A l’approche de la fête de Tabaski, des points de vente improvisés poussent aux abords des routes et ruelles de la banlieue dakaroise. Et un peu partout dans la capitale. Sous ces tentes, attendent souvent des vendeurs qui se distinguent par la singularité de leurs profils respectifs. Par Abdoul Rahim KA –

A quelques jours de l’Aïd, l’exposition et la vente de moutons n’est plus la chasse-gardée des éleveurs professionnels, et les foirails et autres sites dédiés se voient concurrencés par les tentes de fortune ou huppées selon les moyens de l’opérateur. Des jeunes et moins jeunes se lancent dans ce qu’ils appellent communément «Opération Tabaski».
Mohamed Badiane, installé aux abords d’une des artères de Zac Mbao, est de ceux-là. Statisticien principalement, à 3 ou 4 mois de chaque fête de Tabaski, il s’adonne à la vente de moutons. Une passion pour lui. Cette activité ponctuelle, le jeune Mohamed la pratique depuis 2014. Avec 3 têtes pour commencer et en augmentant le nombre chaque année, il est aujourd’hui à une cinquantaine de moutons. Sous la tente, une vingtaine rumine en attendant preneur. Ce qu’il faisait uniquement par passion, lui permet aujourd’hui de diversifier ses revenus. «C’était surtout un plaisir pour moi d’avoir deux ou trois animaux sous la main et de les voir grandir. Les revendre ne serait-ce qu’à 100 000 francs Cfa à l’époque était une fête. Aujourd’hui c’est une activité, une source de revenus à part entière», confie-t-il. La passion et le profit se rejoignent finalement.
A Keur Mbaye Fall également, tout dans le décor indique que le mouton est à la fête. Le noir de la Rn1 est enserré par endroits par le blanc poussiéreux des bâches. Il est 11h et Babacar Seck somnole encore. Il a passé la nuit avec d’autres jeunes du quartier à veiller sur ses moutons. Pêcheur en temps normal, il se dépeint aussi comme un passionné d’élevage et opérateur en période de fête. «J’ai trouvé mes parents dans l’élevage. C’est donc une continuité pour moi», admet-t-il. Même s’il ne prétend pas faire dans l’élevage de luxe, Babacar fait observer que certains sujets sous sa bâche ciblent eux-mêmes leur clientèle. «Il y a des moutons que nous préparons pendant presque un an. C’est donc normal que ceux-là ne soient pas à la portée de toutes les bourses», confesse-t-il.
Un arrêt plus loin, Mbao. Quelques tentes dressées et sous l’une d’elles, un autre profil Modou Ndour, charretier, assure : «J’ai confié ma charrette à un frère pour me concentrer sur l’«Opération Tabaski». Après la fête, je reprends mon cheval et j’économise à nouveau pour l’achat d’autres petits moutons pour la prochaine fête.»

Libass Diop, menuisier métallique, lui, partage son point de vente situé à quelques mètres du foirail de Rufisque avec un ami. «Ça fera bientôt 10 ans que nous sommes sur ces lieux. En plus des moutons de race qui naissent dans nos enclos, nous exposons aussi des sujets que nous achetons dans les principaux marchés de bétail. Des proches ou amis qui ont l’habitude d’élever deux ou 3 bêtes chez eux nous les emmènent aussi», explique-t-il.
Les opérateurs, Ismaïla Sow, président du Conseil national de la Maison des éleveurs du Sénégal les classe en deux catégories : une première constituée de personnes avec une puissance financière conséquente qui emploient des jeunes pour gérer leurs affaires le temps de la période des fêtes et une seconde qui regroupe des débrouillards et passionnées plus ou moins nantis qui, en prélude à la Tabaski, se lancent dans l’embouche quelques mois avant. Il évoque même d’autres acteurs qui opèrent et agissent sur le marché dans une période beaucoup plus courte. «Certains gardent leur argent et surveillent le marché dans l’attente d’occasion en or pour se fournir abondamment et revendre plus cher en cas de pénurie ou de rush au dernier moment», analyse M. Sow.
Le président du Conseil national de la Maison des éleveurs du Sénégal ne voit pas la prolifération des points de vente, encore moins la diversité des opérateurs comme une menace directe pour les éleveurs professionnels ou traditionnels. Au contraire, beaucoup se fournissent auprès de ces derniers. Seulement, il souligne que les autorités gagneraient, ne serait-ce que pour la salubrité des villes, à tenir compte des nouvelles réalités et à multiplier les points de vente normalisés, notamment à Dakar et ses périphéries.