Bab-Chellah est un espace ouvert sis au quartier résidentiel Hassan du centre-ville de la capitale marocaine, Rabat. Terminus de bus, arrêt de tramway et grands taxis, l’endroit offre un cadre privilégié pour les populations ouest-africaines dans cette ville marocaine. C’est à la fois une place de commerces et d’échanges, mais aussi de repli stratégique des Subsahariens en transit ou encore de retour d’une «déportation».Par Pape Moussa Diallo (De retour de Rabat)

– En ce début de matinée, le quartier Hassan de Rabat affiche bonne mine. Un parfum d’hiver, avec une fraîcheur agréable, qui contraste avec le début de l’été au Sénégal, embaume l’air. Au dehors, les rues commencent à grouiller de monde, entre piétions et automobilistes bloqués dans les embouteillages, chacun essayant de se frayer un passage. A quelques minutes de marche, la place publique Bab-Chellah du quartier résidentiel Hassan du centre-ville de la capitale marocaine, Rabat, s’offre à nous. En face, se dresse majestueusement la Médina, connue pour ses échanges commerciaux. Hommes et femmes occupent la place progressivement. Les uns attendent l’arrivée du bus, du tram ou marchandent un taxi, d’autres, d’origine ouest-africaine, notamment des Sénégalais, exposent leurs produits de commerce. De la vente de café Touba à celle des téléphones portables d’occasion, en passant par le commerce de sandwich, tout y passe.

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Sur un banc public, deux jeunes hommes sont en pleine discussion. Ils parlent en langue mandingue. Il suffit d’un bonjour de notre part dans la même langue pour que les familiarités commencent. Le temps d’entamer les échanges, on s’offre du bon café Touba pour chauffer les ventres et avoir l’énergie d’engager une conversation qui s’annonce déjà intéressante. «Vous venez d’où ?», demanda l’un des deux avec un sourire taquin. En guise de réponse, nous rétorquons «du Sénégal», avant de demander à notre tour : «Vous venez aussi du Sénégal ?» Par l’affirmatif, répond notre vis-à-vis, tout en précisant qu’il vient du Sud du Sénégal, de la Casamance. Tailleur de son état, D. T., puisque c’est de lui qu’il s’agit, informe : «Je suis là depuis plusieurs années. Je travaille et vis à Salé (quartier de Rabat).» Sur sa présence sur les lieux, il informe : «Je suis venu ici pour prendre le train. Je devais me rendre à Casablanca pour refaire mon passeport.» N’ayant pu prendre le train, il s’est retrouvé à la place Bab-Chellah avec son ami I. B., qui est arrivé au Maroc il y a moins de 2 mois. «I. B. est arrivé il y a quelque temps à Rabat. On loge ensemble. Je l’ai accueilli à Salé.»

Sur les motivations de leur voyage, D. T. d’informer : «J’ai été influencé par des amis qui m’ont beaucoup parlé du Maroc. Mais, je ne me doutais point que les choses étaient aussi difficiles.» Son ami I. B., qui est venu le retrouver dans cette situation, de confirmer : «Ce n’est pas facile ici. Même quand tu as des papiers, on ne te traite pas comme une personne.»

Ce dernier de poursuivre : «J’ai quitté Sédhiou pour tenter ma chance ailleurs.» Selon lui, les perspectives de réussite sont très faibles, voire inexistantes. «Le Maroc n’est pas ma destination. Je suis en transit, mon intention est de rejoindre mes amis en Europe.» Il n’est pas le seul à s’inscrire dans cette logique. Même son hôte est en transit à Salé (Rabat). «J’ai essayé de rejoindre l’autre rive, mais je n’ai pas encore réussi. Je n’ai pas pour objectif de rester au Maroc, notamment à Rabat.»

Traitements dégradants
Notre interlocuteur de poursuivre : «On n’est pas en sécurité dans ce pays. On ne nous traite pas dans ce pays de la même manière que nous les traitons chez nous.» Et ce dernier d’expliquer : «Figurez-vous qu’il y a juste quelques jours, dans notre quartier qui n’est pas loin de l’Université internationale de Rabat, on a croisé des étudiants à vélo. Ils sont descendus de leurs vélos uniquement pour nous insulter, l’un d’eux nous a jeté une pierre, avant de poursuivre leur route.» Très en verve contre ces comportements, il estime que l’Etat doit être informé de la situation «déshumanisante» qu’ils sont obligés de supporter dans le royaume chérifien. En plus, informe I. B., «des fois, on est victimes de violation de domicile de policiers qui viennent chez nous et défoncent les portes de nos chambres à coups de marteau. Nous sommes arrêtés sans mandat, que nous ayons des papiers ou pas. On nous jette dans une fourgonnette, mains liées, pour ensuite aller nous jeter à la frontière sans aucune aide». Cependant, ils se débrouillent toujours pour revenir à Rabat, jusqu’à la place Bab-Chellah où ils reprennent les moyens de transport et rejoignent leur domicile. Non loin de lui, un autre Sénégalais, dissimulant sa tête dans la capuche de son boubou, a l’air dégoûté. Sandwich à la main et ingurgitant du café à son rythme, il lance : «J’ai fait plusieurs tentatives pour rejoindre les côtes espagnoles, par Tanger, Malaga ou encore Nador. Toutes mes tentatives se sont soldées par des échecs.» Aujourd’hui, il n’a que son verbe pour se faire entendre.

Vendeuse de sandwich, la quarantaine environ, une autre compatriote raconte le calvaire des Sénégalais à Rabat. «On est victimes de délit de faciès dans cette place. La police procède à des rafles périodiques. Elle ne distingue pas celui qui est en règle et celui qui ne l’est pas.» Cette dernière de poursuivre : «Le Maroc aurait reçu de l’argent de l’Union européenne et se voit dans l’obligation de s’adonner à des pratiques qui ne respectent aucunement la dignité humaine.»