Comme chaque année, les auteurs africains marquent leur présence sur la scène littéraire. Pour cette rentrée 2025, il faudra lire aussi Fatou Diome, Natacha Appanah ou David Diop.«La nuit au cœur» de Nathacha Appanah

La nuit au cœur (Gallimard) est le neuvième roman de la Mauricienne Nathacha Appanah. C’est un livre coup de poing où la parole vient se fracasser contre «l’impossibilité du langage», ouvrant des brèches dans les ténèbres de l’âme humaine. Son thème : le féminicide. Le récit entrelace trois histoires de violence conjugale : Chahinez, Algérienne de 31 ans, brûlée vive par son mari en pleine rue près de Bordeaux en 2021 ; Emma, la cousine de l’auteure qui avait le même âge que Chaninez en 2000 quand elle a été écrasée volontairement par son mari avec sa voiture à l’île Maurice ; et la propre histoire de violences conjugales dont Natacha Appanah fut victime et qui ont failli la consumer. Dans le roman, les trois destins s’entremêlent, révélant un engrenage meurtrier dans lequel la nuit noire prend la place de l’amour. Faire l’œuvre littéraire pour sonder l’énigme du passage à l’acte, telle est l’ambition de l’écrivaine dans ces pages. «C’est un livre que j’ai eu le privilège d’écrire, parce que je suis là», a-t-elle confié.

L’homme qui lisait des livres de Rachid Benzine
La littérature peut-elle conjurer la mort et l’oubli des vivants ? C’est la question qui hante le lecteur de L’homme qui lisait des livres (Julliard), le nouveau titre sous la plume du Marocain Rachid Benzine. C’est le sixième roman de cet auteur qui s’est d’abord fait connaître comme historien et islamologue. Le récit est campé ici au milieu des gravats et du chaos qui règne à Gaza sous les bombes. Son héros Nabil, né en 1948, l’année de la Nakba, est libraire dans la ville palestinienne meurtrie. Entouré de ses livres, le vieil homme attend qu’une âme charitable s’arrête dans sa librairie et vienne lui prêter l’oreille, car il a tant de choses à dire au monde. Quand un photographe pousse ce qui reste de la porte et lui pointe l’objectif, soucieux d’immortaliser cette scène invraisemblable de l’homme qui lit alors que le monde s’effondre autour de lui, Nabil lui raconte la tragédie interminable de son peuple, ses propres drames, mais surtout la leçon des livres dans lesquels il a puisé son courage et sa résistance face aux agressions infinies de l’Histoire.

Vibrato de Teju Cole
«Les feuilles sont noires et lustrées et des fleurs mourantes émane une senteur qui pourrait être celle du jasmin.» Ainsi commence Vibrato (Zoë) du Nigérian Teju Cole. L’ouvrage, traduit de l’anglais par Serge Chauvin, n’est pas tout à fait un roman, même si une mince ligne narrative traverse ses 250 pages, disparaît, revient, comme le thème dans une œuvre musicale. Le thème de Vibrato, ce sont quelques mois dans la vie du protagoniste, Tunde. Ce dernier est le double de l’auteur : tout comme Cole, il est écrivain, critique d’art, photographe et last but not least professeur de «creative writing» dans une université américaine. Le livre s’ouvre sur une séance de photos en plein air interrompue par le propriétaire des lieux. On le voit ensuite s’acquitter de ses devoirs professoraux, avant de s’engager dans une promenade dans le Maine pour chiner chez les antiquaires. Tunde y est accompagné de sa compagne de Sadako. Leurs difficultés conjugalement son évoquées en passant… La narration est fluide. Le récit des événements de la vie professionnelle et personnelle de Tunde est entrecoupé de commentaires, de digressions sur l’art, l’histoire, le pillage colonial des œuvres d’art, mais aussi des expériences de racisme puisées dans le vécu de l’auteur. A mi-chemin entre autofiction et méditation, ces pages se lisent comme un long essai qui invite le lecteur à réfléchir sur le monde comme il va, sur ses heurs et malheurs, sans passer par les conventions romanesques : intrigue, personnages, psycho­logie… Vi­brato renouvelle la nar­ra­tion littéraire, son format, son architecture. Attention, chef-d’œuvre !

Aucune nuit ne sera noire de Fatou Diome
Aucune nuit ne sera noire (Albin Michel) est le septième roman de la grande Fatou Diome. La romancière sénégalaise, qui s’était fait connaître en 2003 avec son inoubliable Le Ventre de l’Atlantique, renoue avec sa veine océane à travers son nouveau récit qui ressuscite la figure inoubliable et ô combien attachante d’un grand-père, pêcheur dans le Saloum. Fatou Diome carbure à l’émotion. Son nouveau roman ne déroge pas à la règle. Avec nostalgie et tendresse infinie, elle brosse le portrait intime de ce grand-père courage auprès duquel la petite Fatou a appris l’art de vivre, en se plaçant toujours au-dessus du tumulte des vagues qui viennent s’écraser sur le sable du vivant. Bonjour profondeur et tristesse !

Où s’adosse le ciel de David Diop
En l’espace de deux romans, le Sénégalais David Diop s’est hissé au rang des grandes plumes des lettres africaines. Ses lecteurs ne peuvent oublier sa narration empreinte d’humanité et de puissance imaginative, qui a fait la force de Frère d’’âme. Ce premier roman a fait connaître ce romancier bourré de talent. Où s’adosse le ciel (Julliard) est le titre du nouveau roman que l’écrivain vient de faire paraître. Puisant son inspiration dans l’histoire et les traditions narratives africaines, Diop trace dans ces pages le parcours d’un certain Bilal Seck voguant entre l’Egypte antique et le Sénégal du XIXe siècle, où se déroule l’action du roman. Le protagoniste est bloqué à La Mecque où il achève son pèlerinage et où sévit une épidémie de choléra. Ses compagnons de route l’abandonnent, craignant qu’il ait été contaminé. Or, Bilal, qui est griot, est porté par un imaginaire transmis par la grande chaîne de la parole qui le relie à ses ancêtres. Sa survie dépend de sa capacité de faire sens des signes que lui adresse le passé antique où s’enracine l’énigme de ses origines. Un récit astucieux, intelligent qui relève à la fois de l’épopée et du conte philosophique voltairien.
Avec Rfi