Au Sénégal, le financement des infrastructures pose un véritable problème d’efficacité économique, car il est basé sur le système de l’aide liée, animé par deux pays : la Chine et la Turquie sans oublier aussi la France (Ter).
Depuis 2011, les économies chinoises et turques sont en perte de vitesse à cause de la crise européenne née de la crise grecque de 2010-2011.
L’Union européenne, avec un marché d’environ 511 millions de consommateurs et un Pib de 16 mille milliards de dollars, soit 22% du Pib mondial, est le premier marché commun du monde. Cette entité économique (Union européenne) est le premier marché export (exportation) de la Chine et de la Turquie. Mainte­nant ce marché ne consomme plus, ne fait plus de croissance. Les Anglais ont été obligés de le quitter (Brexit) pour gérer convenablement leur économie.
Le manque de croissance et de consommation de l’Union européenne s’est répercuté depuis 2011 sur les économies chinoises et turques, car c’est leur principal marché export.
Concernant la Chine, depuis 2012, son économie est en perte de vitesse avec une croissance qui chute d’année en année. En 2011, sa croissance était de 9,5%, en 2012 (7,9%), en 2013 (7,8%), en 2014 (7,3%), en 2015 (6,9%), en 2016 (6,7%) en 2017 elle monte un peu de 0,2 point (6,9%) et en 2018 les prévisions sont de 6,5%. Le ralentissement de l’économie est dû à la morosité économique de l’Europe, son premier partenaire commercial. Le moteur de l’économie, les exportations sont en très forte baisse à cause de la crise de croissance et de consommation du premier client à l’export l’Union européenne.
En Chine, la contraction de l’investissement est la principale cause de la morosité économique. L’investissement en capital fixe a beaucoup chuté depuis 2011 et si des mesures ne sont pas prises, la croissance pourrait se limiter à moins de 7% dans les années à venir. Pour faire face à ce problème, la Chine va se recentrer d’abord sur son marché intérieur et après va réduire le montant des réserves obligatoires des banques et élargir le champ de ses investissements à l’international. Ainsi, les réserves financières chinoises vont être investies de trois façons. D’abord par l’achat de bons du Trésor américain (plus de 1 000 milliards de dollars), après par l’intermédiaire du China investissement corporation (Cic) l’agence d’investissement chinois doté d’un budget de 200 milliards de dollars qui investit partout dans le monde et enfin, par des prêts aux Etats demandeurs, par l’intermédiaire d’EximBank China, des prêts qui seront exécutés par les entreprises chinoises sous certaines conditions imposées aux Etats demandeurs.
Quant à la Turquie, depuis 2012 aussi, son économie est en perte de vitesse avec une croissance qui chute d’année en année. En 2011, sa croissance était de 8,8%, en 2012 (2,2%), en 2013 (4%), en 2014 (3%), en 2015 (4%), et en 2016 (3,2%). Le ralentissement de l’économie est dû à la morosité économique de l’Europe, son premier partenaire commercial, mais aussi à la politique monétaire américaine qui avait fait chuter sa monnaie de 30%. La chute de la monnaie crée une inflation qui se répercute sur la consommation intérieure, moteur de la croissance turque. L’inflation qui tourne aujourd’hui à 12% handicape énormément l’économie turque.
En 2017, si la croissance turque a bondi à 7,4%, c’était uniquement dû à des mesures économiques exceptionnelles qui ont poussé la consommation et l’activité des entreprises (augmentation du salaire moyen de 30%, ouverture du robinet de crédit aux ménages et aux entreprises). Mais ces mesures créent une croissance technique qui ne peut pas perdurer à cause des risques de surchauffe qui peuvent créer une bulle.
Donc aujourd’hui, que cela soit la Chine ou la Turquie, elles vivent un déficit de croissance qu’elles veulent combler à partir de l’extérieur et surtout en Afrique. Les banques (EximBank) et entreprises chinoises et turques vont faire le boulot en duo en raflant les marchés en Afrique au détriment de nos entreprises locales. Leur offre est claire : crédits offerts par leurs EximBank et travaux exécutés par leurs entreprises et sans taxes. Aujourd’hui, le ralentissement de l’économie chinoise et turque va être comblé en Afrique par les EximBank des deux pays qui vont accompagner leurs entreprises. Ainsi, les grandes entreprises d’Etat super protégées vont profiter de ces prêts que les Etats chinois et turcs, à travers leurs EximBank, accordent aux pays demandeurs (Sénégal) pour réaliser des travaux (autoroute, arène de lutte, stadium) en imposant leurs conditions (hors taxes) et en écartant les entreprises locales : c’est le système de l’aide liée qui a été critiqué par la troisième conférence des Nations unies sur les Pays moyennement avancés (Pma) à Bruxelles du 14 au 20 mai 2001.
En effet, du 14 au 20 mai 2001, une conférence avait été organisée à Bruxelles au siège de l’Union européenne, sous l’égide des Nations unies. Une conférence à laquelle avaient participé toutes les organisations internationales et tous les partenaires financiers qui luttent pour l’éradication de la pauvreté dans les Pma. Ils devaient réfléchir sur des stratégies qui pourront aider les 49 Pma à sortir de la pauvreté. Le thème de la conférence était «Eradiquer la pauvreté dans les 49 Pma».
Durant cette conférence, il fallait étudier toutes les contraintes au développement des Pma. L’une des contraintes majeures soulignées était l’action des EximBank à travers la liaison de l’aide accordée aux Pma, c’est-à-dire l’aide liée à l’exécution des travaux par l’entreprise de l’Etat préteur comme le font les Chinois et les Turcs.
Durant cette conférence sur les Pma, on avait trouvé que si les pays prêteurs (Chine, Turquie) lient leurs aides (prêts) à l’exécution des travaux par leurs propres entreprises, c’est pour des raisons économiques. Ces deux pays soucieux de leur compétitivité économique peuvent souhaiter, grâce à la liaison de l’aide, compenser les sorties de capitaux par un accroissement de leurs exportations. Leurs entreprises peuvent voir dans l’aide liée un moyen de les aider à remporter des contrats à l’étranger dans les pays bénéficiaires de l’aide (Sénégal), ainsi la liaison de l’aide correspond à une subvention aux entreprises du pays prêteur, ce qui handicape les entreprises des pays demandeurs comme le Sénégal, et par conséquent augmente la pauvreté dans ces pays.
Aujourd’hui, le Sénégal est envahi par les entreprises chinoises, turques. Ces entreprises, à cause du manque de croissance du marché européen né de la crise grecque (2011-2015), se sont déployées vers l’Afrique et précisément vers le Sénégal. Elles sont en train de récupérer tous les marchés à détriment du secteur privé national et cela, du fait de méthodes (système) de travail que l’Etat du Sénégal a parrainées. Aujourd’hui, tous les marchés sont récupérés par ces entreprises en se basant sur l’aide liée et l’offre spontanée.
Les entreprises sénégalaises perdent des marchés à cause de l’aide liée. Ce système permet aux entreprises chinoises et turques de remporter tous les marchés avec le soutien de leurs EximBank (EximBank Chine et EximBank Turquie). Elles financent les grands travaux (autoroute, stade, arène) contractés avec l’Etat sénégalais et versent directement l’argent à leurs entreprises qui réalisent les travaux au détriment du secteur privé local.
Ce système appauvrit le Sénégal à cause du manque de travail des entreprises locales, mais aussi des sommes transférées à l’extérieur par ces entreprises étrangères qui gagnent les marchés.
Aujourd’hui, ces entreprises étrangères transfèrent chaque année hors du Sénégal des centaines de milliards, ce qui appauvrit le pays. Ces revenus transférés sont constitués des transferts de profits, des transferts de dividendes, des transferts de salaires des étrangers et du paiement des intérêts de la dette. En 2016, plus de 50% de la croissance ont été transférés, entre 2012 et 2016, plus de 2 milliards de dollars ont été transférés. En 2016, cela correspondait à 3,3% du Pib (différence entre revenus transférés et revenus reçus) alors qu’en 2010 on était à 1,3% du Pib (différence entre revenus transférés et revenus reçus).
En 2016, le déficit de la balance des revenus était de 290,9 milliards et en 2017 il s’est accentué à 314 milliards. Ces transferts de revenus nés des marchés accaparés par les entreprises étrangères appauvrissent le Sénégal.
Un pays comme le Maroc s’est toujours battu pour défendre ses entreprises contre les envahisseurs étrangers. Ainsi, la Chine avec sa façon de concevoir les relations économiques n’a jamais été un partenaire privilégié pour le Maroc. Entre 2004 et 2014, le Maroc n’a représenté que 0,56% des investissements directs chinois en Afrique.
Aujourd’hui, les pays émergents (Chine et Turquie) en panne de croissance veulent aller la chercher au-delà de leurs frontières (Sénégal). Ils aident leurs entreprises en les faisant accompagner des EximBank. Ils viennent, imposent leurs conditions et raflent les marchés au détriment de nos tissus économiques locaux. Les Marocains ont dit non à ces pratiques.
Au Sénégal, nos autorités, inconscientes de cette nouvelle donne mondiale, ont préparé le terrain à ces envahisseurs des temps modernes en mettant en place les concepts «offre spontanée» basée sur l’aide liée, qui vont tuer notre tissu économique local. Nos autorités ne savent pas que dans cette nouvelle conjoncture mondiale, tout gain réalisé par un pays sera forcément une perte pour un autre. Ainsi, ces concepts (offre spontanée et aide liée) vont permettre aux entreprises étrangères de rafler tous les gros marchés, car disposant de plus de moyens financiers. Ces concepts vont aussi transformer les entrepreneurs sénégalais en courtiers et sous-traitants des entreprises étrangères.
La justification du régime est le besoin de travailler vite, car nos hommes politiques sont dans la logique du mandat. Ils doivent montrer leur bilan à partir des grands travaux. Ils sont dans l’urgence du mandat, mais avec un grand risque d’encourager les urgences injustifiées. Edgar Morin, dans son livre La méthode éthique (2004), disait : «A force de sacrifier l’essentiel (tissu économique local) pour l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel.»
Aujourd’hui, nous pouvons citer les grands projets réalisés à partir du système «Aide liée» : le Centre international de conférence Abdou Diouf de Diamniadio (qui appauvrit les hôtels), le marché d’intérêt national, la gare des gros porteurs, Dakar aréna, hôtel d’affaire Radisson, tous financés par EximBank Turquie et réalisés par les entreprises turques. L’auto­route à péage Thiès-Touba, Aibd-Thiès, Aibd-Mbour, Arène nationale et le futur stade olympique, tous financés par EximBank China et réalisés par les entreprises chinoises. Deux pays émergents vont réaliser ces projets, accompagnés de leurs banques (EximBank Turquie, EximBank China) et bénéficiant d’avantages fiscaux très favorables au détriment de notre Trésor public.
Un pays qui émerge, ce sont des entreprises locales qui émergent. L’émergence se base sur le développement de champions nationaux qui font travailler des dizaines de Pme. Le Sénégal n’émergera que quand on aura 20 entreprises comme la Sonatel, présentes dans tous les secteurs d’activités et faisant travailler des dizaines de Pme : c’est la caractéristique unique d’un pays qui émerge. L’émergence n’a rien à voir avec des productions record de céréales ou avec des stades qu’on inaugure.
El Hadji Mansour SAMB
Economiste et écrivain
Cellule des Cadres de Rewmi (Cecar)
Responsable du pôle Economie et Prospective