«Lorsque les pères s’habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs paroles, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus au-dessus d’eux l’autorité de rien ni de personne, alors c’est là, en toute beauté et toute jeunesse, le début de la tyrannie.» (Platon, La République)

Cette assertion de Platon posée à l’entame de cette réflexion, interpelle les aînés sur leur responsabilité quant à l’éducation des plus jeunes, qui leur échoit naturellement. A chaque fois qu’ils failliront à cette tâche impérative à la survie de l’humanité, ils constateront, pour le regretter, les conséquences de leur défaillance sur le comportement de leurs fils et filles.

L’arrestation, le vendredi 28 juillet 2023, du leader de l’opposition dite radicale, Sonko, et le réquisitoire à charge du procureur à son encontre reposent avec acuité la question de la responsabilité des différents acteurs politiques sur les événements regrettables qui se sont produits en ce début du mois de juin 2023. Il pose de surcroît le sens de la notion de responsabilité, considérée par le Code pénal sénégalais comme une imputation irréfutable de certains faits délictuels ou criminels à une personne physique qui aurait donné des instructions, encouragé, financé ou même créé les conditions de la matérialisation des faits incriminés.

Ainsi, le moment que traverse notre société est forcément critique et interpelle naturellement tous les patriotes authentiques, et se taire relèverait dans une certaine mesure de la complicité passive et participerait à une neutralité feinte qui encouragerait la profusion de faits si répréhensibles, aussi bien du point de vue moral que factuel.

Tout est en effet parti de la condamnation de l’opposant politique radical au régime actuel, Ousmane Sonko, pour des faits caractérisés par le juge de «corruption de la jeunesse» sur la jeune masseuse Adji Raby Sarr. Les faits imputés au populaire opposant politique requalifiés et ce dernier condamné à deux ans de prison ferme, c’est une autre paire de manches que Sonko vient encore de jouer et de perdre après sa condamnation à l’issue du procès pour diffamation l’ayant opposé au ministre Mame Mbaye Niang. Selon ses partisans, la sentence est trop lourde, et la coupe pleine jusqu’à la lie. Ils refusent d’avaler la pilule amère que la Justice qu’ils accusent d’être à la solde du régime et de lui obéir au doigt et à l’œil, tente de leur faire avaler.

Les manifestations, d’une rare violence, sont teintées de saccages multiples de biens publics comme privés. Aujourd’hui, le Sénégal en est à décompter les dégâts et à évaluer la valeur des pertes enregistrées.

Seulement, le bilan est particulièrement lourd sur le plan économique et social. Nous nous inclinons devant la mémoire des disparus. Les autorités parlent de plusieurs centaines de milliards perdus en termes d’investissements directs étrangers, d’investissements publics et privés. Auchan, la célèbre marque française de supermarchés, sera, comme en mars 2021, la cible privilégiée des pilleurs. En effet, la chaîne de supermarchés chiffre ses pertes, selon une première évaluation, à environ 200 millions de nos francs. Depuis mars 2021, 19 magasins Auchan ont été saccagés pour plus de 15 milliards FCfa de pertes, selon le magazine en ligne Ouestaf news. Idem pour Supeco, une marque bien sénégalaise dont le magasin de Guédiawaye a été totalement dévalisée. Orange dresse aussi ses comptes et chiffre ses pertes à plusieurs centaines de millions (677 millions en raison de la coupure d’internet). Ces deux sociétés ont particulièrement payé un lourd tribut suite aux saccages et mesures de sécurité adoptées par l’Etat. De nombreuses banques (31 agences selon l’Apbef1) ont aussi fait les frais des pilleurs, mais surtout d’importantes sommes d’argent emportées au niveau des Guichets automatiques de billets (Gab). Dans le secteur pétrolier, les pilleurs ont causé un énorme préjudice aux marques ayant une connotation étrangère telles que Total et Shell. Plus de 100 stations d’essence ont été saccagées selon le président du Groupement professionnel de l’industrie du pétrole, Mouhamed Chaabouni, et dans ses projections, le coût des pertes pourrait dépasser 3 milliards F Cfa. Pourtant, la plupart de ces structures appartiennent à des compatriotes qui ont recouru aux procédés de la franchise ou de la licence de marque en investissant ce secteur et en exploitant lesdites marques.

Seulement, les privés ne sont pas les seuls à avoir été victimes de ces pillages. En effet, des infrastructures publiques ont été détruites. Les installations du Brt (Bus rapid transit) qui est dans sa phase terminale, ont subi l’assaut des délinquants, et la plupart des équipements annexes ont été complètement démantelés. Idem pour la gare du Ter à Rufisque, qui a été totalement calcinée. La destruction des installations du Brt entraînera naturellement un retard dans les délais de livraison de l’infrastructure et un renchérissement des coûts. Selon les autorités publiques, certains matériaux étant produits sur commande par des sociétés étrangères, il y a forcément un temps d’attente qui va impacter sur les délais d’achèvement du chantier. D’après un premier bilan sommaire dressé tout juste après les trois jours d’émeutes de début juin, les pertes se chiffraient déjà à plus de 20 milliards partis en fumée (source : Ouestaf news).

Pis encore, un symbole, qui constitue depuis plus d’un demi-siècle l’incarnation du savoir au sens pur du terme, a été attaqué, brûlé, donc profané. Des archives de plusieurs décennies ont été emportées par les flammes meurtrières, laissant une hideuse balafre sur le visage jadis si radieux de notre cher temple du savoir l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad). Il semble que le Cesti a payé le plus lourd tribut, car il est aujourd’hui pratiquement rayé de la carte universitaire puisque son bâtiment central, son amphithéâtre et tous ses véhicules ont été réduits en cendres.

Pourtant, l’Ucad a produit des intellectuels, des cadres et des experts de haut niveau mondialement reconnus. Sa devise «Lux Mea Lex» dont la déclinaison en français est «La lumière est ma loi», et son classement récent, enviable, au rang des meilleures universités francophones d’Afrique et au concours d’agrégation du Cames, particulièrement en médecine, le hissant au rang de pôle d’excellence, jurent paradoxalement d’avec ces comportements barbares, cruels et d’une autre ère.

D’ailleurs, ces événements douloureux remettent en selle la problématique des franchises universitaires. Dans leur esprit, il semble qu’elles aient été adoptées dans le but de protéger la liberté de pensée et d’expression des universitaires, et aucunement dans le but de couvrir des crimes ou actes séditieux.

La fermeture du campus social devrait permettre au gouvernement d’économiser des ressources nécessaires à la reconstruction des infrastructures et équipements détruits. L’Etat devrait par ailleurs penser à suspendre le paiement des bourses pendant un temps afin d’accroître la mobilisation des ressources pour financer la reconstruction.

Les pertes causées par les bandits à des opérateurs économiques et autres petits entrepreneurs sont énormes. Des magasins, des boutiques (détaillants), des cantines saccagés, pillés et dévalisés, voilà le triste décor que les vandales, voleurs et agresseurs ont laissé après leur passage.

Alors n’est-il pas loisible de se demander : qu’en sera-t-il de tout ce manque à gagner ? Doit-il passer à pertes et à profits ? C’est le sens de cet article visant à interpeller les pouvoirs publics afin que tout individu ayant participé directement ou indirectement à ces pillages et dont la responsabilité est parfaitement établie et l’implication attestée par des preuves irréfutables, soit contraint de payer. D’où la proposition d’appliquer le principe «Pilleur-Payeur» afin de réparer les dommages et pertes causés par ces individus aux dignes et honnêtes citoyens et aux braves contribuables. Il tire son essence d’un autre principe de droit qui voudrait que le tort causé à autrui, s’il est établi, la personne incriminée est tenue de payer des dommages et intérêts à la partie civile. Le constat des nombreuses destructions causées à l’issue des manifestations de début juin 2023, lors desquelles les biens publics ont été pris pour cibles, impose naturellement de réfléchir sur des voies et moyens de préserver ce patrimoine qui a tout de même un coût assez onéreux pour le contribuable. Exiger des jeunes vandales de participer à la réparation des infrastructures qu’ils ont endommagées, c’est aussi une façon de lutter contre l’impunité et le déni de Justice.

D’ailleurs, toute ressource financière ou matérielle publique spoliée, gaspillée ou détruite, devrait faire l’objet d’un remboursement ou d’un recouvrement par les pouvoirs publics auprès des gestionnaires et comptables défaillants, y compris les fonds présumés détournés au niveau du Force Covid-19. Cette tyrannie doit être arrêtée par tous les moyens.

En effet, le corpus juridique du Sénégal, notamment le Code pénal en ses articles 98 et 100, pose clairement la notion de responsabilité morale ou directe, la qualification des faits et les peines y afférentes. Mais surtout, il évoque le principe de la réparation pour le préjudice subi par une quelconque victime et celui de la solidarité qui lie tous les individus condamnés pour une même infraction ou des infractions connexes en ce qui concerne le paiement des amendes, des restitutions, des dommages et intérêts, et des frais.

En Occident, le concept de l’économie de la sanction est de plus en plus adopté. Dans la planification budgétaire et les prévisions de recettes, les ressources devant provenir des amendes et autres contraventions diverses sont prises en compte, et leur destination clairement définie. Ces ressources collectées peuvent être versées dans un compte spécial appelé Fonds d’entretien et de reconstruction des infrastructures publiques endommagées (Feripe). A ce niveau, la réflexion est à approfondir afin de définir les conditions de création de ce fonds spécial, ses modalités d’administration, ses procédures de décaissement et les mécanismes de contrôle et de reddition des comptes.

Si toute destruction de bien public est sanctionnée par le paiement d’une amende ou d’une réparation à la hauteur du préjudice subi, nous poserions ainsi les jalons de l’éradication de l’incivisme, du vandalisme et de l’impunité.
De ce fait, nous suggérons aux pouvoirs publics et aux décideurs, d’appliquer strictement le principe «Pilleur-Payeur» afin d’éradiquer définitivement ces comportements décadents et anti-progressistes.

Il serait tout de même pertinent d’accentuer la sensibilisation à travers une communication multiforme et diversifiée par tous les canaux possibles, afin de faire prendre conscience aux populations des conséquences désastreuses des actes de vandalisme sur l’accès aux services de base dont ils ont tant besoin, et in fine sur l’économie nationale.

Louis Christophe THIONE
Spécialiste en sciences de gestion et finances publiques, Coordonnateur du Groupe de réflexion et d’Appui aux Actions et Politiques publiques (Graapp)

1 APBEF : Association professionnelle des banques et Etablissements financiers