A la suite de la déclaration du gouvernement et de la publication du rapport de la Cour des comptes sur les finances publiques, un débat intense secoue notre pays. En effet, la question du maquillage des chiffres divise profondément les Sénégalais. Cette polémi­que, désormais omniprésente dans les médias et les discussions publiques, révèle une situation troublante qui semble avoir pris tout le monde de court.
Cette surprise collective est d’ailleurs partagée non seulement par les citoyens, mais aussi par les partenaires techniques et financiers, notamment le Fonds monétaire international, qui s’interrogent, à juste titre, sur la manière dont une telle situation a pu se produire. En vérité, c’est l’image même du Sénégal qui se trouve écornée, alimentant fantasmes, inquiétudes et suspicions.
Face à cette crise de confiance, une question fondamentale se pose : l’exercice de vérité est-il une simple option ? La réponse est sans ambiguïté : non. Dire la vérité, en matière de finances publiques, n’est pas une faveur accordée aux citoyens. C’est une obligation légale, inscrite dans notre Droit positif et encadrée par les directives communautaires de l’Uemoa.
Dès lors, une autre question, tout aussi légitime, mérite d’être posée : pourquoi, depuis neuf mois, le Sénégal n’a-t-il pas publié les rapports trimestriels d’exécution budgétaire ni les bulletins statistiques sur la dette publique ?
Pour tenter d’y répondre, nous avons pris acte du communiqué publié le 16 juin 2025 par la Cellule de communication du ministère des Finances et du budget. Selon ce document, le ministère aurait décidé de différer la publication des rapports du quatrième trimestre 2024 et du premier trimestre 2025. Cependant, aucune mention n’est faite concernant le bulletin de la dette publique dont la dernière publication remonte à juin 2024. Le ministère évoque des réformes en cours sur la gestion des finances publiques. Mais cela suffit-il à justifier un tel silence ?
Il convient ici de rappeler que, depuis la transposition dans notre Droit interne des directives du cadre harmonisé des finances publiques de l’Uemoa, le Sénégal s’est engagé dans un vaste chantier de modernisation budgétaire. Dès 2013, plusieurs réformes ont été mises en œuvre : organisation du Débat d’orientation budgétaire (Dob), transmission à l’Assemblée nationale des Rapports trimestriels d’exécution budgétaire (Rteb), élaboration des Documents de programmation pluriannuelle des dépenses (Dppd) pour chaque ministère, entre autres.
En ce sens, le ministère des Finances et du budget n’a ni la compétence ni le droit de différer la publication des rapports exigés par la loi. Un tel manquement constitue une violation manifeste des textes législatifs nationaux ainsi que des directives de l’Uemoa. Nous sommes dans un Etat de Droit, et non sous un régime autoritaire où l’arbitraire primerait sur la légalité. Gouvernants comme gouvernés sont tenus de respecter la loi.
En différant la publication des chiffres de l’exécution budgétaire, le ministère contrevient gravement au principe de transparence, l’un des sept principes fondamentaux qui régissent les finances publi­ques. On peut alors s’interroger : qu’est-ce qui empêche réellement la publication de ces rapports ? Le ministère douterait-il de la fiabilité de ses propres chiffres ?
Tant que la vérité restera étouffée par la communication politique, les citoyens ne pourront se forger une opinion éclairée. Or, la publication trimestrielle des rapports budgétaires n’est pas une simple formalité : c’est une exigence légale, un instrument de redevabilité et un levier fondamental pour instaurer la confiance dans la gestion des finances publiques.
Plus encore, ces rapports sont essentiels pour suivre l’évolution des recettes, des dépenses et surtout du service de la dette. Aujourd’hui, dans un contexte où le nouveau régime affirme avoir mis au jour une dette dissimulée par l’ancien pouvoir, ces documents deviennent cruciaux. Car si ces déclarations sont fondées, elles devraient nécessairement se refléter dans les chiffres publiés, notamment à travers une modification des niveaux d’engagements financiers et des paiements relatifs à la dette.
En définitive, retarder ou bloquer la publication de ces rapports revient à entraver la transparence, brouiller la lisibilité des choix budgétaires et miner la confiance des partenaires techniques et financiers, comme celle des citoyens. La démocratie exige la transparence ; et la transparence exige des chiffres fiables, disponibles et publiés à temps.
C’est pourquoi nous appelons fermement à la reprise immédiate et sans condition de la publication des rapports trimestriels et des bulletins statistiques sur la dette publique. Le droit à l’information budgétaire est un droit fondamental. Il ne saurait être sacrifié au nom d’intérêts politiques ou de calculs conjoncturels.
Mawdo DIENG
Membre du Comité central du Pit/Sénégal
Secrétaire général de l’Ujdan