S’il y a un fait en 2024 qui va rester dans les annales de l’histoire politique du Sénégal : c’est la décision inédite prise par Macky Sall de reporter la Présidentielle à quelques heures du démarrage de la campagne électorale. Avec sa majorité à l’Assemblée nationale, le Président Sall a essayé par tous les moyens de reporter ce scrutin, initialement prévu pour le 25 février, jusqu’au 15 décembre 2024. Il a donc fallu l’arbitrage du Conseil constitutionnel pour que la Présidentielle soit tenue avant le 2 avril, date de la fin du mandat présidentiel.

L’année 2024 s’achève emportant avec elle son lot de manifestations, de troubles politiques, de morts, d’arrestations et aussi de décisions inédites prises par le Président Macky Sall. A quelques heures du démarrage de la campagne électorale pour la Présidentielle fixée au 25 février, la décision de Macky Sall reportant les élections a pris de court tout le monde. Le 3 février, le Président sortant, qui avait déjà décidé de ne pas se représenter pour briguer un troisième mandat, a annoncé, lors d’un discours à la Nation, avoir abrogé son décret fixant au 25 février la date de la Prési­dentielle. Le processus électoral suivait normalement son cours. Le Conseil constitutionnel avait déjà en mi-janvier publié la liste provisoire des candidatures retenues dont celle de Karim Wade. Cepen­dant, le candidat Thierno Alassane Sall reproche à l’ancien ministre et fils du Président Wade d’être toujours de nationalité française, ce qui est contraire à la Constitution sénégalaise qui stipule que «tout candidat à la présidence de la République doit être exclusivement de nationalité sénégalaise (…)». La haute juridiction ayant constaté que Karim Wade était encore de nationalité française au moment du dépôt de son dossier a donc invalidé sa candidature. Contestant la décision du Conseil constitutionnel qui l’écarte de la course au fauteuil présidentiel, le fils de l’ancien Président Wade soupçonne deux membres du Conseil constitutionnel de corruption. C’est le début du tourbillon. Avec l’aide du groupe de la majorité Bby, les députés du Parti démocratique sénégalais réussissent à pousser l’Assem­blée nationale à mettre en place une commission d’enquête parlementaire en vue de faire la lumière sur cette affaire de corruption présumée. D’ailleurs, c’est la raison évoquée par le Président Sall pour acter le report de l’élection. Par la suite, l’un des juges cités dans cette affaire va porter plainte à son tour pour diffamation et outrage à magistrat. Le procureur ouvre une information judiciaire, ce qui a mis fin à cette commission d’enquête parlementaire.

Rôle crucial du Conseil constitutionnel pour éviter le chaos
En décidant de reporter cette Présidentielle, Macky Sall a annoncé «un dialogue national ouvert, afin de réunir les conditions d’une élection libre, transparente et inclusive». Cette décision a plongé le pays dans une crise avec 4 morts et plusieurs arrestations. La quasi-totalité de l’opposition réclamant une élection avant le 2 avril, avait boycotté la rencontre. Malgré tout, ce dialogue sera organisé avec comme principale recommandation de tenir la Présidentielle le 2 juin et Macky Sall resterait en fonction jusqu’à l’investiture du cinquième Président du Séné­gal. Il faut noter que l’Assem­blée nationale qui, le 5 février, vote une loi sans débat pour repousser la Prési­dentielle au 15 décembre 2024, a joué un grand rôle dans cet imbroglio politique. Là aussi, il faudra compter sur l’arbitrage des «7 Sages» du Conseil constitutionnel qui vont intervenir en indiquant que la loi adoptée le 5 février par l’Assemblée nationale, qui repousse l’élection de dix mois et maintient le Président Macky Sall à son poste jusqu’à la prise de fonction de son successeur, est contraire à la Constitution. Par ailleurs, le Conseil avait également annulé le décret promulgué par le chef de l’Etat qui, de facto, modifiait le calendrier électoral, trois semaines seulement avant l’échéance. En outre, les «7 Sages» avaient constaté «l’impossibilité d’organiser l’élection présidentielle à la date initialement prévue» du 25 février, compte tenu du retard pris par le processus, et avaient invité «les autorités compétentes à la tenir dans les meilleurs délais». Il faut préciser que le Conseil a été saisi par plusieurs députés de l’opposition qui contestaient la décision du Président Sall abrogeant le report du corps électoral. Le Conseil constitutionnel avait souligné que la décision de reporter l’élection ne repose sur aucune base légale, «le président de la République ne disposant pas du pouvoir de reporter ou d’annuler le scrutin». Egalement saisi par le Président Sall pour avis, le Conseil constitutionnel l’avait désavoué. Les membres de cette juridiction, face à l’inertie de l’Administration, avaient proposé la date du 31 mars pour le premier tour de ce scrutin. Par la suite, l’Exécutif avait remédié à cet état de fait en prenant des décrets convoquant le corps électoral pour le 24 mars. Une date sur laquelle le Conseil constitutionnel s’est finalement aligné.

Au milieu de cette crise politique à cause du report de la Présidentielle, Macky Sall, qui avait crié urbi et orbi qu’il compte quitter le pouvoir le 2 avril, a voulu faire croire à sa bonne intention de jouer la carte de l’apaisement. C’est du moins ce qu’il a déclaré pour justifier le vote de la loi d’amnistie qui a permis la libération de plusieurs membres du parti Pastef, notamment Bassirou Diomaye Faye, devenu le cinquième président de la République du Sénégal, et son Premier ministre Ousmane Sonko. La page de 2024 est en train de se refermer avec un débat sur l’abrogation de cette loi. 2025 mettra-t-elle fin à cette polémique. Wait and see !
Par Dieynaba KANE – dkane@lequotidien.sn