La politique de substitution aux importations, en dépit des évolutions théoriques apportées par l’apparition de phénomènes économiques nouveaux comme l’économie du numérique ou la conquête de l’espace, constitue toujours un facteur d’entraînement assez efficace pour le développement agricole et industriel dans notre pays. Des pays comme le Brésil, l’Argentine ou le Mexique ont connu un développement industriel fulgurant à partir de l’application de cette politique, surtout que le Sénégal connaît de nos jours une amplification appréciable de la classe moyenne, à l’orée de l’exploitation gazière et pétrolière. Au demeurant, le développement industriel constitue un domaine prioritaire dans la phase 2 du Pse. En effet, une part plus accrue de la contribution du secteur industriel dans la formation du Pib amenuise l’exportation des fruits de la croissance et participe de façon intensive à l’accumulation interne du capital. C’est dire que les politiques d’autosuffisance et de transformation de produits primaires comme l’arachide pour la production d’huile alimentaire favorisent le développement endogène ; l’économie rurale sénégalaise, à dominante arachidière, étant une économie intégratrice à vocation industrielle. L’arachide est une culture d’une grande importance économique et stratégique au Sénégal en ce qu’elle est à la fois vivrière, commerciale, industrielle, fourragère et fertilisante. En dépit de la concurrence grandissante des autres oléagineux, l’arachide garde toujours des atouts non négligeables, l’huile d’arachide est considérée comme de meilleure qualité, pouvant résister aux plus hautes températures.
En 2018, lors de la campagne de commercialisation agricole, il avait été relevé une baisse des prix du kilogramme sur le marché intérieur induite par un important surplus de la production nationale d’arachide sur les besoins de consommation interne. A cette époque, le surplus de production avoisinait cinq cent mille tonnes d’arachide, pour une production exceptionnelle d’un million quatre cent mille tonnes. Indubitablement, il y avait une mesure de politique économique à prendre pour permettre l’adéquation de l’offre à la demande, en encourageant les exportations en Chine et éviter ainsi les méventes ou la baisse drastique des prix défavorables aux producteurs du monde rural. Aussi, était-il envisagé la suspension de la taxe conjoncturelle à l’exportation sur l’arachide qui était une mesure protectionniste instaurée pour satisfaire en particulier les besoins des industries de trituration d’arachide pour la production d’huile alimentaire et d’autres produits dérivés. Il est compréhensible, pour favoriser le développement industriel porteur et l’accumulation subséquente de la valeur ajoutée, de prendre une telle mesure de politique économique, lorsqu’il ne se dégage pas de surplus, a fortiori quand la production nationale d’arachide reste inférieure aux besoins des industriels et de la consommation diffuse. En instituant la taxe conjoncturelle à l’exportation sur l’arachide avant les années 2018 où les productions d’arachide, peu ou prou, étaient inférieures à neuf cent mille tonnes, l’analyse qui était faite était une en termes d’insuffisance de la production nationale d’arachide dans l’objectif de décourager, au niveau tarifaire, les exportations de graines, notamment en Chine.
En 2019, avec la présente campagne agricole, le monde rural se confronte à une situation inverse par rapport à 2018, où nous constatons une flambée des prix du kilogramme d’arachide dans le marché diffus, avoisinant 350 Cfa à 450 F Cfa à certains endroits, soit plus du double du prix officiel. Cette nouvelle situation est due à deux facteurs cumulatifs :
D’une part, la baisse drastique de la production nationale d’arachide cette année autour probablement de sept cent à huit cent mille tonnes, soit presque la moitié de la production en 2018.
D’autre part, la montée en flèche de la demande d’importation de la Chine consécutivement à une diminution en 2019 de la production d’arachide dans ce pays et dans le marché mondial.
Aujourd’hui en 2019, dans le monde rural, la demande pour les besoins de consommation interne est supérieure ou égale à l’offre nationale d’arachide, au point de favoriser une hausse sensible des prix avec la demande d’importation des Chinois. Bien sur, les paysans vendent au plus offrant, privant du coup l’approvisionnement des industries locales de trituration en arachide. La Sonacos est, à la date d’aujourd’hui, à moins de 1 000 tonnes de collecte pour ses industries, alors que l’année dernière, à pareille époque, elle était à plus 17 mille tonnes. Il en va de même pour les autres industries de trituration.
Il est clair que si aucune mesure de politique fiscale n’est prise, allant dans le sens de la restauration de la taxe qui risque d’ailleurs d’être inefficace au vu de l’acuité de la demande locale et internationale sur l’arachide, nos industriels risquent de connaître des situations de sous-production et de sous-emploi, pouvant réduire la croissance et renchérir les prix sur l’huile au Sénégal. La conjugaison de ces deux facteurs est d’une nuisance assez substantielle pour notre économie, au regard de la flambée prévisionnelle du prix de l’huile d’arachide, toutes choses restant égales par ailleurs du développement des produits concurrents importés et de la baisse subséquente de l’activité économique globale.
L’application de la taxe de 40 F Cfa à l’exportation sur le kilogramme d’arachide, soit environ 20% du prix officiel de 210 F Cfa, qui au demeurant sera très en deçà du prix sur le marché diffus, était provisoirement suspendue par le gouvernement en 2018, afin d’agir sur la demande et d’infléchir la baisse tendancielle des prix, défavorable au producteur.
Il y a lieu non seulement de restaurer la taxe à l’exportation sur l’arachide, mais d’en augmenter le taux pour que le prix à l’export soit supérieur à celui pratiqué dans le marché diffus, ou au mieux de prendre carrément une mesure d’interdiction temporaire des exportations d’arachide compte tenu de l’intensité de la demande, en attendant des situations plus clémentes d’augmentation de l’offre.
En vérité, lorsque les conditions du marché intérieur et international se modifient, il est naturel pour un gouvernement attentif de procéder à des anticipations pour réorganiser le marché, en supprimant les défaillances et de pouvoir ainsi piloter sans péril le navire au gré des vagues.
La vision justement, c’est de faire du secteur agricole et des industries de transformation le moteur de la croissance dans notre pays, constituant de ce fait un domaine stratégique à protéger au moyen, entre autres, de la politique fiscale, du contingentement ou de la prohibition à l’import (pomme de terre, ognons) ou à l’export (arachide) selon le cas. Or le secteur agricole et des industries de transformation qui polarisent la majorité du monde du travail au Sénégal dépend plus d’aléas climatiques, en ce qui concerne particulièrement l’arachide, que toute autre contrainte relevant des surfaces arables, des intrants et de la technologie.
Les campagnes antérieures ont rarement atteint le million de tonnes, sauf en 2018 et 2017, et dans la plupart des cas, les productions suffisaient à couvrir les besoins intérieurs pour l’auto consommation et les industries de transformation. Faut-il rester les bras croisés devant une situation de sous-production intérieure et d’insuffisance d’offre en 2019 devant la présence de demandeurs chinois dans notre pays ? Que non !
Dans un monde où le protectionnisme prend le pas sur le libre échangisme, l’instauration d’une taxe appréciable ou la prohibition des exportations des graines d’arachide dont les intrants sont subventionnés du reste, demeure dérogatoire aux règles de l’Omc. Elle traduit la volonté politique de protéger un secteur hautement sensible pour une croissance endogène et auto centré. Toutefois, si les conditions du marché l’exigent, une suspension de la taxe ou la levée de l’interdiction dans le cadre d’un ajustement pourront être envisagées, tout en étant conscients qu’une culture sous pluie, essentiellement avec le risque climatique, est un désavantage comparatif, en attendant une meilleure maîtrise de l’eau dans notre pays pour amoindrir l’impact des variables aléatoires dans les processus productifs.
Kadialy GASSAMA
Economiste
Rue Faidherbe X Pierre Verger
Rufisque
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