Révolutions iraniennes : Trump à Ispahan
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Derrière l’Urss qui était une petite parenthèse historique, De Gaulle a toujours vu la Russie éternelle. C’est pourquoi il parlait toujours de la Russie, même quand l’Urss était à son apogée. De Gaulle avait le sens de l’histoire. Aujourd’hui, avoir le sens de l’histoire consiste à voir la Perse éternelle derrière l’Iran des mollahs. Ces derniers ne seront qu’une parenthèse dans l’histoire plurimillénaire des Perses. J’ai toujours pensé que la meilleure façon d’amener Trump à reconsidérer ses jugements tranchés, faits d’ignorance, sur l’Iran, serait de l’inviter à visiter la sublime Ispahan, symbole du raffinement perse, ou à voir les ruines de Persépolis, symbole de la grandeur des Perses qui ont eu un des plus grands empires du monde. La révolution iranienne a quarante ans. C’est une excellente nouvelle. Pas seulement pour les mollahs, mais pour l’invention humaine incroyable qu’est la République.
La Révolution française de 1789 été un superbe lever de soleil, disait Hegel. La révolution iranienne de 1979, soit deux siècles après la prise de la Bastille, est la preuve que le «superbe soleil» de la République qui s’est levé en 1789 et qui brille en Iran de 1979 ne se couchera pas. Par contre, le soleil s’est couché sur beaucoup de royaumes, de principautés, de sultanats devenus Républiques, alors que nous n’avons jamais vu l’inverse. La République est universelle, et c’est parce qu’elle l’est que chaque pays a ses spécificités locales. L’Iran est très démocratique avec ses mollahs et un Guide qui n’est pas élu, tout comme en Angleterre. Le Sénégal est très démocratique avec ses marabouts, et l’Inde est très démocratique avec ses castes. L’Iran est tellement démocratique que l’alternance y est une banalité. En Iran, les mollahs passeront, mais la Perse demeurera. La Perse, bien que vaincue par Alexandre le Grand, a réussi grâce à son raffinement et à sa culture à calmer les ardeurs du grand guerrier et même à le dompter avec les noces de Suze (Alexandre a épousé des Iraniennes et incité ses compagnons à le faire). La Perse a dompté Alexandre le Grand, chassé le régime imposteur du Shah et survivra aux mollahs.
En attendant, les mollahs ont un grand allié : Donald Trump. Les Perses sont tellement chauvins que la croisade de Trump et sa stratégie de punition collective ne feront que renforcer le régime de l’intérieur. Obama avec sa stratégie de normalisation et d’ouverture était la plus grande menace pour les mollahs, car avec l’absence de belligérance extérieure, les Iraniens avaient commencé à poser le débat interne, mais Trump a accordé un sursis au régime des mollahs. Depuis la révolution de 1979, l’Iran a connu plusieurs révolutions de velours en interne.
Les femmes ont conquis de plus en plus de liberté grâce à une intelligente politique des «petits pas», comme aurait dit Kissinger. Les Etats-Unis considèrent l’Iran et la Corée du Nord comme leurs ennemis. Même si les Etats-Unis, par un simplisme très américain, mettent ces deux pays dans le même sac, ils sont radicalement différents. La Corée du Nord est une dictature alors que l’Iran est une démocratie certes imparfaite, mais avec une société civile très forte, qui n’existe pas au royaume des Kim. L’Iran est héritier d’une civilisation millénaire alors que la Corée du Nord est le dernier vestige du communisme stalinien. La Perse sera encore là dans mille ans, alors que la Corée du Nord, comme l’Allemagne de l’Est, sera inévitablement phagocytée par la Corée du Sud. Ce qui est intéressant aujourd’hui en Iran n’est pas le règne des mollahs qui est dans sa phase thermidorienne, mais la révolution sociale et culturelle qui est une lame de fond dans la société iranienne, qui est l’une des plus ouvertes et des plus cultivées du Moyen Orient. L’Iran et Israël sont les deux plus grandes démocraties du Moyen Orient. Et ces deux démocraties devraient s’entendre, mais Netanyahu, comme les mollahs, est toujours en quête d’ennemis extérieurs pour détourner le regard de leur pays sur le débat et les contradictions internes ; d’où cette situation de belligérance permanente qui arrange les dirigeants des 2 pays, même si l’Iran est presque l’un des derniers pays où les Juifs disposent d’une très grande synagogue et pratiquent librement leur culte. Et Netanyahu oublie toujours que pendant longtemps, les Juifs n’ont eu d’autres alliés au Proche Orient à part les Perses, dont le roi Cyrus a libéré les Juifs déportés par les Assyriens de Nabuchodonosor, qui avait détruit leur temple en 586 avant J.C.
Cachez-nous ces gros bras !
Cachez-nous ces gros bras qu’on ne saurait voir ! Les «Calots bleus», les «Marrons du feu» et autres barbaries sont des anachronismes dans notre démocratie. La démocratie est une aristocratie d’orateurs et non une lutte de gladiateurs. Tous ceux qui s’étonnent des excès de nos gladiateurs encagoulés font de la tartufferie politique. Aujourd’hui, tous les hommes politiques, même les plus insignifiants, se croient obligés d’être encadrés en permanence par une escouade de gros bras. Quand on voit à la télé les candidats entourés de gros bras encagoulés, on donne l’impression que notre pays sort d’une guerre civile et organise les premières élections de l’après-guerre civile. La démocratie n’est pas une affaire de gros bras ou de machettes, mais une affaire d’idées. C’est une affaire de gentlemen, pas de gladiateurs. Pour que notre démocratie devienne une affaire de gentlemen, il faut en revenir aux fondamentaux de la République et surtout à l’idée wébérienne de «monopole de la violence légitime», c’est-à-dire que la protection de candidats pendant la campagne doit relever de l’Etat et non pas de façon privée au candidat. Il faut rompre avec cette tradition de violence électorale qui balafre le visage de notre democratie.