Réponse à Mamadou Diop Decroix : la division n’est pas toujours où l’on croit

Le texte de Mamadou Diop Decroix intitulé «Manœuvres de division : Paix et stabilité» prétend alerter sur des menaces internes et externes pesant sur la cohésion du pouvoir actuel. En réalité, il traduit une angoisse d’un autre âge, une peur presque maladive de la contradiction, comme si penser autrement était déjà trahir. Or, c’est justement en refusant le débat qu’on installe les germes de la division. Le Sénégal n’a pas besoin de sermons paternalistes, il a besoin d’une vérité nue, dite sans trembler.
Il est aisé de brandir l’unité nationale comme un talisman dès qu’un citoyen ose interroger les orientations du régime. Mais l’unité n’est pas un mot magique, c’est une conquête quotidienne fondée sur la justice, la transparence et la cohérence. Ce n’est pas en réduisant les divergences à des «manœuvres» qu’on consolide la paix, mais en acceptant la pluralité comme principe vital de la démocratie. Montesquieu avait raison : «le pouvoir arrête le pouvoir». La diversité d’opinions n’est pas une menace, elle est une garantie contre la dérive autocratique. A force de vouloir museler les voix dissonantes au nom d’une unité fabriquée, on finit par creuser le fossé entre le peuple et ses dirigeants.
Mamadou Diop Decroix dénonce une «arme de destruction massive» maniée par ceux qui chercheraient à briser le lien entre le Président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko. L’image est belle, mais la réalité est plus prosaïque car le danger ne vient pas toujours de l’extérieur. Les vraies fissures naissent du manque de clarté, du flou dans la gouvernance et du silence sur les grandes décisions. Ce n’est pas la critique qui divise, c’est le mensonge et l’opacité. «Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde», disait Albert Camus. Et dans notre pays, beaucoup les nomment mal et sciemment.
On nous parle de menaces sécuritaires, de dette publique colossale, de risques de désunion. Certes, les défis sont réels. Mais à quoi sert de les réciter comme un chapelet si c’est pour refuser d’en débattre ? Gouverner, ce n’est pas se lamenter sur l’héritage des autres, c’est assumer le sien. Le fardeau de la dette, plus de dix milliards Cfa à rembourser chaque jour, ne peut se régler par la rhétorique. Il faut du courage, de la vision et une cohérence économique. Comme le rappelait Felwine Sarr, «le développement n’est pas une course à la ressemblance, mais une affirmation de soi». Or, on ne s’affirme pas dans le suivisme idéologique du souverainisme ni dans la peur du désaccord.
Le Sénégal n’est pas menacé par un supposé complot intérieur, mais par une lente corrosion morale. Nous voulons nommer celle la démagogie, la désinformation et d la perte de confiance. Quand la parole publique devient suspecte, quand les citoyens doutent de tout et de tous, c’est le pays entier qui vacille. La division que redoute Decroix ne se trouve pas entre le Président et son Premier ministre, mais entre le pouvoir et la vérité. Ceux qui alimentent la confusion par des discours ambigus ou des analyses opportunistes portent une responsabilité immense.
Quant à la reddition des comptes, il faut cesser l’hypocrisie. On ne peut pas, d’un côté, chanter la fin de l’impunité et, de l’autre, s’émouvoir dès qu’un proche du pouvoir est convoqué par la justice. L’exemple de Ngoné Saliou Diop est assez édifiant dans ce sens. Oui, la justice doit passer. Mais elle doit passer pour tous, sans calcul, sans mise en scène. Les Sénégalais ne veulent pas d’un tribunal de la place publique, mais d’une justice équitable et visible. Comme le disait Thomas Sankara, «on ne peut pas libérer le peuple sans qu’il se juge lui-même». Il est temps que les anciens gestionnaires rendent compte mais point de règlement de compte, de plus que les nouveaux sachent qu’ils le devront aussi demain.
Ce qui menace aujourd’hui notre pays, ce n’est pas la critique, c’est le confort intellectuel. Ce n’est pas la division, c’est la complaisance. Et ce n’est pas l’opposition, c’est la paresse morale de ceux qui refusent d’interroger le pouvoir. L’histoire du Sénégal est faite de débats vigoureux, de désaccords féconds et de retrouvailles patriotiques. En 2024, le peuple sénégalais a prouvé sa maturité en choisissant le changement dans la paix. Ce peuple n’a pas besoin qu’on lui dicte comment penser, il sait parfaitement distinguer ceux qui œuvrent pour lui de ceux qui cherchent à sauver leurs positions.
Les vrais ennemis de la stabilité, ce sont ceux qui préfèrent la docilité à la lucidité. Le couteau dont parle Decroix n’est pas dans la main des citoyens critiques, il est souvent dans celle de ceux qui, par leurs silences calculés et leurs flatteries intéressées, affaiblissent le lien entre les institutions. On pourrait rappeler le manque d’autorité déclaré par le Premier ministre et la transition réclamée par Guy Marius Sagna. L’unité du sommet ne peut se construire que sur la confiance du bas c’est à dire le Peuple qui a élu démocratiquement son Président.
Le Sénégal n’a pas peur de la vérité. Il a survécu à pire que les rumeurs et les divisions. Il a survécu à l’arbitraire, à la corruption et à l’injustice. S’il tient encore debout, c’est parce que son peuple croit en la justice, en la loyauté et en la parole donnée. Voilà la véritable arme de construction nationale.
Comme le disait Cheikh Anta Diop, «le vrai patriote n’est pas celui qui défend un homme, mais celui qui défend la nation quand les hommes s’égarent». Or au Pastef, on adule un homme : Ousmane Sonko «mu sell mi.»
Alors oui, gardons le cap. Mais pas dans le silence ni dans la peur. Gardons le cap dans la vérité, dans le courage et dans la responsabilité.
En avant tous les Sénégalais, mais les yeux ouverts.
Amadou MBENGUE
Secrétaire général de la coordination départementale de Rufisque Membre du Comité Central et du Bureau Politique du Pit/ Sénégal

