues autorités administratives encore en fonction à être les premiers agents de développement de leur circonscription, à s’évertuer le cas échéant et autant que possible «à prodiguer les premiers soins», faire bouger les lignes et éviter de se comporter uniquement en gardiens de l’ordre établi ou de s’enfermer dans une certaine rigidité source d’immobilisme, ou pire d’impasse. Les mutations actuelles commandent un nouveau type d’administration basée sur une participation effective au développement local, une parfaite appréhension des réalités et enjeux socio-économiques et une grande capacité d’anticipation ; ceci, bien entendu, dans le cadre des normes réglementaires qui régissent leurs fonctions.
Mamadou MBODJI
Maitre en géographe humaine et économique
Administrateur civil ppal c. Ex à la retraite
Ancien préfet