Par Serigne Saliou DIAGNE –

Les lendemains de grandes fêtes religieuses comme la Tabaski offrent toujours le même spectacle dans notre pays. Une capitale à moitié vide, avec beaucoup de gens qui ont rejoint leurs familles le temps de la fête pour communier avec leurs proches et surtout profiter d’une coupure après tout un cycle de labeur. On peut dire que le déplacement des populations des zones rurales vers les centres urbains ou les chefs-lieux de région, où se concentre l’essentiel de l’activité économique de notre pays, est la schématisation de tous les flux et mouvements de personnes. Cette donne, il faut nécessairement la prendre en compte pour relativiser le vide qui habite notre capitale et les grandes villes du pays au lendemain de fêtes religieuses. Tout le débat qu’il y a eu sur les rotations de bus pour rejoindre l’arrière-pays, avec la hausse des prix du transport et l’interventionnisme de l’Etat pour faciliter le déplacement des personnes, donne une idée claire qu’une partie non négligeable de ceux qui habitent la capitale, Dakar, le sont principalement par impératif économique et professionnel. A cela, il faudrait rajouter une légion d’acteurs de l’économie formelle qui vident les rues et les marchés, prêtant à constater un vide des villes.

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Beaucoup de griefs sont émis à chaque lendemain de fêtes avec une activité économique au ralenti, des services fonctionnant de façon partielle ou un arrêt complet dans certains secteurs, le temps que la capitale se repeuple de son monde. On peut indexer le rapport des Sénégalais en tant que Peuple avec le culte du travail pour exprimer un certain laxisme, mais je militerai plus pour une adaptation de l’organisation des jours fériés découlant de fêtes religieuses à la réalité socio-culturelle du pays. C’est en optant pour une formule cohérente avec la réalité du pays qu’on serait à même d’évaluer justement un refus de travail, une paresse d’ensemble ou une volonté consciente de bloquer l’économie.

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Notre pays est un pays de culte, avec des musulmans et chrétiens conférant une grande place aux fêtes religieuses de ces communautés dans la vie culturelle de la Nation et à l’agenda du pays. Ces fêtes, au-delà de leur dimension religieuse, servent aussi de lien social en consolidant certaines dynamiques communautaires. L’ensemble des activités et festivités qui encadrent la célébration de la Tabaski en terre sérère, en pays lébou, dans le Fouta ou en Casamance, donne une idée d’un moment majeur où une vie sociale se crée pour nos communautés nationales. Cela, on ne peut l’éluder en s’accommodant d’un agenda rigide ne prenant pas en compte les dimensions socialisantes et constructrices des fêtes nationales. Il faudrait une certaine forme d’indulgence ou de compréhension pour que fête ne rime pas systématiquement avec blocage total de l’activité économique ou un refus de travail.

Le régime des fêtes dans notre pays est encadré par la loi n°74-52 du 4 novembre 1974 relative aux fêtes nationales et autres jours fériés. Cette loi, adoptée à l’Assemblée nationale, a pu être ajustée au fil des ans pour rendre la prescription plus conforme à la dynamique du pays. C’est ainsi qu’elle fut suivie par la loi n°83-18 de février 1983, et plus récemment la loi n°2013-06 du 11 décembre 2013 stipulant qu’à propos des fêtes légales, une seule journée est déclarée fériée, chômée et payée. Ce jour correspond à celui de la célébration de la fête, mais une petite subtilité est rajoutée au texte de loi pour prescrire qu’avec les fêtes religieuses majeures comme la Tabaski, la Korité, les célébrations de Pâques et de Pentecôte, le lundi suivant est automatiquement férié quand elles tombent un dimanche.

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Loin de nous faire des législateurs, cette prescription mérite une révision pour être plus adaptée à la réalité du pays. Je vois déjà des chefs d’entreprise, des employeurs et des structures patronales me prendre la gorge. Le Sénégal a entre 35 et 36 jours fériés par an, on va s’excuser du trop et d’une logique antiéconomique. Toutefois, je trouve plus productif pour un pays de constater un arrêt collectif et de s’accorder sur une reprise commune dans une mesure raisonnable que d’avoir un pays à l’arrêt, étant à l’attente d’un monde pour meubler les grandes villes et relancer les activités. La Chine et les Etats-Unis d’Amérique ont réussi, pour les plus grandes fêtes de leur calendrier national, à aménager les jours fériés de sorte qu’à la fin des périodes prescrites, toutes les activités reprennent un cycle normal. Notre pays pourrait tenter de s’en inspirer.

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Le Président Macky Sall avait la lucidité, en 2013, de décréter officiellement le Magal de Touba journée fériée (voir décret n°2013-06 du 11 décembre 2013) pour une activité qui, non seulement draine du monde, mais déplace, le temps d’une journée, le pouls économique du pays tout en vidant les grandes villes de leur monde. Il ne manque pas de possibilités avec les fêtes religieuses majeures au Sénégal de trouver des formules commodes, joignant la nécessité de faire fonctionner l’économie et la liberté pour les gens de célébrer et de bénéficier de journées pour se mouvoir. Ce n’est qu’un début de réflexion, des experts de cette matière viendront à coup sûr à la rescousse pour nous éclairer sur une façon de penser nos jours fériés.
saliou.diagne@lequotidien.sn