Le report des élections locales et la prorogation du mandat des élus ont souvent eu les mêmes motivations. C’est plus pour des intérêts politiques des partis au pouvoir que des motifs techniques d’organisation. «Amendement Moussa Sy», «Loi Aminata Tall»…, l’Acte 3 de la décentralisation et aujourd’hui le dialogue politique, les arguments et les contextes sous Wade et Macky Sall sont presque identiques. Le Quotidien raconte ces petites histoires Locales.

Les élections départementales et municipales se tiendront au plus tard le 28 mars 2021. Cet amendement du ministre de l’Intérieur au projet de loi portant report desdites élections a créé une polémique. A défaut d’une date exacte et correspondant à sa proposition (en juin 2020), la Société civile a obtenu au moins cette fourchette. L’on ne cesse d’ailleurs de compter le nombre de fois où les Locales ont été repoussées dans l’histoire du Sénégal. Mais au-delà, il y a aussi les arguments des reports qui sont parfois similaires, parfois différents. Bref, au gré des intérêts des partis au pouvoir. En 2000, Abdoulaye Wade arrive au pouvoir. Mais n’a pas tous les pouvoirs : il ne contrôle ni l’Assemblée nationale ni les collectivités locales installées le 24 novembre 1996. Il surfe alors sur le contexte de grâce avec les 58% de Sénégalais qui ont sanctionné le régime de Abdou Diouf au second tour, mais surtout qui ont voté pour le «Sopi (changement)». Le Peuple est prêt, pour y arriver, à lui donner les moyens d’opérer les réformes nécessaires. Le nouveau Prési­dent en profite pour obtenir une nouvelle Constitution. Et puisque dans ce scénario il y avait une cohabitation de fait, Me Wade dissout l’Assemblée nationale à majorité socialiste, sans contestation majeure. Il organise des élections et reprend le contrôle du législatif avec cependant deux groupes parlementaires forts dans la qualité, mais sans danger. Alors que les élections locales devaient se tenir le 24 novembre 2001, il choisit de les repousser pour bien se préparer à récupérer un pouvoir local entre les mains de la nouvelle opposition depuis le 24 mai 1996.

Les motifs : Réforme territoriale, audit du fichier électoral, recherche de consensus
Le projet de loi n° 08/2001 est ainsi envoyé à l’Assemblée pour non seulement reporter les élections, mais aussi proroger le mandat des conseillers régionaux, municipaux et ruraux. Il est défendu par le ministre de l’Intérieur, le Gl Mamadou Niang, et la ministre déléguée chargée des Collectivités locales, Thiéwo Cissé Doucouré sous la présidence de Youssou Diagne. Ce qui est intéressant ici, ce sont les arguments avancés par le pouvoir pour reporter les élections locales. Entre autres motifs, «des événements qui s’échelonnent de novembre 2001 à avril 2002 (Ramadan, fin d’année, Can, pèlerinage à la Mecque, Pâques, Magal de Touba». Pas que ! Réforme territoriale, audit du fichier électoral, recherche de consensus sur l’organisation des élections. Comme si on était en 2019 ! Puisque dans l’exposé des motifs de l’amendement de Aly Ngouille Ndiaye, il est écrit : «(…) Le présent projet de loi a ainsi pour objet premier de reporter lesdites élections et de laisser le soin à un décret de fixer la date des élections, lorsque les acteurs du dialogue trouveront un accord.» Les mêmes arguments, mais pas le même contexte. Au fond, le Président Wade ne pouvait laisser encore ses opposants dans les collectivités jusqu’aux élections. Il leur aurait donné le temps et les moyens d’y rester.

Amendement Moussa Sy
Seulement, le «génie» Wade avait – et personne ne le soupçonnait – sous le coude un joker. Il s’appelle Moussa Sy, actuel maire des Parcelles Assainies. Le député introduit un amendement qui porte son nom. Il glisse à l’Assemblée, désormais contrôlée par le pouvoir, l’installation de délégations spéciales dans toutes les collectivités locales jusqu’au 12 mai 2002, mettant fin par conséquent au règne socialiste local. Voici le fameux «Amendement Moussa Sy» qui a brisé les espoirs des Socialistes : «A l’expiration du mandat des conseils régionaux, municipaux et ruraux en exercice et à titre transitoire, des délégations spéciales constituées par arrêté du ministre chargé des Collectivités locales, remplissant les fonctions des différents conseillers des collectivités locales, la composition et les attributions des délégations spéciales seront fixées par arrêté du ministre chargé des Collectivités locales. Toute disposition contraire à la présente loi est abrogée.» Le recours de Me Abdoulaye Babou, Ousmane Tanor Dieng, Djibo Kâ, Amath Dansokho, Talla Sylla, et 20 autres députés de l’opposition devant le Conseil constitutionnel n’y fera rien. Les mêmes arguments – ou presque – ont prévalu pour la «loi Aminata Tall».

La proposition de loi Aminata Tall
Normalement, les élections locales devaient se tenir le 12 mai 2007. Mais l’on sortait de la Présidentielle et il était pratiquement impossible de les tenir à date échue. Il y avait aussi les Législatives qui devaient avoir lieu, mais repoussées à juin de la même année. Au point qu’un temps, l’idée de coupler les Locales avec les Législatives était dans la «cuisine» de Wade. Et c’est là que la célèbre phrase du Premier secrétaire du Parti socialiste, Ousmane Tanor, a fait la Une des quotidiens. «Qu’il couple, découple, accouple ou désaccouple…», avait lâché Ousmane Tanor lors de l’Université d’été de son parti à Dakar. Un autre report : Aminata Tall portera finalement la proposition de loi n° 08/2008 portant prorogation et renouvellement du mandat des conseillers régionaux, municipaux et ruraux élus le 12 mai 2002. Dans ses motifs, elle fait valoir l’adoption par l’Assemblée nationale du projet de loi portant création des nouvelles régions de Sédhiou, Kaffrine et Kolda pour corriger les «disparités et incohérences territoriales». A l’époque, ses collègues de la majorité voyaient une «charge symbolique» derrière cette proposition portée par une femme à la veille de la Journée internationale de la femme. Mais ça, c’était la politique. «Ce nouveau découpage ayant un impact certain sur le processus électoral et l’organisation matérielle des élections, il apparaît quasiment impossible d’organiser les élections locales dans ces localités le 18 mai 2008», avait-elle justifié. Sauf que cette fois-ci, il n’y aura pas de délégations spéciales, mais bien une prorogation du mandat des Conseillers régionaux, municipaux et ruraux jusqu’au 23 novembre 2008, date de leur renouvellement. On le disait, tout est question d’intérêt pour le pouvoir. Ici, contrairement à 2001, Wade et sa coalition régnaient dans les collectivités locales. Donc pas besoin de mettre des délégations spéciales.

L’argument de l’appel au dialogue de Wade sur la table
Et certains, comme aujourd’hui avec la Commission cellulaire du dialogue politique, avaient approuvé ce report au nom de «l’appel au dialogue politique lancé par le chef de l’Etat, Me Abdoulaye Wade». Mieux, ajoutait-on, c’est une «opportunité de créer les conditions consensuelles pour aller vers des élections apaisées qui s’inscrivent dans la tradition démocratique de notre pays». Mais les Locales ne se tiendront pas en novembre puisque le ministre de l’Intérieur, Me Ousmane Ngom, qui était au banc du gouvernement à l’Assemblée nationale, avait alors suggéré que la date du 22 mars 2009 soit retenue pour les Locales. C’est ainsi que la proposition de loi n° 08/2008 portant prorogation et renouvellement du mandat des Con­seillers régionaux, municipaux et ruraux élus le 12 mai 2002 a été adoptée. La suite, c’est que l’opposition raflera les grandes villes.

L’Acte 3 «reporte» les Locales en 2014
C’est presque le même scénario de la première alternance politique. Macky Sall, élu en 2012, a profité de son temps de grâce pour dissoudre l’Assem­blée contrôlée par les Libéraux et, plus tard, repousser les Locales qui devaient se tenir le 22 mars 2014. Il les décale de trois mois au motif, lui aussi, d’une nécessité de réformer les collectivités locales : Acte 3 de la décentralisation qui consacre la communalisation intégrale, la suppression des conseils régionaux, entre autres. Du coup, la date du 29 juin est retenue et tombe sur le premier jour du Ramadan. Le ministre de l’Intérieur, Abdoulaye Daouda Diallo, argue que la volonté du gouvernement est de «ne pas sortir du deuxième trimestre de 2014 pour l’organisation des élections locales». Rapporté à l’actualité, c’est pourtant aujourd’hui le scénario prôné par la société civile en proposant la date du 28 juin 2020 au plus tard. En revanche, il faut souligner qu’il n’y a pas eu de délégations spéciales en 2014, mais plutôt une prorogation du mandat des élus du 22 mars 2009. Le 20 décembre 2013, l’Assemblée a adopté le projet de loi prorogeant les mandats des conseillers régionaux, municipaux et ruraux et voté le nouveau Code des collectivités locales. C’est que politiquement, Macky Sall n’avait pas trop à se plaindre, les grandes villes étant entre les mains de ses alliés du Ps, de l’Afp et autres. Et puis, entre-temps, la transhumance a fait son chemin.