Le «Grand dioudiou» est l’appellation donnée au campement qui regroupe le temps de leur guérison, depuis dimanche dernier, 104 petits circoncis du département de Vélingara. Le Conseil départemental, qui en est l’initiateur, cherche à encourager les familles démunies à circoncire leurs enfants pendant les vacances scolaires et, par la même occasion, réhabiliter le kankourang et revaloriser les valeurs culturelles positives locales.
Ousseynou, Assane et Ousmane Sidibé sont des triplés de 11 ans qui étaient en classe de Ce2 à l’école élémentaire de Gouloumbou, dans le département de Vélingara. Ils font partie des 104 circoncis qui sont logés dans 4 salles de classe de l’école 1 de la commune du maire Mamadou Oury Baïlo Diallo. Leur situation sociale est révélatrice de la pertinence de l’initiative du Conseil départemental, à savoir : «Circoncire à ses frais 100 petits enfants pour ne plus voir des enfants rater des semaines de cours à la rentrée des classes pour cause de circoncision.» Ibrahima Diongue, le parrain de ces enfants, n’a pas eu du mal à convaincre le comité d’organisation du «Grand dioudiou» à accepter ces petits, «emmenés en ces lieux, alors que l’objectif initial de 100 était déjà atteint. Il s’agit d’enfants dont la charge est entièrement à la maman, en l’absence du papa qui aurait fui la famille, dépassé par les difficultés à faire bouillir la marmite régulièrement», explique Ousmane Baldé, président de la Commission des finances du Conseil départemental de Vélingara. Ces enfants auraient dû subir cette épreuve depuis longtemps n’eût été les difficultés financières des parents.
Justement, l’institution locale a décidé d’organiser cet événement «pour aider les familles pauvres à ne pas différer la circoncision de leurs petits par crainte de pouvoir les prendre en charge pendant les vacances scolaires, période de disette. Ils attendent le plus souvent que les greniers soient remplis pour le faire alors que l’année scolaire a débuté», précise Ousmane Baldé. Selon M. Baldé, «jusqu’à leur sortie, tous les frais liés à l’alimentation, au blanchissage, aux soins, à la sécurité des lieux et à l’habillement sont à la charge du Conseil. A leur sortie, chaque môme va rentrer avec un trousseau de fournitures scolaires adaptées à son niveau d’études.» Après une grande fête populaire (le diambadong) prévu le 1er octobre prochain.
Au-delà du kankourang
Les populations du département de Vélingara devront s’attendre au retour des pratiques traditionnelles en matière d’éducation des petits circoncis. «Il n’y aura pas que le kankourang dans sa forme respectable et originelle pour faire la différence avec ce qui se pratique depuis des décennies dans ces lieux de retraite. Nous allons ramener les chants éducatifs, les langages gestuels, sanctifier des valeurs de respect des aînés, de solidarité, de tolérance, du sens de l’amitié et du civisme. Toutes choses qui ont foutu le camp dans nos sociétés actuelles et qui font que les enfants sont sans vergogne, irrespectueux, ne savent pas lire dans les yeux et incapables de déchiffrer le langage gestuel», déclare Mamadou Ba, coordonnateur du comité d’organisation du «Grand dioudiou».
Dans ce «dioudiou» sont regroupés des enfants d’au moins 5 communes du département et de différents groupes ethniques. «Les meilleures amitiés se forment souvent entre gens qui ont subi des épreuves similaires en même temps. C’est le cas de camarades de promotion. Et c’est le cas aussi des petits circoncis. Nous verrons des enfants de différents coins du département nouer des amitiés très fortes à l’issue de ce dioudiou qui va durer 3 semaines», enseigne Mamadou Ba.
Le kankourang
Le kankourang est un masque mythifié dans le milieu mandingue qui, originellement, sort pour «éduquer et protéger les circoncis». Il est déjà sorti samedi dernier, la veille de l’opération du prépuce des 104 petits. Ce fut un «kankourang de réjouissance» qui est accompagné de gens d’âge mûr qui ont rivalisé de pratiques mystiques en se tranchant la langue, le cou ou autres parties du corps. Le tout, dans la grande gaieté, en compagnie des sons des tam-tam. Ce kankourang avait le don de raccourcir les distances. Sitôt qu’on le localise en un endroit, la seconde suivante on pouvait l’entendre à mille lieues de là. Soit dans la rue, soit haut perché sur un arbre. Ce genre de kankourang apparaît lors des «diambadong» (danse), au début ou à la fin de la retraite. Par contre, informe Mamadou Ba : «Nous aurons droit à partir de maintenant à un kankourang protecteur et éducateur.» Il poursuit : «Il est chargé de la protection mystique des circoncis. Ses sorties seront annoncées et ses itinéraires indiqués à la population. Toute personne qui le défiera subira et assumera les conséquences de sa témérité. Il tiendra en respect les petits circoncis qui, même sortis de là, comprendront que la vie est régie par des règles communautaires à respecter.»
Il y a un 3ème kankourang qui, certainement, ne sortira pas à cette occasion. Il s’agit du «kankourang-police». Celui-là qui fait mal et capable de tuer. Mamadou Ba : «Il sort quand une personne défie toute la communauté par arrogance, impolitesse ou menace à l’équilibre social. Ce fut le cas d’une femme, selon la légende, Sonna Kinty de son nom, qui eut l’audace de défier un roi tyran, craint par tous, par les hommes en premier. Elle arriva à éliminer ce roi. Ce que tout le monde apprécia. Mais comme, en tant que femme, elle a dépassé les limites du permis pour une femme dans la société mandingue de l’époque, elle constituait alors une menace pour l’équilibre social. Il fallait l’éliminer à son tour. Le kankourang s’en chargea. Le prétexte : elle a regardé ouvertement ce masque. Ce qui est un gros sacrilège.»
Ce type de kankourang sort également quand le village décrète l’interdiction de toucher à des fruits (mangues, nérés, pains de singe etc.) encore verts. Quiconque défie cet interdit défiera ce kankourang.
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