L’on n’avait peut-être pas imaginé les conséquences d’une éventuelle invalidation du vote de Touba. Si le Conseil constitutionnel tranche dans ce sens, ce ne sera pas seulement le département de Mbacké qui sera concerné. Il faudrait craindre une variation du taux de participation, du quotient national, d’un statu quo des 5 sièges pour Wade et Cie ou d’une «remontada» de Bby. Le Quotidien dessine les scénarios possibles.

Par Hamath KANE

Le Sénégal ferait face à une situation inédite. Tout le monde- ou presque- jure que le Conseil constitutionnel avalera facilement la patate chaude du cas de Touba que lui a filée la Commission nationale de recensement des votes pilotée par la Cour d’appel de Dakar. C’est une affirmation qui tient des décisions souvent critiquées du juge politique. L’on prête, en effet, aux 7 «Sages» de suivre presqu’à la lettre les desiderata des différents partis au pouvoir qui se sont succédé. Et si tant que ce «suivisme» est mécanique et automatique, ils devraient alors invalider le vote de Touba puisque que la coalition présidentielle, qui a contesté les résultats, a introduit un recours dans ce sens. Même si, au moins deux autres coalitions, en l’occurrence Ads/Garap/Beneen baat bu bess de Abdoulaye Niane et And suxali senegal de Fallou Mbacké, ont également saisi le Conseil par un recours commun.
Mais il se trouve que dans cette rocambolesque affaire de saccage de bureaux qui a valu hier à Assane Mbacké, Mor Lô et autres un mandat de dépôt, c’est aussi Bby qui en pâtit. Ce qui explique justement son recours en annulation, mais surtout pour reprise totale ou partielle du vote dans le département. L’on peut nourrir de maigres espoirs quant à l’éventualité d’une invalidation par les 7 «Sages». Mais l’on ne peut écarter, du fait du nombre énorme de citoyens privés de leur droit de vote, que le Conseil aille dans le sens de la reprise. 220 bureaux de vote sur les 536 de l’arrondissement de Ndame qui coiffe la commune de Touba, soit 96 mille 031 inscrits, n’ont pas voté. Et il faut souligner qu’en plus de Touba, il y a le cas de la Côte d’Ivoire où il n’y a pas eu de vote et qui a motivé le recours de la coalition Kaddu askan wi de Abdoulaye Baldé.

Scénario 1 : Wattu confirme ou perd les 5 députés de Mbacké
La reprise du vote dans les bureaux de Touba pourrait aussi remettre en cause tous les résultats proclamés par la Cour d’appel de Dakar. Dans l’hypothèse d’une élection communale, les conséquences se limiteraient à la collectivité. Mais il s’agit ici d’un scrutin départemental à incidence nationale. D’abord, si et seulement si, comme le jurent les responsables de Bby, ces bureaux concernés leur sont favorables, et que leurs résultats inversent la victoire jusque dans le département, la Coalition gagnante/Wattu senegaal perdrait ses 5 députés de Mbacké. La liste de Wade devance celle de Bby de 12 mille 934 voix, alors que ce sont 83 mille 102 électeurs qui devraient trancher en cas de recommencement. C’est dire qu’une victoire de Bby ou une confirmation de la Coalition gagnante/Wattu senegaal est possible. Et il faudrait s’attendre à une tension politique en hausse puisque déjà Wade et ses hommes, malgré leurs 19 sièges, ne reconnaissent pas les résultats du scrutin du 30 juillet, a fortiori une victoire remise en cause.

Scénario 2 : Variation du quotient national et des sièges de la Proportionnelle
Et si également les résultats confirmaient la victoire de la Coalition gagnante/Wattu senegaal avec plus de voix, il pourrait y avoir des répercussions sur le taux de participation ; et par conséquent, sur le quotient national qui va grimper. Il ne fait aucun doute, le cas échéant, que des plus forts reste ne… resteront pas députés. Que Bby pourrait avoir plus ou moins de 30 sièges sur la Proportionnelle. Que d’autres, comme And Suxali senegaal de Serigne Fallou Mbacké qui ne compte que sur son fief de Touba qui lui a permis d’amasser son plus fort score (3 860 dans le département de Mbacké) pourrait espérer un plus fort reste au détriment d’autres…

Le dilemme du Conseil constitutionnel
Voilà les scénarios d’une invalidation qui ne laissent pas indifférents des experts électoraux et même certains analystes politiques qui préfèreraient que Bby digère la défaite et que les 7 «Sages» en mesurent les conséquences. Seulement, un spécialiste des questions électorales, joint par téléphone, estime que du point de vue strictement juridique, le Conseil devrait «logiquement» annuler le vote de Touba. Il l’explique par la Décision n°8/2017 du Conseil constitutionnel favorable à la demande d’avis du président de la République sur la possibilité offerte aux citoyens de voter avec des documents autres que la carte biométrique. En admettant dans ses «Considérants» qu’«au regard des lenteurs notées dans le retrait des cartes d’électeur, il y a lieu d’éviter que des citoyens soient privés de leur droit de vote», que ce droit de vote est «consacré par la Constitution», en considérant aussi qu’à Touba, «de nombreux Sénégalais jouissant de leurs droits civils et politiques et inscrits sur les listes électorales» ont été «privés de l’exercice du droit de vote garanti par la Constitution», les 7 «Sages» devraient rester sur cette ligne.
Dans un tel scénario, la Commission départementale de recensement de votes de Mbacké va devoir refaire un nouveau décompte qui sera transmis à la Commission nationale qui, à son tour, saisira à nouveau le Conseil constitutionnel. C’est dire que ce serait une autre élection.
hamath@lequotidien.sn