Bamboung, pour celui qui ne le sait pas, renvoie à 13 villages du Niombato, terroir traditionnel correspondant plus ou moins à l’arrondissement de Toubacouta, au cœur du delta du Saloum, là où nature et culture se rejoignent pour constituer un patrimoine d’exception.

L’Aire marine protégée communautaire (Ampc) de Bamboung tire profit de ce cadre figé dans les merveilles de la nature pour mieux amplifier la renommée de ces contrées du département de Foundiougne, sans doute la destination la plus attractive de la région de Fatick (Centre). (…)

Toubacouta se découvre en commune rurale perdue dans les confins du département de Foundiougne, non loin de la ligne frontalière avec la Gambie voisine, avec cette particularité que les sites hôteliers et autres campements touristiques côtoient les habitations. Les champs et les vergers se confondent tout autant. Des pontons artisanaux, construits en bois et bordés par des arbres bien fleuris, relient la terre ferme aux affluents du fleuve Saloum.

«Mettez vos gilets de protection. Ce sera une journée chargée où nous allons visiter différents sites de l’Aire marine protégée de Bamboung», lance le capitaine Lamine Kanté, conservateur de l’Ampc de Bamboung, à l’accueil d’officiels du ministère de l’Environnement et du développement durable et de journalistes. Les visiteurs ont déjà pris place dans trois pirogues bien amarrées sous le ponton d’un célèbre hôtel à Toubacouta. (…)

«Nous allons faire la grande boucle de Bamboung. Nous démarrons par la visite de Diorome Boumak, un site historique devenu une île d’amas coquillers», dit le capitaine pour annoncer le programme de la visite, sans vraiment se faire entendre à cause du vacarme provoqué par l’enthousiasme des visiteurs.
C’est parti pour une visite des principaux sites de Bamboung, une ancienne réserve naturelle de 7000 hectares érigée en Aaire marine communautaire protégée par l’Etat du Sénégal en 2004.

A l’origine, la localité de Bamboung avait été érigée en Réserve naturelle communautaire à l’initiative du Conseil municipal rural de Toubacouta. Deux ans après cette décision des élus locaux, un décret présidentiel était venu consacrer sa mutation en aire marine.

Tout au long du trajet, à travers le Diomboss et le Bandiala, deux fleuves côtiers qui se jettent dans l’Océan atlantique et arrosent Toubacouta, les bolongs (chenals) sont ceinturés par des rangées de mangroves, ces zones de reproduction et de refuge de poissons, de crevettes, d’huîtres et d’autres crustacés.

Cette galerie de mangroves amphibies constitue aussi des espaces de nidification pour les oiseaux migrateurs.

L’un des noyaux de la réserve de biosphère du delta du Saloum dont Bamboung est la composante principale, est un site classé au Patrimoine culturel de l’Unesco depuis 2011. Bamboung compte aussi depuis 1981 parmi les «12 plus belles baies du monde». Un tableau complété par une mangrove de 3506 hectares et une savane de 433 hectares, lieu de refuge de plusieurs mammifères, sans compter une forêt-galerie de 38 hectares, une sorte de formation forestière associée à des cours d’eau et à des zones humides.
Un site mémoriel de trois mille ans d’histoire

Tout à la contemplation de ce paysage magnifique, la vue d’un bloc de terre au milieu de nulle part attire l’attention du visiteur. Le regard se fige sur un paysage pittoresque. «Bienvenue à l’île au coquillage ou l’île des amas coquillers», annonce le conservateur de l’Ampc de Bamboung, bien en évidence dans son uniforme vert, un béret de même couleur bien vissé sur la tête.

La grande muraille verte, représentée par les lignes de mangroves, laisse apparaître une sorte de mur blanc fait d’impressionnants amas de coquillages. Des stigmates des vagues sur un bloc de rochers sont encore visibles par endroits. Plusieurs tas de coquilles vides s’amoncellent dans un coin. Près d’un entrelacs de branches d’arbres et d’arbustes qui se termine par un enchevêtrement de lianes. Un baobab au tronc imposant dessine enfin une ligne d’horizon comme un point d’attraction.

«Ce site est le témoin de plus de trois mille ans d’histoire. Il y a plus de 7000 tonnes de coquillages. Cela démontre qu’il y avait ici des activités économiques depuis au moins plusieurs siècles», explique le capitaine Lamine Kanté dans un silence dont le charme est à peine rompu par un concert d’insectes et des gazouillements d’oiseaux.

«Des fouilles effectuées par des experts de l’Ifan (Institut fondamental d’Afrique noire), un laboratoire de recherches de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, ont montré que plusieurs personnes y sont enterrées. Des prélèvements d’ossements humains ont été faits», ajoute le conservateur.

Il désigne ensuite un baobab considéré comme un site sacré. «Au moins 128 corps humains sont enterrés dans son tronc. D’après l’histoire, il recevait des corps de griots qui y sont enterrés avec leurs bijoux», poursuit Lamine Kanté, en référence à un rite funéraire ancien pratiqué dans la Sénégambie.

Un point de transit d’esclaves en route vers Gorée
Le mystère demeure entier quant à l’identité des populations qui habitaient ces lieux encore marqués par la présence d’un tonnage important de coquillages en plusieurs piles superposées sous forme d’étages.

Des versions non encore certifiées par des recherches en cours évoquent un site de «transit d’esclaves venant de partout en Afrique avant de rejoindre Gorée», l’île abritant une maison d’esclaves au large de Dakar.

«L’on parle aussi de peuples qui venaient ici par réflexe de survie en période de crise, de famine ou de maladies, parce que les côtes gardent toujours des ressources permettant de vivre ou de survivre», ajoute le colonel Mamadou Sidibé, directeur des Aires marines communautaires protégées au ministère de l’Environnement et du développement durable. (…)

Le soleil, jusque-là éclipsé par les nuages, fixe désormais ses rayons sur les affluents du delta du Saloum devenus plus scintillants mais calmes. Les trois pirogues qui se suivent de près font un détour par un petit bolong pour arriver au mirador de Bamboung.

«Nous sommes dans un site important de l’Aire marine protégée de Bamboung. Il s’agit du mirador. C’est à peu près la brigade de police, avec une approche dissuasive et non répressive», précise le capitaine Lamine Kanté.

Il s’agit d’une sorte de minaret qui surplombe le site, à près de 30 mètres. Il offre une vue panoramique de Bamboung. Installé sur un bout de terre en haute mer, il est doté d’aires de repos faites de cases en paille, de deux blocs de toilettes, quelques habits délavés à même le sol et divers détritus meublant le décor.
«Nous sommes dans une zone très poissonneuse. Au moins 78 espèces de poissons sont identifiées ici. La pêche est interdite en ces lieux, ce qui explique l’aménagement du mirador», avec des équipes d’agents communautaires se relayant «toutes les quarante-huit heures», explique Lamine Kanté.

Cogestion et engagement communautaire
Plusieurs écogardes volontaires venant des villages de Bamboung sont désormais recrutés par l’Etat après près de deux années de «bénévolat et d’engagement communautaire».

Compte tenu du potentiel à préserver au bénéfice des communautés, les autorités ont pris les devants pour mettre fin à un bénévolat qui exposait des surveillants vulnérables à la détermination de pêcheurs n’hésitant pas à débourser de l’argent pour jeter leurs filets dans ces eaux poissonneuses.
«Plusieurs fois, des pêcheurs sont venus nous voir pour nous proposer de les laisser pêcher dans le périmètre maritime interdit à cette activité, en contrepartie de sommes d’argent allant jusqu’à 100 000 francs Cfa. Mais nous avons toujours rejeté leur offre parce que nous savons ce que la ressource apporte à nos communautés», confie Koutoubo Basse, un surveillant en service au mirador de Bamboung.

«La loi prévoit de lourdes sanctions à l’encontre de ceux qui sont tentés de pêcher dans ces eaux interdites, qui servent de zones de reproduction pour 78 espèces de poissons», explique le capitaine Lamine Kanté, avant d’indiquer à ses hôtes la dernière étape de la visite.

Le groupe met alors le cap sur le «Campement Bamboung», un espace aménagé, pourvu notamment de toutes les commodités permettant de vivre la meilleure expérience écotouristique possible.

En empruntant le grand bolong de Bamboung, un ravissement saisit les visiteurs qui sortent de leur torpeur en lançant des cris d’émerveillement, ébahis qu’ils sont de contempler sans frais ce spectacle rare, tout précieux.

Visiteurs imprévus, des dauphins surgissent, de part et d’autre des chaloupes, en sautant hors de l’eau à intervalles réguliers. Le crépitement des appareils photo retentit de plus belle. Histoire d’immortaliser ces moments magiques et instants rares. Les cris d’émerveillement se multiplient. La fatigue et la torpeur sont oubliées. Ça grouille tout autour, devant le mystère et la beauté à l’état pur.
«C’est un jour de chance. Admirez ces acrobaties. Quel magnifique comité d’accueil. Ce n’est pas tous les jours que les visiteurs de Bamboung sont accueillis par une belle danse des dauphins», lance, en s’amusant, le colonel Mamadou Sidibé, chef de la délégation.

«Ces dauphins sont des emblèmes du parc du delta du Saloum», ajoute le directeur des Aires marines protégées communautaires.

Ce spectacle a réveillé et égayé les voyageurs jusqu’à l’arrivée au Campement naturel de Bamboung dont le décor est fait d’amas de terre sablonneux, de quelques rochers fissurés par les vagues, de cases en paille, plus quelques ceintures de palissade. Il y a également là de grands arbres à l’ombre généreuse, des tas de coquillages, des anacardiers et le bouclier naturel constitué par les mangroves.

Danse des dauphins et concert des hyènes
A cette étape de l’excursion, les voyageurs sont reçus dans un imposant cadre aménagé avec de la paille et du bois, en forme de chapiteau.

Le Campement de Bamboung symbolise la réussite de l’écotourisme. Un modèle que les gérants se plaisent volontiers à mettre en exergue en présence d’autres responsables d’Aires marines protégées venant de la Casamance, dans le Sud du Sénégal.

«Au début, il y avait une grande réticence. Mais aujourd’hui, les communautés s’approprient [ce modèle de gestion et de conservation] de nos ressources. Il y a une bonne cogestion entre l’Etat et les communautés. Rien que ce campement, qui accueille des touristes et des chercheurs, nous rapporte beaucoup», se réjouit Ibrahima Ndiaye, le président du Comité de gestion de l’Ampc de Bamboung.

«Nous avons toutes sortes d’espèces à Bamboung : des chacals, des phacochères, des dauphins, des oiseaux migrateurs, etc. Mais le concert des hyènes est une merveille», relève Bakary Dabo, le Secrétaire général du Comité de gestion. Il n’a pas terminé sa phrase qu’un phacochère se met à rôder autour du campement, suscitant une grosse curiosité chez les visiteurs. (…)

Les huîtres, refuge économique des femmes
Sur le chemin du retour, la marée basse contraint les visiteurs à faire presque du surplace sur une distance de deux kilomètres pour rejoindre le village insulaire de Sipo, lieu d’accostage des pirogues de l’équipée.

Sipo, île qui tient sa renommée de la personnalité de sa reine traditionnelle, Fatou Mané, décédée le 12 avril 2022. De son vivant, celle qui a reçu les honneurs de l’Agence sénégalaise de promotion touristique a fait élargir l’audience de son île natale au-delà des frontières sénégalaises.

A Sipo, prospèrent de nombreuses activités génératrices de revenus à partir de l’exploitation des produits de la mer dont les huîtres séchées. Du miel issu de la mangrove, du pain de singe et des tas d’oseille de Guinée et d’autres fruits de mer sont exposés à l’attention du visiteur.

«Il y a une diversité d’activités génératrices de revenus. Les femmes ont constitué des groupements d’intérêt économique pour exploiter les ressources halieutiques. Elles s’activent également dans l’apiculture. Récemment, au moins 130 millions de francs Cfa ont été déboursés pour booster ces activités», se réjouit Lamine Kanté.

«L’exploitation des ressources de la mer nous permet d’avoir une certaine indépendance financière. C’est notre refuge. Nous alimentons plusieurs parties du pays en fruits de mer. En plus, les touristes et les voyageurs raffolent de nos produits», confirme Khady Diouf, l’une des vendeuses de ce marché de fortune installé sur les berges de l’île de Sipo.

Soixante-dix-huit espèces de poissons, 20 amas coquillers et 154 espèces végétales
«L’on ne peut pas estimer la valeur financière de Bamboung. C’est insondable parce que Bamboung, vu ses merveilles naturelles et son poids culturel et cultuel en termes de retombées touristiques, a un potentiel infini, au-delà de toute estimation», fait valoir le capitaine Lamine Kanté, conservateur de ce site de 7000 hectares, avec ses 20 sortes d’amas coquillers, ses 154 espèces de végétaux et ses centaines d’espèces d’oiseaux. Sans compter plusieurs espèces d’animaux dont des tortues marines et terrestres.

«Une étude avait été menée sur la valeur chiffrée du potentiel du delta du Saloum. Elle l’avait estimée à des milliers de milliards de francs Cfa. Et Bamboung représente 30%, voire 40% du delta», assure Bakary Dabo.
L’étude en question est un document de 51 pages (…) Elle est réalisée par plusieurs organisations spécialisées dont Wetlands International, une organisation mondiale à but non lucratif vouée à la conservation et à la restauration des zones humides. Intitulé «Evaluation des actifs durables du delta du Saloum», le document tente une «évaluation économique de la contribution du delta du Saloum au développement durable, en se concentrant sur les zones humides et les mangroves».

Des potentialités inestimables, mais le pétrole et le gaz pourraient être des menaces sur Bamboung

L’étude démontre que «la valeur des services écosystémiques du delta du Saloum peut augmenter pour atteindre 5, 4 milliards d’euros (3542 milliards de francs Cfa)». «Le revenu du travail généré pourrait augmenter encore pour atteindre 14, 8 milliards d’euros (9708 milliards de francs Cfa) sur une période de quarante ans», ajoute-t-elle.

Mais cet énorme potentiel pourrait subir de réelles menaces liées à l’exploitation pétrolière et gazière qui se profile dans cette zone.
L’Etat du Sénégal a annoncé que Sangomar, nom géographique d’une île située dans le Parc national du delta du Saloum, est l’un des plus importants blocs gaziers découverts dans le pays. Les réserves de ce bloc sont estimées à quelque 5 milliards de barils, pour une production nominale de gaz naturel d’environ 100 000 barils par jour.

«Cette exploitation pourrait avoir des répercussions sur les activités économiques habituelles et l’écosystème naturel. Mais nous allons essayer de sensibiliser les communautés à des solutions d’adaptation», assure le conservateur de l’Ampc.

Les craintes du capitaine Lamine Kanté se justifient bel et bien, si l’on se fie à l’étude précitée, selon laquelle l’exploitation pétrolière et gazière pourrait entraîner «une réduction du stock de mangroves saines et une perte correspondante des services écosystémiques».

«Ce scénario a été inclus dans l’étude parce qu’il existe actuellement des licences accordées pour l’extraction pétrolière offshore du delta du Saloum», précise le document.

Dernières images, pour garder espoir. Sur le chemin du retour, le soleil crépusculaire se met subitement à irradier de ses rayons colorés un affluent de fleuve. Il y a ensuite la vision de cette nuée d’oiseaux, des pélicans en majorité, en train de se percher sur la pointe des mangroves. D’autres se mettent à survoler tout autour pour saluer la fin de la journée.
Aps