Au-delà de cette étape symbolique, la Belgique s’apprête à retirer les biens hérités de son passé colonial du «patrimoine inaliénable» du royaume.

La Belgique a remis à la Ré­publique démocratique du Con­­go (Rdc), jeudi 17 février, un inventaire des objets d’art originaires de l‘ex-Congo belge détenus par le Musée de l’Afri­que de Tervuren, qui regroupe l’une des plus grandes col­lections d’objets africains au monde. Cet inventaire marque une nouvelle étape dans le processus de restitution engagé par l’ancienne puissance colo­niale. Désormais, Kinshasa pourra exprimer ses demandes de restitution parmi les 84 000 œuvres et objets pillés au Congo belge jusqu’en 1960, année de l’indépendance.
Ce catalogue a été transmis par le Premier ministre bel­ge, Alexan­der De Croo, à son homologue congolais, Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge, lors d’une cérémonie dans ce musée, autrefois appelé Palais des colonies, à la périphérie de Bruxelles, en marge du Sommet Ue-Afrique qui s’est tenu deux jours durant, les 17 et 18 février derniers, dans la capitale européenne. Le Musée royal de l’Afrique centrale, ouvert en 1898, héritage du roi des Belges, Léopold II, qui a administré le Congo comme sa propriété personnelle à partir de 1885, regroupe l’une des plus grandes collections d’objets africains au monde. L’inventaire porte sur «quelque 84 000 objets ethnographiques et organologiques» (sculptures, masques, ustensiles, instruments de musique, etc.), parvenus sur le sol belge jusqu’en 1960, année de l’indépendance du pays. Cela représente environ 70 % du fonds du musée, d’après sa direction.
Il permettra à Kinshasa d’exprimer, peut-être dès 2022, des demandes de restitution qui seront examinées par une équipe belgo-congolaise de chercheurs bientôt en place, a-t-on expliqué côté belge, lors d’une conférence de presse. «La première étape pour ce travail de restitution, était de donner toute la transparence sur ce qui est aujourd’hui dans nos collections», a affirmé Thomas Dermine, secrétaire d’Etat belge chargé du dossier. Selon lui, il a été établi pour l’instant, que seule «une toute petite fraction des œuvres» a été acquise dans des conditions illégitimes, par des transactions commerciales inéquitables, du pillage ou d’autres actions violentes. Mais la Belgique accepte que «tout le patrimoine» congolais du musée soit «soumis à l’examen historique» (par la future «commission mixte» belgo-congolaise), «parce qu’on reconnaît que, par essence, la relation coloniale était déséquilibrée», a ajouté le responsable socialiste francophone. De son côté, Sama Lukonde a salué «un moment historique». «Ce n’est pas seulement un transfert d’objets, mais aussi de connaissances et de l’expérience nécessaire pour la conservation de ces éléments», a dit le Premier ministre congolais.
En 2021, la Belgique avait annoncé son intention de rendre «aliénables» les biens hérités de son passé colonial, c’est-à-dire de les transférer du domaine public de l’Etat au «domaine privé», seul moyen pour que les objets spoliés puissent être restitués. Un projet de loi en ce sens, actuellement soumis au Conseil d’Etat, devrait être débattu au Parlement au premier semestre. «Il ne faut pas avoir peur de regarder notre passé en face», a dit Alexander De Croo, rappelant qu’en 2020, le roi Philippe avait exprimé des «regrets» pour les actes de violence et de cruauté lors de la période coloniale au Congo.
Par ailleurs, la Belgique s’apprête à restituer à Kinshasa une dent de Patrice Lumumba, héros congolais de la lutte anticoloniale et ancien Premier ministre du Congo indépendant, dont le corps, dissous dans l’acide, n’a jamais été retrouvé. Une cérémonie de restitution de cette «relique», prévue en juin 2021 à Bruxelles, a été reportée en raison de la pandémie.
Mais signe que l’heure est à l’apaisement entre les deux Etats, le roi des Belges, Philippe, qui avait exprimé en 2020 des «regrets» historiques pour le passé colonial de son pays, effectuera sa première visite officielle en Ré­publique démocratique du Congo, du 6 au 10 mars. Il s’agira aussi de la première visite royale belge en Rdc depuis le voyage de Albert II, père de Philippe, en 2010, pour le cinquantenaire de l’indépendance de l’ancienne colonie. «A l’époque de l’Etat indépendant du Congo [de 1885 à 1908, quand le roi Léopold II céda le territoire à l’Etat belge, Ndlr], des actes de violence et de cruauté ont été commis, qui pèsent encore sur notre mémoire collective», et «la période coloniale qui a suivi (celle du Congo belge, de 1908 à 1960), a également causé des souffrances et des humiliations»,  écrivait l’actuel roi dans une lettre adres­sée au Président Tshisekedi.
Léopold II, qui gérait le Congo et ses richesses comme son bien privé depuis Bruxelles, avait recouru au travail forcé pour l’exploitation du caoutchouc. Des exactions -jusqu’aux mains coupées pour les travailleurs insuffisamment productifs- ont été documentées.
Le Point