Lors de la cérémonie de Rentrée des cours et tribunaux hier, le Premier président de la Cour suprême a relevé les pouvoirs limités de la hiérarchie judiciaire. D’après Mahamadou Mansour Mbaye, elle «n’a aucun pouvoir juridique de proposition, de nomination aux emplois judiciaires établis par le statut spécial des magistrats (…)».Par Justin GOMIS –
L’institution judiciaire du Sénégal a été fortement secouée par les élections passées. Hier, lors de la Rentrée solennelle des cours et tribunaux, le Premier président de la Cour suprême a déclaré que «ces élections, sans aucun doute, plus que celles qui les ont précédées, ont mis à rude épreuve l’institution judiciaire». Selon Mahamadou Mansour Mbaye, c’est certainement la raison pour laquelle le Président Bassirou Diomaye Faye a, dès son accession à la magistrature suprême, convoqué les Assises nationales sur la Justice sénégalaise. Pour M. Mbaye, «elles ont été un grand moment pour les citoyens, dans leur diversité, d’apprécier le fonctionnement de l’institution judiciaire». Seulement, fait-il remarquer, malgré cet effort d’apporter des correctifs, les assises n’ont pas traité les réels problèmes de la Justice qu’un profane ne saurait déceler. Et le Premier président de la Cour suprême d’expliquer : «la haute hiérarchie judiciaire y a été appelée in extremis, mais pas pour y jouer un rôle de premier plan, à juste titre peut-être. Il faudrait néanmoins admettre que certaines imperfections ne peuvent être perçues qu’à l’intérieur du système judiciaire, par les hommes du métier», dit-il. Poursuivant ses propos, M. Mbaye pense que «la haute hiérarchie aurait pu avouer à ces assises son impuissance lors des périodes troubles, pallier les dysfonctionnements qui peuvent affecter fortement la marche régulière de la Justice, son impuissance à redresser la barre». Malheureusement, souligne le magistrat, elle n’a aucun pouvoir juridique de proposition. Et d’argumenter : «Nous pouvons en juger par les réalités des textes d’hier comme d’aujourd’hui : la hiérarchie judiciaire n’a, en effet, aucun pouvoir juridique de proposition, de nomination aux emplois judiciaires établis par le statut spécial des magistrats ; elle ne peut pas en matière pénale poursuivre un magistrat sans y être autorisée par le ministre de la Justice ; la saisine du Conseil de discipline des magistrats appartient exclusivement au ministre de la Justice.» Mahamadou Mansour Mbaye, qui se désole de cette situation, note qu’il «s’avère ainsi qu’aucun levier important, ni aucune initiative permettant de mettre fin à un dysfonctionnement du système judiciaire n’est confié au pouvoir judiciaire, aux magistrats». Et dans ces conditions, dit-il : «En cas de difficultés majeures, les regards doivent se tourner vers le ou les maîtres du jeu pour situer les responsabilités.» Le Premier président de la Cour suprême fait savoir que les magistrats ne doivent obéir qu’à la loi comme l’exige leur serment. «En tout état de cause, il mérite d’être précisé qu’en toute circonstance, le magistrat ne doit obéir qu’à la loi et à sa conscience, en conformité avec les termes de son serment. La formule de la prestation de serment contient toutes les dispositions nécessaires pour que le juge, qui est le gardien de la loi, soit également gardé par celle-ci», a-t-il rappelé.
Dans son discours, M. Mbaye a soutenu que «le fonctionnement de l’institution judiciaire devrait s’inscrire dans nos valeurs sociétales pour permettre au Peuple sénégalais, au nom duquel le magistrat rend ses décisions, de mieux se reconnaître dans son juge». C’est ainsi qu’il a repris Montesquieu qui dit que «les lois doivent être tellement propres aux peuples pour lesquels elles sont faites, que c’est un grand hasard si celles d’une Nation peuvent convenir à une autre». Il a invité, par la même occasion, le chef de l’Etat à s’inspirer de Senghor qui disait «qu’il faut penser par nous-mêmes et pour nous-mêmes».
Relecture de plusieurs textes afin de leur procurer une meilleure cohérence
Le Premier président de la Cour suprême a aussi relevé le fait que les assises de la Justice n’ont pas abordé la question du Protocole au niveau de l’Etat pour mieux situer la représentation du pouvoir judiciaire. «Si celui-ci n’y est pas absent, comme l’est l’Assemblée nationale en ce qui concerne l’adoption des actes uniformes, jusqu’à récemment, il n’était cependant pas visible en raison du rang qu’il occupait sur ce plan, en total déphasage avec sa qualité de troisième pouvoir», a-t-il souligné. A l’en croire, «la suppression récente de deux institutions consultatives a ramené le pouvoir judiciaire à une meilleure position, même si de son point de vue, la déclinaison de l’article 6 de la Constitution sur le plan protocolaire pourrait être mieux aménagée».
En outre, Mahamadou Mansour Mbaye a plaidé la nécessité de procéder à la relecture de plusieurs des textes afin de leur procurer une meilleure cohérence. Le Premier président de la Cour suprême en veut pour preuve «les nombreuses demandes d’avis au Conseil constitutionnel, depuis l’année 2016, pour la précision de la pensée du Pouvoir constituant et du législateur électoral, ainsi que les efforts d’interprétation du juge judiciaire pour donner un sens à certains textes». Partant de ce constat, il souligne qu’on «est en droit de se demander si nos lois sont bien pensées et si elles ont été énoncées clairement». Et de recommander : «Il revient certes au juge d’interpréter la loi, il importe cependant dans certaines matières comme le droit électoral et le droit pénal, qui cristallisent l’attention des populations sur la Justice lorsqu’elles impliquent des questions ou des personnalités politiques, que la loi soit suffisamment claire, tout au moins dans son esprit. Il faut pour cela avoir une approche systémique et éviter les modifications partielles voire parcellaires qui n’ont d’autres effets que de rendre nos textes nébuleux voire contradictoires.»
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