Rokhaya Kamara est de ces personnes battantes qui font parler leur génie créateur pour jouer leur partition dans le développement de leur pays. C’est ce qui lui vaut d’être une artiste-plasticienne aujourd’hui, en faisant de sa situation d’handicap une force.

Par Amadou MBODJI – On ferait d’elle une bureaucrate, tellement sa mise renvoie à cela. Mais ses tableaux sont là pour la trahir. On veut tout simplement nommer Rokhaya Kamara, une artiste-plasticienne spécialisée dans la tapisserie à travers la confection de tableaux d’art exposés au Forum africain pour les industries culturelles et créatives que vient d’organiser la Fondation Youssou Ndour. Ne faisant pas partie des personnes qui n’arrivent pas à trouver les ressorts pour se sortir d’une situation très compliquée, mais de celles qui arrivent à tirer le meilleur d’une situation inconfortable, Rokhaya Kamara a fait de sa situation d’handicap une force. Ne se contentant d’en faire un prétexte pour croiser les bras en cherchant la facilité, mademoiselle Kamara trace sa voie à travers la tapisserie qu’elle a commencé à titiller depuis longtemps, alors qu’il n’y avait rien qui la prédestinait à cet art. «C’est depuis 1994 que j’ai commencé à faire de la tapisserie. Je faisais d’abord de la couture en 1984 avant de basculer dans la tapisserie. Je dirais que la tapisserie a pris l’ascendant sur la couture», appuie mademoiselle Kamara. «J’avais plus d’atomes crochus avec la couture que j’aimais beaucoup plus qu’autre chose. Je n’avais eu de cesse de prier pour avoir mon atelier de couture, parce que je maîtrise la couture. Mais malheureusement, je n’avais pas de machine à coudre pour pratiquer ce métier. Alors qu’avec la tapisserie, je n’ai besoin que d’une aiguille pour la pratiquer. Je peux me mettre au lit pour exercer la tapisserie. Je fais ma tapisserie avec mes mains. Un ami du nom de Alpha, qui est aussi membre de l’Association des personnes handicapées, m’a trouvée en train de me tourner les pouces. Il n’a pas voulu que je reste sans rien faire, sur ce, il m’a convaincue de faire de la tapisserie», c’est ainsi que l’intrusion dans le monde de la tapisserie de Rokhaya Kamara s’est faite. «Il m’a dit : «Tu ne peux pas rester sans rien faire. Tu ne peux pas arrêter la couture sans pour autant que tu ne trouves d’occupation.» Il m’a encouragée à faire de la tapisserie. Il m’a dit : «Je te connais, je crois dur comme fer que tu peux t’en sortir en la pratiquant»», raconte l’artiste plasticienne. Rokhaya Kamara de souligner aussi qu’elle traite de thèmes divers. «Je traite tout ce qui me passe à l’esprit», ajoute la spécialiste de la tapisserie. Parmi ses tapisseries exposées au Forum africain, il y en a une qui parle du village, avec le symbolisme de la prospérité que les femmes urbaines n’ont pas l’habitude d’utiliser dans leurs ménages, à savoir la calebasse que nos grands-parents amenaient au marché pour y mettre les ingrédients avec lesquels ils préparaient le repas de midi. «Ça renvoie au paysage du village où se retrouvent plusieurs choses. En plus de la calebasse, il y a le bétail. Dans l’autre œuvre, on y voit un chameau», argumente-t-elle. L’artiste-plasticienne a vu les portes du forum s’ouvrir à elle à travers un reportage que notre consœur, Dior Mbaye, a fait sur elle, et sur lequel sont tombés les collaborateurs du leader du Super Etoile, Youssou Ndour, dont la fondation, portant le même nom, est organisatrice de l’événement. «C’est à travers l’émission Rencontre que Dior a faite avec moi, qui passe sur internet, que Momar a vu mon travail et l’a montré à Youssou Ndour. Et ça a plu à ce dernier qui ne savait pas qu’au Sénégal, plus précisément à la Médina, il y avait quelqu’un qui faisait ce que je faisais. C’est là qu’il décide de me donner la possibilité de disposer d’un stand au niveau du forum pour exposer mes œuvres. Ça ne fait pas cinq jours que je suis au courant de l’événement», avance mademoiselle Kamara. Le travail exige un investissement au point d’en ressentir les contrecoups sur le plan physique, avec de la fatigue ressentie par ci, par-là à cause de la position assise que l’artiste plasticienne maintient pendant plusieurs heures pour parachever son travail. Mais cela n’enlève en rien à cette artiste sa passion pour l’art, qui lui vaut de tirer un certain profit dans la vente de ses tableaux. «Je vends des tableaux dont les prix varient entre 100 et 200 mille francs», surligne Rokhaya Kamara. Ayant déjà exposé ses œuvres en Belgique à plusieurs reprises, l’artiste-plasticienne a eu l’occasion de montrer son génie créateur aux Etats-Unis. Disposant d’un atelier au Village des arts, Rokhaya Kamara souhaite qu’on lui vienne en appui pour disposer d’un véhicule pour pouvoir se déplacer facilement. «A chaque fois que je me déplace, je suis obligée de prendre un taxi. Ce qui constitue une lourde charge pour une personne aux moyens limités. Je lance un appel aux bonnes volontés pour m’aider à avoir une voiture afin de faciliter mes déplacements.
Souvent, je n’ai pas envie de sortir parce que je n’ai pas de moyen de transport», affirme mademoiselle Kamara qui est souvent aidée par sa sœur dans ses déplacements. «Si elle est occupée, je me débrouille seule pour faire mes courses», fit-elle remarquer. L’un de ses vœux, c’est de pouvoir transmettre ses connaissances en art plastique en aidant les prisonnières à se former dans ce sens. «Une Canadienne m’avait fait part de sa volonté de m’engager à former des prisonnières au métier des arts plastiques. Cette Canadienne leur faisait apprendre cela. Maintenant qu’elle a pris de l’âge, elle est rentrée au Canada. Elle voulait que je la remplace et avait commencé à entreprendre les démarches. Je veux qu’on m’aide pour que je puisse former les prisonnières en art plastique», lance mademoiselle Kamara aux autorités en charge des questions carcérales au Sénégal. Vivant de la meilleure des manières sa situation d’handicap qu’elle connaît depuis sa tendre enfance (à l’âge de 3 ans), Rokhaya Kamara est un cœur à prendre.
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