La famille Barrow du village natal du nouveau Président gambien ne désemplit pas depuis l’accession de leur fils à la présidence de la République. C’est une maman et un frère, habités à la fois par la peur et la joie, qui reçoivent à chaque seconde qui passe un nouveau visiteur venu féliciter et prier pour Adama Barrow. Une famille qui a enduré beaucoup de souffrances par le passé et qui voit son quotidien se transformer du jour au lendemain.

Par Abdoulaye KAMARA – (Envoyé Spécial) – C’est un enthousiasme tracté de Saré Manga Djimara. Connu sous le nom de Mankamankunda pour les Mandingues, il est le village natal du nouveau Prési­dent gambien, Adama Barrow. Une douzaine d’habitations re­groupées sur une surface d’à peu près 2 hectares de part et d’autre de la route nationale le composent. Il se situe au centre de la province du Djimara à 30 km de Bassé, capitale régionale de la Haute Gambie ou Upper river region (Urr) et à près de 25 km de Bansang. Le quotidien de ce village, naguère anonyme, s’est transformé depuis le 1er décembre dernier, date de l’élection de leur fils à la présidence de la République gambienne. De­puis, le village ne désemplit pas. «Des parents, amis, citoyens tout court viennent nous con­gratuler et prier pour nous et pour le président de la République», informe le jeune frère du Président, Boully Barrow, âgé de 43 ans et trouvé assis dimanche dernier devant la porte de la chambre de la mère du chef de l’Etat. A côté se trouvaient debout trois hommes en uniforme (des paras, nous a-t-on informés) en charge de la sécurité des lieux. A l’intérieur, une femme d’environ 75 ans assise sur un lit, laissant un modeste canapé de 2 places pour ses hôtes. Kadidiatou Diallo, un peu timide, ne semble pas porter pour l’instant la tunique de la «mère du Président». Rien dans sa mise ne le montre, encore moins dans son cadre de vie. La sécurité autorise juste de prendre une photo avec elle. «Pas d’entretien, elle a pris de l’âge et reçoit à longueur de journée», a dit le chef militaire. Kadidiatou Diallo répond à nos salutations en mandingue et ajoute : «Je ne parle pas mandingue, même si je comprends tout ce qu’on dit dans cette langue. J’ai eu contact avec le mandingue qu’avec mon mariage avec ce vieux (le père de ses enfants).» Un papa qui est décédé à la fin des années 80, alors que Adama Barrow était au «high school» à Banjul. «Ce fut la galère pour la famille. C’est notre maman qui nous a entretenus par l’agriculture et le petit commerce. Elle parvenait à récolter plus de 2 000 kg d’arachide, en plus des céréales.» Boully Barrow poursuit : «Notre papa ne nous a rien laissé. Il était un businessman. Il faisait un peu de tout pour nourrir la famille. Après son décès, Adama a pris le relais. C’est lui qui a construit tous ces bâtiments et s’occupe bien de nous.»
Dans cette maison se trouvent 2 blocs de bâtiments qui se font face et qui ont récemment pris (après le 1er décembre) les couleurs «jaune-clair/marron», très proches des celles de l’Alliance pour la République (Apr). Entre les 2 bâtiments est dressée une tente pour abriter les visiteurs. Boully Barrow : «Au début de décembre, nous recevions beaucoup de monde. On donnait à manger à tout le monde, on préparait le repas de midi dans 7 grosses marmites.» Après la volte-face de Jammeh, l’afflux des visiteurs s’est arrêté. «Maintenant cela a repris.» Pendant la période d’incertitude, la famille était désertée par peur de représailles contre ceux qui la fréquentaient. Mais cette situation n’a jamais apeuré Boully et ses frères et sœurs. Il dit : «Seule la maman avait peur et le manifestait. Mais nous autres étions rassurés par Adama qui nous disait qu’il fallait croire en Dieu et que tout allait s’arranger sans effusion de sang. Adama n’a jamais douté de l’issue heureuse du problème.» La famille n’a plus accès à Adama Barrow quand elle le souhaite. Boully Barrow : «Il arrive qu’un proche parent veuille lui parler par téléphone, mais c’est impossible. C’est à la fin de la journée seulement que je l’appelle ou lui-même m’appelle pour s’informer de la situation dans la famille et parler à la maman.»

Mandingue de culture peule

Maman de Barrow.
Maman de Barrow.

Le père de Adama Barrow est un Mandingue né dans le village de Thiaghaly dans la province du Sandou, voisine du Djimara. Ses parents sont venus du Pakao, dans le département de Sédhiou en Casamance.  Un village nom­mé «Bantan… something», a déclaré Boully Barrow, ne se rappelant plus avec exactitude le nom du village d’origine de ses grands-parents. Saré Manga est majoritairement habité par des Peulhs. «Dans ce village ne vivent que 2 familles mandingues, la nôtre et la famille Mané. Après le décès de notre père, notre maman ne s’exprimant pas correctement en mandingue, nous parlons exclusivement peulh dans la maison, même si nous comprenons tous le mandingue. Notre Papa n’a jamais voulu, de son vivant, que la langue de notre maman domine dans la maison.» C’est vrai que tout étranger qui entre dans la famille des Barrow ne peut pas imaginer une seconde qu’il ne s’agit pas d’une famille peulh. Ni dans le teint (clair) ni dans la langue parlée. Boully reconnaît : «Nous sommes des Mandingues de sang, mais de culture peule.»

Barrow battu dans son village natal
L’effervescence autour de la maison des Barrow laisse indifférent un nombre important de gens de Saré Manga Djimara (Mankamankunda). Par gêne ou par dépit, «ils n’ont pas félicité la famille pour l’accession de leur fils au fonction du président de la République». La cause ? «Toutes ces familles peules n’ont pas voté pour lui. Il n’y a qu’une famille, mandingue, qui s’est ajoutée à la famille Barrow pour battre campagne et voter pour Adama. Les autres ont voté pour le candidat peul Mama Kandé. Vous savez, Jammeh a fait dans l’ethnicisme à outrance ; ce qui fait que l’orientation du vote a été ethnique. Dans ce village, c’est Mama Kandé qui a remporté l’élection, comme dans plusieurs autres villages de la province», dit une source proche de la famille Barrow.

Après son intronisation: Les «Barrow parties» battent leur plein

Tous les villages du Upper river region (Urr) veulent avoir leur «Barrow party». Il s’agit de fêtes populaires pour célébrer la victoire de Adama Barrow ou du moins pour fêter la défaite du «tyran» de Kanilai. Samedi dernier, le village da Dasilameh dans la province du Sandou a célébré sa fête. Une fête présidée par Lawyer Ousainou Darboe, l’actuel ministre des Affaires étrangères et leader de United democratic party (Udp), en présence de Sidia Jatta, n°2 du People’s democratic organisation for independence and socialism (Pdois). Pour cette fête, toutes les familles du village ont contribué, de même que les émigrés. 25 sacs de riz sont achetés et préparés et 6 taureaux immolés. Sidia et Ousainou n’ont pas pu s’exprimer correctement, tellement la place réservée à l’évènement s’est révélée trop étroite et la sonorisation incapable de couvrir les voix des fêtards. Il s’est du coup posé un problème de sécurité. Les villages environnants se sont vidés pour assister à la fête. «Plusieurs villages ont déjà organisé leur party et d’autres sont en train de collecter de l’argent pour leur fête. Aucun sou n’est réclamé au Président Barrow. Les nouvelles autorités sont juste informées de la date et se font le devoir de se faire représenter par une autorité ressortissante de la localité. Par exemple pour la fête de Dasilameh, le second de Assane Sallah, Sidia Jatta, est originaire de la localité et Lawyer Darboe est originaire de Bansang, non loin de là», dit Baba Janko du village de Kuraw, dans la province du Sandou. Il poursuit : «Il faut considérer que ces célébrations sont moins dédiées à la victoire de Barrow que pour les perspectives de voir libéré un Peuple anciennement muselé. De voir une Gambie égalitaire ou une ethnie n’est pas hyper favorisée où les chefs religieux sont mis à leur place.»

Kanilai, village du Président Jammeh : La peur de perdre des privilèges

Les ménages du village natal de l’ancien chef de l’Etat gambien, Kanilai, ne recevaient pas de factures d’électricité. Ils consommaient le courant gratuitement et les installations y étaient anarchiques : il n’y a pas de poteaux. Pour se faire raccorder, il suffit de trouver un piquet quelconque, y enfiler le fil et se voir éclairer. Ces informations sont données au cours de la fête du village de Dasilameh samedi dernier. Une autorité de Nawec (National water and electricity corporation), présente dans les lieux, a expliqué comment tout est venu. Elle dit : «Un jour, Jammeh a débarqué dans son village. Des enfants sont venus à sa rencontre. Et à côté, des femmes vendaient des sachets de jus glacé. Il a demandé aux femmes de servir les enfants et qu’il allait payer la note. Au moment de payer, il a demandé le prix du sachet. ‘’5 dalasi’’, ont-elles dit». Il a trouvé que ce prix était cher et les femmes de répondre que c’est l’électricité qui est chère. Puis de poser la question : «Qui a autorisé qu’on mette des compteurs ici ? Sur place, il a demandé à ce que l’on enlève tous les compteurs de tous les ménages. Plus de 250 ménages étaient concernés.» Le monsieur de poursuivre : «Un seul vieux, il se nomme Jammeh aussi, s’est opposé à ce qu’on enlève son compteur. Il a argué : «Avez-vous jamais vu un pouvoir éternel ? Yahya est là pour un temps. Si nous nous débarrassons de nos compteurs, qu’adviendra-t-il de nous quand il va quitter ?« L’agent chargé d’enlever le compteur a eu peur de devoir rentrer en laissant un seul compteur fonctionner à Kanilai.»
Cette même autorité a informé que récemment une personnalité de Kanilai, consciente que la situation va bientôt prendre fin, est allée déposer une demande pour 11 compteurs, mais que la personne en charge du bureau commercial a répondu qu’il fallait écrire une demande et mieux, que ce soit tout le village qui en fasse autant.
Il se murmure qu’à Kanilai, c’est déjà la misère. Des familles habituées à recevoir de l’aide de Babili Mansa commencent à quitter le village, faute de nourriture. Pis, elles craignent une flambée des prix des marchandises de consommation courante qui étaient fortement subventionnées par leur fils, ancien chef de l’Etat. Le prix du sac de riz y coûtait 500 dalasi alors qu’il coûte 1 550 dalasi partout ailleurs en Gambie. C’est la Faim de l’histoire…