Repenser l’échelle des circonscriptions électorales pour restaurer la légitimité des représentants

Faire correspondre les circonscriptions électorales aux circonscriptions administratives est un biais. Aujourd’hui, les circonscriptions électorales sont souvent calquées sur les circonscriptions administratives. Pourtant, administrer une population et la représenter sont deux fonctions très différentes. L’Administration est un processus descendant : l’Etat central nomme ses représentants pour gérer les populations. En revanche, la représentation est un processus ascendant : ce sont les populations elles-mêmes qui choisissent une personne en qui elles ont confiance pour défendre leurs intérêts.
Ainsi, autant celui qui représente l’Administration doit être bien connu et reconnu par celui qui l’a mandaté, à savoir l’Etat central, autant celui qui représente les citoyens doit être bien connu et reconnu par les populations locales, ses mandants. L’un tient sa légitimité d’en haut, de la confiance que lui accorde l’Administration ; l’autre doit tenir sa légitimité d’en bas, de la confiance directe que lui accordent les habitants. Il n’est donc pas logique de faire coïncider les circonscriptions administratives et électorales, car l’Etat central, l’Administration centrale, n’est pas les populations à la base, et en conséquence, les personnes désignées par l’Etat ne sont pas forcément celles à qui les populations font confiance pour défendre leurs intérêts. Or la confiance est le fondement de toute fonction de représentation.
Il est urgent de revoir cette correspondance.
Les circonscriptions électorales devraient correspondre à des unités territoriales de proximité, où les citoyens interagissent régulièrement, entretiennent des relations assez intenses, se connaissent et peuvent identifier clairement les personnes les plus aptes à les représenter. A l’échelle d’un département, cette proximité n’existe pas : très rarement une seule personne est connue et appréciée de l’ensemble des habitants. Un département est trop vaste pour permettre cette relation de confiance. Il n’existe pratiquement aucune activité, à l’échelle départementale, qui favorise des relations étroites et régulières entre les citoyens résidents. En l’absence de tels espaces d’interactions, les électeurs n’ont que très rarement l’opportunité de connaître réellement les candidats à la Représentation nationale.
Si l’objectif des circonscriptions électorales est de garantir que l’élu ait une vraie légitimité populaire, c’est-à-dire soit réellement connu par une large majorité de ses mandants, alors il faut impérativement en réduire la taille. A l’heure actuelle, les circonscriptions sont trop grandes à mon sens, ce qui affaiblit la légitimité des représentants. Ils ne sont souvent connus qu’à travers des campagnes électorales ou après plusieurs années d’exposition politique. Et cette connaissance reste superficielle, distante. On ne connaît ni leurs valeurs, ni leurs compétences, ni leurs expériences. Il devient nécessaire d’engager une réflexion approfondie sur la taille optimale des circonscriptions électorales. Une telle démarche est tout à fait réalisable, au vu du riche vivier d’experts que compte le Sénégal dans des domaines-clés tels que l’aménagement du territoire, la décentralisation, la sociologie, l’histoire ou encore la géographie. La refondation, c’est cela aussi ! Cette réflexion s’impose d’autant plus que la circonscription électorale semble être aujourd’hui reléguée au second plan, au profit de la circonscription territoriale. Or, c’est bien la circonscription électorale qui devrait guider l’organisation administrative du territoire.
Les entités administratives doivent épouser les dynamiques et réalités sociales, économiques et écologiques qui structurent les relations entre les populations, passées et présentes. C’est en calquant les circonscriptions sur ces unités territoriales vivantes, fondées sur l’intensité des interactions humaines, économiques et environnementales, que l’Administration publique gagnera en cohérence et en efficacité. Ce réajustement permettrait de mieux ancrer le développement territorial dans les réalités locales et de faire progresser plus rapidement l’aménagement du territoire et la gouvernance publique.
Or, pour mandater une personne, les électeurs doivent avoir une connaissance approfondie de son parcours, de ses qualités morales et de ses capacités. Sans cela, la représentation perd tout son sens. C’est ce qui fait qu’on se retrouve avec des élus inconnus des citoyens, des élus auxquels les citoyens s’identifient à peine ; des élus qui se sentent plus redevables à un leader et à un parti politique qu’aux électeurs. Il est donc essentiel de rapprocher les circonscriptions électorales des réalités sociales de proximité, par exemple en les ramenant à l’échelle des communes, voire à des unités plus petites encore. Cela permettrait de renforcer la légitimité des élus.
Certes, cela impliquerait d’augmenter le nombre de représentants. Certains diront que cela entraînerait une hausse des coûts. Mais il est possible de revoir à la baisse le coût unitaire de chaque représentant, notamment en repensant son statut : plutôt que de faire du député un salarié à plein temps, on pourrait envisager un mandat rémunéré selon l’activité réellement exercée.
Les citoyens sont dépouillés d’un de leurs plus grands pouvoirs : le pouvoir d’investiture. Un autre problème majeur concerne le mode d’investiture des candidats à élire. Il faut rappeler que la vraie légitimité est directe ; c’est celle qu’on tient directement des populations. En théorie, les députés au Sénégal tirent leur légitimité du suffrage universel. Mais en réalité, cette légitimité est indirecte. Les partis et coalitions sélectionnent les candidats à investir sur les listes ; ce sont eux qui investissent les futurs députés. L’électeur n’a, au final, qu’un seul choix : celui que lui impose le parti ou la coalition. Le Peuple n’est plus véritablement libre dans ses choix. La liberté de choisir, inhérente à son statut de citoyen dans un Etat de Droit, a été largement vidée de sa substance avec le transfert du pouvoir d’investiture, qui devrait lui revenir, aux partis et coalitions politiques.
Ainsi, la véritable source de légitimité est l’investiture. Or, cette investiture vient aujourd’hui des partis politiques, non des populations. Il est donc normal de s’interroger : les députés sont-ils vraiment légitimes ? Peuvent-ils prétendre incarner la volonté populaire alors qu’ils n’ont été investis que par une direction politique ? La réponse est loin d’être évidente.
Pour restaurer une légitimité directe, il faut rendre aux citoyens leur pouvoir d’investiture. C’est une question de démocratie, de justice et de cohérence. Il faut réfléchir aux mécanismes concrets pour y parvenir, mais c’est bien cette direction qu’il faut prendre : celle d’un retour du pouvoir de choix aux citoyens, pour que la représentation retrouve son sens, sa crédibilité et sa légitimité.
Jam fo nuun !
Dr Aliou Gori DIOUF